ÉPISODE 5 : UNE AIDE QUI COÛTE CHER
Dans le cadre d’une enquête sur le travail des indépendants à La Réunion, je rencontre des professionnels de différents secteurs d’activités. Avant de présenter de nouvelles figures de l’entrepreneuriat, petite promenade critique à travers ce qu’on peut trouver du domaine sur internet.
Non, La Réunion lé pa paress
L’INSEE a fait paraître, le 13 décembre dernier, un dossier complet sur la région Réunion et le lendemain, le répertoire des entreprises et des établissements. Les produits associés à cette dernière parution s’intitulent pour ce qui nous concerne Démographie d’entreprises – Nouveau record de créations d’entreprises. Bilan économique 2021.
Dans ce document, on apprend que :
— En 2021, « les créations d’entreprises atteignent un niveau record ».
— La micro-entreprise l’emporte cette année-là sur les autres types de création : entreprises individuelles et sociétés.
— Le secteur en pole position est celui du « commerce, transport, hébergement, restauration ».
— La Réunion est loin devant les autres DOM en nombre de structures créées (hors domaines agricoles).
Le document indique aussi que « le nombre de défaillances d’entreprises repart à la hausse (+45% par rapport à 2020).
« Travailleurs » sûrement, « indépendants », pas trop quand même
Un site web à visée pédagogique tenu par un agrégé d’économie propose une fiche intitulée Le régime juridique du travailleur indépendant. Ce site identifie le travailleur indépendant comme celui qui « travaille pour son propre compte et dans son intérêt. Il effectue pour autrui une prestation rémunérée réalisée en toute indépendance et avec des moyens propres. »
Cependant, une déclaration d’existence est nécessaire pour signaler le début d’activité du travailleur indépendant. Et autour de cette déclaration, se greffe une série d’obligations.
En effet, selon son domaine d’activités, il est obligatoire de :
— au registre du commerce et des sociétés (sauf autoentrepreneur)
— au Conseil de l’ordre
— au registre des métiers
Donc, l’accès à certaines professions libérales est libre pour les unes, réglementé pour d’autres. Par ailleurs, l’accès à l’activité commerciale est libre, sauf en cas d’incompatibilité, de déchéance ou d’interdiction.
Ainsi, les droits des travailleurs sont :
— l’exercice d’une activité professionnelle pour leur compte
— l’encaissement des bénéfices
— l’organisation autonome de son travail
Le commerçant et l’artisan se doivent, quant à eux, de :
— tenir une comptabilité
— respecter le droit commercial
— respecter le droit de la consommation
— respecter le droit de la concurrence
— respecter le droit du travail si le professionnel emploie des salariés
Enfin, l’obligation principale du professionnel libéral est le respect des règles de déontologie fixées par les instances professionnelles. Il apparaît que pour le travail indépendant, le nombre des obligations est supérieur à celui des droits.
La création d’entreprise : un vrai business pour certains
Plusieurs sites web vous proposent de créer votre entreprise en ligne. Ainsi, fleurissent des annonces du type : « On s’occupe de tout, tu t’occupes de rien ! » Tu payes seulement.
Le marché des faiseurs-de-création-d’entreprise-à-votre-place est déjà suffisamment important et structuré pour que le-pris-en-charge-dans-sa-démarche, futur chef d’entreprise, trouve un comparateur de prix, à l’image des comparateurs de vols, ou d’hébergement de vacances. Les offres de ces créateurs-d’entreprise-à-votre-place méritent d’être répertoriées dans un même tableau comparatif. Car, prises isolement, certaines sont difficiles à appréhender pour celui qui a déjà tant à penser pour lancer son activité tout seul.
À titre d’exemple, le site jurisociete.fr propose deux formules : une « eco » à 19 euros + frais administratifs, et une autre, « express » (avec immatriculation sous 48h) à 99 euros + frais administratifs. Le site contratFactory propose, lui, une formule « 00 euro + frais d’annonce », un « pack essentiel » à 79 euros + frais légaux et un « pack premium express »à 179 euros + frais légaux. Un autre site, LegalPlace, affiche de son côté des tarifs « à partir de 69 euros + frais administratifs ». En cliquant dessus, on accède à une autre page qui présente, entre autres, le comparatif des tarifs et les avantages de préférer LegalPlace à un avocat, un expert-comptable, ou à l’option de tout faire soi-même. Or, on peut lire : « à partir de 99 euros ». On est loin des « 69 euros + frais administratifs ». Trente euros, ça fait cher le clic !
Quant au site JAL, il propose de « compléter le formulaire d’annonce légale (…) pour la création de votre société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU). Recevez votre attestation de parution pour le greffe immédiatement et gratuitement », ajoute-t-il. Gratuitement ? Pas si sûr que cela. En amont de cette annonce, figure un rectangle au (très joli) fond rouge dont le texte indique en lettres blanches : « 1 – remplissage du formulaire ». Puis, quelques mots plus loin, deux autres mentions : « 2 – récapitulatif » et « 3 – Mode de paiement ».
Pas cher, pas valable
Quasi absente des offres, la micro-entreprise qui coûte moins cher à créer se trouve un peu défavorisée. Elle est présentée comme « restreignant » l’évolution d’une activité, car limitée en termes de chiffre d’affaires, ce qui constituerait « un inconvénient majeur », tout comme son statut, « réservé à des activités secondaires ou complémentaires d’un revenu principal ». Les plafonds sont en effet de 70 000 euros pour les prestations de services et les activités libérales, et 170 000 pour les ventes de biens et de marchandises et l’hébergement.
Le constat que les services et activités libérales sont présumés moins chers à facturer (ou peut-être moins vendables?) que les biens et marchandises pourrait faire l’objet d’un réflexion prochaine. Il reste que le plafond du CA semble suffisamment élevé pour se lancer dans une activité sans risquer de s’y cogner la tête trop vite. Au-delà du statut du micro-entrepreneur, c’est le régime même de l’indépendant qui est pointé comme non idéal face au portage salarial. En effet, à La Réunion, une société dit permettre aux consultants, prestataires, formateurs, indépendants d’exercer en évitant la création d’entreprise et en conservant le statut social de salarié. Puis, après un paragraphe sur les risques de la micro-entreprise, elle propose une consultation gratuite de 20 minutes.
Pour ma part, pour en apprendre davantage sur les personnes enregistrées en tant qu’indépendants, je vais retourner à mes rencontres de ceux et celles qui font… du remplissage de formulaires, mais aussi du vrai travail. (merci David Graeber!)
Alice Dubard