UN MÉLODRAME SANS FIN, ou « Hé ! j’ai déjà vu ce film… »

LIBRE EXPRESSION

Le narrateur :

Un décor

  • un quartier moderne avec bâtiments type habitat social, rond-point, mobilier urbain, voitures parquées, une
    devanture de commerçant rafistolée.
  • parfum de zamal

Les acteurs :

  • quelques jeunes désœuvrés
  • des policiers – un commissaire de police – policiers de la BAC – gendarmes – pompiers
  • le maire
  • le préfet
  • le président du département
  • un procureur
  • la population

L’unité d’action, de temps, de lieu

Ce qui se passe aujourd’hui, c’est ce qui s’est passé hier. Et avant-hier. Et c’est ce qui se passera demain. Un scenario sans fin ! Connu de tous et répété sans interruption depuis des années.

Les rôles sont connus, longuement entraînés. Chacun joue le sien, sans dérogation, s’il vous plaît !

Chaque protagoniste sait à l’avance ce qui va se passer. Au premier signal (Séquence n°1), une sorte de ferveur s’empare des acteurs qui attendent de pouvoir rejouer la pièce qu’ils connaissent par cœur. Très léger frémissement. Pas de réelle agitation. L’essentiel c’est que chacun et chacune renonce à toute fantaisie et à toute dérive.

Dans la présentation qui suit, alors que les contenus qui servent d’illustrations sont susceptibles de légères variations (indiquées dans les séquences par *var. 1 et *var. 2), il importe de respecter rigoureusement les processus de déroulement des séquences.

Séquence 1

Elle commence toujours traditionnellement par une action des jeunes si possible en présence d’une voiture de police. Exemples recommandés les plus courants :

« … Un rodéo sauvage de scooters et de motocross a été occasionné dans le quartier à la suite de la victoire du Qatar sur l’Inter Milan. Selon nos informations, un feu s’est déclaré à proximité du rond-point xxx. Le rassemblement sauvage a été dispersé par l’intervention des forces de l’ordre qui ont fait usage de bombes lacrymogènes… »

-variante 1

un individu a été interpellé, après avoir caillassé une voiture de la brigade anticriminalité qui passait par là. Placé en garde à vue, il s’est rebellé au moment de son arrestation…

variante 2

Tout débute vers 20h40, lorsqu’un individu circulant en motocross refuse de se soumettre à un contrôle de la brigade anticriminalité (BAC). L’homme, né en 2002, est finalement interpellé …

Séquence 2

  • Elle met en scène la rencontre des acteurs : jeunes d’un côté (dans la règle masqués et cagoulés) et policiers de l’autre :

Donc, suite : L’homme, né en 2002, est finalement interpellé et sa moto cross est saisie. Mais l’intervention tourne rapidement à l’affrontement.

*variante 1

Un contrôle renforcé du quartier est organisé qui déclenche immédiatement un rassemblement de deux cents personnes. Ils commencent à jeter des bouteilles en direction des forces de l’ordre. Après qu’ils aient mis le feu à des poubelles collectives, l’incendie s’en prend à deux voitures en stationnement… les pompiers appelés pour éteindre les feux sont caillassés…

*variante 2

Dispersion après 3 heures d’escarmouche entre les policiers locaux renforcés par un détachement important de la gendarmerie et la compagnie départementale d’intervention. Deux policiers blessés ont été conduits aux urgences.

Séquence 3

  • Elle évoque (brièvement) les conséquences judiciaires des affrontements nocturnes

Plusieurs jeunes ont été interpellés ce jeudi à Saint-André par les forces du RAID dans le cadre de l’enquête sur l’incendie volontaire qui a lourdement endommagé le mobilier public et l’abri bus de… dans la nuit de…

*variante 1

Quatre jeunes, par ailleurs reconnus lors des affrontements de l’avant-veille, ont fait l’objet d’une interpellation à leur domicile, dès 6 heures ce matin. Ils seront dénoncés au parquet de…

*variante 2

Les investigations se poursuivent désormais…

Séquence 4

  • Entrée de la participation au scénario des diverses autorités représentatives.

Le sous-préfet s’est rendu sur place, pour apporter son soutien aux habitants du quartier touchés par les troubles et condamner fermement l’acte criminel.

Le syndicat Police 974 dénonce une nouvelle fois ces violences, mais déplore aussi qu’un policier ait été blessé au cours de l’intervention et lui adresse ses vœux de prompt rétablissement.

Le préfet

Le préfet de La Réunion, condamne fermement les inscriptions injurieuses à caractère (à choix varié se terminant par… phobes ou…istes ou… ce qu’on voudra, là on peut inventer…

– Le maire

Le maire condamne avec la plus grande fermeté ces actes inqualifiables, qui détruisent notre légendaire « vivre ensemble ».

Assurant au passage son soutien aux forces de l’ordre et aux fonctionnaires de police « qui interviennent en permanence sur la commune pour faire respecter l’ordre et la sécurité », il convient au maire de proclamer (avec fermeté) qu’« Il faut interpeller et déférer cette minorité de voyous qui veulent remettre en cause tout le travail social et éducatif engagé » …

(Variante 🙂 Le maire « condamne avec la plus grande fermeté ces actes de violence à l’égard des policiers municipaux et des pompiers caillassés, qui sont régulièrement en première ligne dans les affaires survenues ces derniers jours, alors que les délinquants s’en prennent,,, (à choix) aux bâtiments scolaires… aux automates du Crédit agricole… aux SUV stationnés sur la voie publique… etc. »

(Dans la règle, quelle que soit la situation concernée, le maire doit absolument exprimer sa volonté d’action) : « Je dénonce avec fermeté ces actes discriminatoires. La ville mettra tout en œuvre pour que cette violence ne reste pas impunie. » (Et lorsqu’il s’agit un bâtiment scolaire, école, collège ou lycée, ne pas oublier :

« Une cellule d’écoute psychologique sera mise en place dès lundi matin pour accompagner (à choix) : les élèves… les familles… les personnels de l’EN… » Le mieux serait bien entendu que le Rectorat soit médiatiquement associé à ces mesures.

– Le président du Conseil départemental
« Je condamne avec la plus grande fermeté les agissements de ces individus qui, en dégradant le bien public, se sont attaqués au patrimoine de tous… « J’apporte mon soutien le plus total (à choix) : au personnel administratif, aux commerçants dévalisés… aux pompiers agressés et caillassés… aux forces de l’ordre…)

– Les institutions, ensemble, à la veille de campagnes électorales proches… (multiplications des mesures…)

Un Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) se tiendra vendredi… Des moyens supplémentaires vont être débloqués pour un dispositif de visio-protection élargi et une brigade de gendarmerie sera déployée.

Le procureur de la République annonce le lancement d’un groupe local de traitement de la délinquance (GLTD) qu’il mènera en personne. Déjà expérimenté ailleurs avec succès, ce groupe de travail analyse une situation donnée et détermine avec les partenaires les mesures les plus efficaces à prendre…

Les dirigeants politiques (de préférence, indifférenciation des partis, mais tout de même
tendance centre-gauche).

(Elles / ils) se disent satisfaits des décisions prises lors du Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Est citée notamment la mise en place du GLTD et le renfort militaire via un peloton de gendarmerie. Elles / ils ont aussi tenu à appeler à l’apaisement des tensions communautaires. « Il ne faut pas stigmatiser une communauté. Il faut comprendre que c’est une souffrance, les remarques et commentaires. Il ne faut jamais généraliser… »

La population (il suffit de jeter un œil sur les médias de la semaine, réactions réelles, à
reproduire sans modération)

Pourquoi a-t-on supprimé la guillotine ? Ils n’auront qu’un rappel à la loi. Une honte absolue contre ces cagnards. Toujours les mêmes – Attention, la couleur des suspects n’est que pure coïncidence. Bizarre, je la connais déjà. – Ré-émigration des parents et de leurs progénitures – Stérilisez les cassos. Et les pilotes de motocross zamalés aussi. Le QI moyen de la Réunion va bondir d’un coup – etc… Mais aussi : Très bon travail des FDO, et maintenant nous attendons que la Justice les condamne à des peines dignes de ce nom, soit le maximum prévu pour incendie volontaire (10 ans, voire 20 ans si réalisé en bande organisée). Ou alors : une lettre aux parents en recommandé avec accusé de réception, un stage de citoyenneté, et puis voilà tout. Par contre la facture, c’est pour tous les contribuables qui se lèvent tôt.

« Le maire parle de mineurs sans père et mère. Tout est dit. Et comme la justice ne condamne pas les mineurs et qu’ils sont irrécupérables à 99,99%, résultat : ils vont passer au moins 70 ans à empoisonner la vie des autres. Dans une société orwellienne, on les aurait éliminés ; mais la véritable société dystopique est la nôtre, bien réelle. »

« Comme d’habitude nos élus interpellent, condamnent, communiquent, constatent MAIS N’AGISSENT PAS ! Ras le bol de ces communiqués inutiles ! Foutez-moi dehors tous ces jeunes délinquants irréductibles qui pourrissent nos vies – Les Réunionnais (es) sont exaspérés de tous ces faits. »

« …et un grand merci aux maires qui pourrissent leur ville en favorisant l’installation de cette engeance à taux de reproduction incontrôlable ! »

Fin

Le narrateur :
Je veux dire « fin de cette partie ». Et l’on attend juste 15 jours ou quelques semaines, avant de recommencer la partie suivante. Dont il est important qu’elle ressemble à la précédente. Dans l’intervalle, il n’est pas vraiment utile de connaître les aboutissements des mesures arrêtées ou l’évolution des jeux d’acteurs. En général, d’ailleurs, il n’y a rien à en dire. Puisque aucune modification n’est envisagée.
La règle de la partie suivante est donc que les protagonistes jouent toujours le même rôle et que les textes de leurs déclarations ne varient que dans la plus infime mesure. C’est toujours le groupe des jeunes qui doit prendre l’initiative. L’expérience montre qu’il en faut peu pour qu’il soit toujours prêt à recommencer avec la même conviction et le même enthousiasme. Et la dévotion des autres protagonistes n’a aucune difficulté à entraîner réactions et réactions successives.

Un observateur :
« Mais… j’ai le sentiment que l’on tourne en rond. Qu’on revient toujours au point de départ en dépit de l’indignation collective et des condamnations, « avec la plus grande fermeté », des comportements incriminés et des sanctions consécutives … Il m’apparaît que tout ça ne sert pas à grand-chose. Ne pourrait- on pas, par exemple, intervenir sur les causes de ces actions destructrices, avec leurs enchaînements, dans cet assemblage inextricable de problèmes à la fois familiaux – éducatifs – sociaux – économiques – juridiques et judiciaires – culturels – psychologiques et de l’ordre de l’habitat. Auxquels viennent s’ajouter les caractéristiques d’une population immigrée visiblement mal intégrée, considérée globalement comme invasive, abritant et protégeant une quantité incontrôlable de fauteurs de trouble… ? Ne devrait-on pas traiter ces facteurs vitaux, et de façon continue, bien avant que les événements qu’il faut bien sanctionner aient même été envisagés ?»

L’ensemble des acteurs (excepté les jeunes et la population) :
« Oooh… mon bon monsieur … De quoi vous mêlez-vous ? Vous êtes élu, vous ? Vous avez un poste à haute responsabilité, comme nous ? Non, donc vous ne connaissez rien à l’affaire. Vous n’êtes pas compétent. On ne vous demande rien, « monsieur-je-sais-soi-disant tout » ! Occupez-vous de ce qui vous regarde plutôt que de tenir ces propos complotistes… Vous n’allez tout de même pas nous apprendre ce que
nous devons faire. Nous connaissons notre rôle, nous. On s’entraîne depuis suffisamment longtemps… »

(et puis, en musique si possible) :
« Notre confort, c’est quand rien ne change !
Avec nous et grâce à nous, l’histoire repasse les plats…
»

Allons, allons, la partie peut recommencer… Les jeunes, vous êtes prêts ?…

P.c.c.
Arnold Jaccoud

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud

Reporter citoyen. « J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud

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