Michel Reynaud, architecte de formation et Luc Daniel, ingénieur dans l’énergie et les espaces verts ont publié « L’arbre en ville à La Réunion » aux éditions Vétyver, un ouvrage qui replace le débat de la cohabitation des humains et du vivant en zone urbaine. Rencontre avec Michel Reynaud.
Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?
Michel Reynaud : Nous sommes deux co-auteurs Luc Daniel et moi. Je suis architecte de formation. J’ai dirigé une agence d’architecture, d’urbanisme et de paysage. Aujourd’hui, je suis à la retraite. Je suis également membre de plusieurs associations dont la Srepen (Société réunionnaise pour l’étude et la protection de la nature) et l’APN (association des Amis des Plantes et de la Nature) fondée par Raymond Lucas.
Luc, mon co-auteur, est ingénieur. Il a travaillé dans l’industrie, dans le domaine de l’énergie, dans les espaces verts et pépinière.
C’est dans ce cadre que nous nous sommes rencontrés, sur les chantiers. Nous avons réalisé ensemble plusieurs opérations de grands paysages, notamment l’aménagement paysager de Beauséjour à Sainte-Marie.
De quoi parle votre livre ?
Le sujet de l’arbre en ville est très en vogue. On trouve des études à Strasbourg, Lille, Lyon… Il y a plusieurs travaux réalisés à ce sujet.
C’est un thème majeur aujourd’hui : celui de la nature en ville, et notamment de l’arbre, souvent présenté comme l’emblème ou le « seigneur » de la nature urbaine. Nous avons voulu, avec Luc, produire un ouvrage qui aborde ces questions depuis La Réunion, en tenant compte de ses spécificités climatiques et écologiques. Les tropiques ne sont pas homogènes : ils se distinguent des climats tempérés, mais sont aussi très différenciés entre eux. Nous avons voulu écrire un livre spécifique à la biodiversité tropicale urbaine dans une île comme La Réunion.
Il s’agit d’un livre qui traite à la fois de la question générale de l’arbre en ville et des particularités réunionnaises : l’endémisme, l’histoire originale de l’île, les choix d’espèces, la fabrication des paysages urbains, mais aussi les grandes lacunes en matière d’entretien.
Comment est structuré le livre ?
La première partie propose des rappels sur l’arbre en ville, avec des notions nouvelles comme la ville éponge, la ville verte, ou encore le rôle de l’arbre dans la résilience climatique et la gestion de l’eau. Ces idées sont replacées dans le contexte du monde tropical, en s’appuyant notamment sur les travaux de Francis Hallé, un botaniste français qui a écrit La condition tropicale. Il a contribué à rendre lisible le fonctionnement particulier des forêts tropicales, à travers ses expéditions en Guyane et ailleurs.
Dans les forêts tropicales, la biodiversité est extrêmement élevée. On peut y trouver jusqu’à 1000 espèces par hectare, ou cinquante espèces de fourmis sur un seul tronc d’arbre. Cette richesse est liée à des mécanismes biologiques spécifiques, à la cohabitation de niches écologiques nombreuses. Ce sont des fonctionnements très particuliers.
À La Réunion, qui est une île plus petite, on a perdu au moins les trois quarts des milieux naturels. Ce ne sont pas tant les espèces qui ont disparu que les habitats. Il ne reste plus, ici et là, qu’un arbre indigène ou endémique, mais plus aucun milieu indigène dans son ensemble. Nous avons perdu la forêt, et avec elle, le climat.
Aujourd’hui, les réponses au réchauffement urbain passent par la plantation d’arbres, mais il faut aussi que ces arbres soient adaptés aux conditions climatiques spécifiques : sécheresse, cyclones, évolution globale du climat.
Or, les espèces indigènes sont souvent très bien adaptées à ces contraintes. Nous abordons aussi la culture de ces espèces, la recherche de semenciers, la variabilité génétique. Ce sont des sujets techniques, qui concernent les professionnels, mais qui intéressent aussi les citoyens. Produire des espèces indigènes, ce n’est pas faire du commerce international de plantes : c’est un circuit court, une démarche locale.
Nous sommes encore en train d’apprendre à connaître ces espèces. En détruisant les forêts, nous avons détruit une partie des connaissances. En les réintroduisant dans les paysages urbains, on organise des milieux, et on découvre en même temps les comportements de ces espèces oubliées ou peu connues.
Le livre contient-il une critique des politiques d’aménagement ?
Pas directement. Ce n’est pas un livre critique au sens classique. On ne fait pas une analyse politique de l’aménagement, ni une critique des choix d’urbanisme ou du paysage agricole. En revanche, nous sommes très critiques sur la manière dont sont entretenus les paysages urbains.
Les personnels ne sont pas en cause : ce sont souvent des gens formés dans le cadre des emplois verts, mais à qui on n’a pas transmis les bons outils. Cela conduit parfois à une destruction des aménagements végétalisés, et à une mauvaise image du rapport au vivant.
Ce rapport au vivant est un fil rouge du livre. Nous sommes encore marqués par une vision cartésienne : la nature doit être maîtrisée, contrôlée. Buffon disait déjà qu’il n’y avait de nature belle qu’apprivoisée. Nous, au contraire, nous rappelons les mots de Michel Serres, qui prônait un « contrat naturel » avec le vivant. Il s’agirait non plus de vivre contre la nature, mais de vivre avec elle.
À qui s’adresse votre livre ?
Il s’adresse en priorité aux décideurs, concepteurs, entrepreneurs du paysage et aménageurs. Mais il reste ouvert au grand public, aux passionnés de biodiversité ou de jardins. On y parle aussi de fleurs, d’exotisme, de choses plus accessibles. Ce n’est pas un livre tout public mais plutôt adressé à un public averti.
Nous avons veillé à en faire un livre vivant, illustré de photos, de croquis, d’encadrés thématiques. Il peut se lire de manière transversale : on peut commencer par un chapitre, puis sauter à un autre, sans suivre un ordre précis. Ce n’est pas un roman. L’idée, c’était d’ouvrir le débat, y compris sur des sujets techniques qui ont pu diviser, comme la traçabilité génétique.
Luc et moi sommes un peu au croisement des mondes : entre les scientifiques, les entreprises, les aménageurs, les maîtres d’ouvrage, les décideurs concepteurs et jardiniers… Nous faisons le lien. J’ai moi-même formé des jardiniers, et je continue à sensibiliser à la biodiversité. Le livre navigue donc entre le champ scientifique et le champ pratique.
Des interviews sont intégrées au livre ?
Oui, plusieurs. Nous avons interviewé un jardinier, Jean-Daniel Lépinay pionnier de la culture des indigènes, Catherine Morel directrice du CAUE (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) et un scientifique du CBM (Conservatoire Botanique National de Mascarin)… Le livre a aussi bénéficié du travail de graphistes, de correcteurs, et de l’implication forte de notre éditrice Gaëlle Gonthier. C’est un projet collectif.
Où peut-on se le procurer ?
Il est disponible à l’achat dans la librairie Gérard à Saint-Denis et à la librairie Autrement à Saint-Pierre.
Propos recueillis par Léa Morineau
⚠︎ Cet espace d'échange mis à disposition de nos lectrices et lecteurs ne reflète pas l'avis du média mais ceux des commentateurs. Les commentaires doivent être respectueux des individus et de la loi. Tout commentaire ne respectant pas ceux-ci ne sera pas publié. Consultez nos conditions générales d'utilisation. Vous souhaitez signaler un commentaire abusif, cliquez ici.