LA RÉGION DÉFAVORABLE À LA MISE EN OEUVRE DES OBJECTIFS DE RÉDUCTION DE L’ARTIFICIALISATION DES SOLS
Aujourd’hui, jour férié, les journaliste se reposent. Et Parallèle Sud ouvre ses archives pour que ses lecteurs découvrent ou redécouvrent quelques sujets sympas. Celui-ci a été publié une première fois le 18 août 2023…
À l’heure où l’inaction climatique est dénoncée de toutes parts, la Région Réunion vient de dire non à la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre la bétonnisation présentés par le gouvernement. A-t-elle cédé à la pression de maires gourmands en béton et en déclassements de terres agricoles ? Wilfrid Bertile, « Monsieur Aménagement » de la collectivité, répond que le désaccord porte sur des points techniques mais que La Réunion a déjà adopté une « trajectoire vertueuse » pour limiter son urbanisation. Il reconnaît aussi une part de « peur » de la part des élus qui craignent de ne plus pouvoir développer leurs projets…
L’urgence climatique, qu’en pensez-vous ? On voit des reportages sur les chaînes nationales et internationales. Les rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sont de plus en plus alarmants. Mais La Réunion, qui n’a pas connu de cyclone dévastateur depuis longtemps, semble échapper à la sévérité de ce bouleversement planétaire.
Les apparences sont hélas trompeuses. Notre île reste sur la trajectoire de cyclones qui sont de plus en plus puissants. Sa barrière de corail se fragilise et un scénario mêlant des vagues de submersion sur les côtes, des vents de plus de 300km/h et des torrents de boues sur les habitations ne relève pas de la science fiction.
Il est établi que pour limiter la casse, il convient d’arrêter l’artificialisation des sols. Il y a deux ans, la loi « Climat et résilience » a fixé l’objectif d’atteindre le « zéro artificialisation nette des sols » en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers dans les dix prochaines années. Le mois dernier, les collectivités locales devaient se prononcer.
Des élus « vent debout » contre la réforme
Or la Région Réunion vient d’émettre, lors de la commission permanente du 11 août, un « avis défavorable » au projet de décret sur la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre la bétonnisation. Elle n’est certes pas la première collectivité à s’inquiéter de l’objectif « Zéro artificialisation ». Mais à l’heure où l’inaction climatique est dénoncée de toutes parts, y compris par la Justice qui a déjà condamné à plusieurs reprises l’Etat français pour ne pas avoir respecté ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effets de serre, le coup de frein de la Région mérite quelques explications.
C’est le vice-président de Région, Wilfrid Bertile, délégué à la révision du Schéma d’aménagement régional, qui s’en charge. Géographe de formation, il connaît trop bien les effets de l’urbanisation sur l’environnement : « L’artificialisation des sols est une sorte de nécrose du territoire et il est important d’y mettre fin. Mais les élus sont « vent debout » contre cette réforme à la Réunion comme en France hexagonale parce que ça limite la possibilité d’extension de leur commune », explique-t-il.
Il reconnaît, dans l’interview qu’il nous a accordée, que la réflexion n’en est qu’à ses prémices mais il assure que l’avis défavorable de la Région porte sur le mode de calcul des quotas d’urbanisation qui seront accordés. La Réunion revendique notamment davantage de différenciation entre les centres urbains et les bourgs ruraux. Ce que n’exclut pas le projet de décret présenté.
« On est vertueux par obligation car il n’y a plus de terrain ».
Wilfrid Bertile
Mais chacun comprendra que la commission permanente, en transformant « l’avis réservé » de la commission d’aménagement en un « avis défavorable » a surtout montré qu’elle était à l’écoute des maires, très frileux sur la question du réchauffement climatique (jeu de mot pas drôle).
Wilfrid Bertile se veut rassurant en indiquant qu’à La Réunion, « on est sur une trajectoire vertueuse. Il y a 10 ou 20 ans, on urbanisait chaque année et peu près 800 hectares. Depuis 10 ans, on en urbanisé 500 par an et ces dernières années, on est sur 300 ha chaque année… »
Le bémol c’est que cette « vertu » n’est pas fruit d’une conscience environnementale forte : « On est vertueux par obligation car il n’y a plus de terrain ». En plus, on constate que cette « trajectoire vertueuse » n’a pas mis fin à la disparition continue des terres agricoles. Il y a de quoi être inquiets quant à l’avenir et à notre capacité à y faire face.
Franck Cellier
« Ce qu’on peut faire pour le fric, on devrait pouvoir le faire pour sauver la planète »
Au-delà de l’avis défavorable au projet de décret, Wilfrid Bertile dresse un constat « inquiétant » sur la perte de terres agricoles et la vulnérabilité de notre île. Il exprime même une certaine colère quant au consumérisme et au néolibéralisme qui contribuent à la destruction de la planète…
Morceaux choisis
Seuil critique pour l’agriculture. « Les cahiers de l’agriculture, en 2006, avaient dit qu’il fallait 55 000 hectares de terres agricoles. Or la surface agricole utilisée diminue dangereusement. Elle était il y a quelques temps de 42 000 ha. Elle est maintenant à 38 000 ha Et la sole cannière dépasse à peine 20 000 hectares et arrive à un seuil où la production de cannes risque d’être insuffisante structurellement pour autoriser l’existence de deux usines. »
Menace cyclonique. « Les cyclones seront peut-être moins nombreux mais beaucoup plus violents. La Réunion, durant ces 10 ou 15 dernières années n’a pas connu de violents cyclone comme on a pu en connaître aux Antilles. Mais ça ne veut pas dire que ces violents cyclones ne se sont pas passés dans l’océan Indien. Ganilo, en 2004, a été le cyclone le plus puissant jamais constaté avec des vents de plus de 320 km/h. »
Fragilisation de la barrière de corail. « Le lagon est un mauvais état parce qu’il est attaqué de toute part : par les hommes qui vont se baigner et qui abîment les coraux, par le réchauffement climatique qui entraîne une acidification des eaux de mer et le blanchiment des coraux et surtout par l’urbanisation de son bassin versant. La disparition du lagon permettra aux vagues de haute mer d’atteindre directement la côte. Les plages vont être érodées le trait de côte va reculer et on aura un certain nombre de gens et d’activités qu’il faudra décaser en bord de mer. » Et Wilfrid Bertile de cites les zones les plus vulnérables : l’Hermitage, le Gol Saint-Louis et Saint-Pierre.
Sortir du tout-voiture. « On est obligé de prendre sa voiture pour aller travailler, pour aller se former, pour consommer des loisirs car le transport en commun reste extrêmement insuffisant. Mais on essaie de rattraper le train justement et je pense qu’à terme, on aura ce fameux chemin de fer. »
Spéculation foncière. « Il y a beaucoup de spéculations, il y a beaucoup de pression sur les maires. C’est sidérant ce qui se passe à La Réunion en matière de transaction foncière immobilière, quand on manie de l’or évidemment, ça entraîne des malversations ou des dérapages. »
Pour une Organisation Mondiale de de l’Environnement. « Pourquoi n’y a -t-il pas une organisation mondiale de l’environnement avec des règles aussi contraignantes que celle de l’OMC? Ce qu’on peut faire pour le commerce et pour faire du fric, on devrait pouvoir le faire pour sauver la planète. »
Injustice. « Le mode de vie consumériste et le système économique néolibéral mettent en concurrence tous les régimes sociaux, tous les régimes fiscaux et tous les régimes environnementaux du monde pour aller vers le moins disant. Mais les gens qui sont en train de tuer les conditions de vie sur la planète sont reconnus mondialement, accaparent les richesses et ont tous les honneurs. On vit dans un monde de fous. »
Rapport de la commission permanente du 11 août 2023
AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
Sur sollicitation de la Préfecture en date du 11 juillet 2023, la commission permanente s’est vue présenter, pour avis, l’analyse du projet de décret TREL2315292D, visant la mise en oeuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols. Au regard des enjeux de la loi 2021-1104, le délai d’un mois imparti a eu pour effet d’empêcher la Région Réunion d’une part de solliciter une expertise juridique et technique pour évaluer les effets du décret sur la révision générale du SAR et d’autre part de remplir pleinement son rôle de Personne Publique Associée. Toutefois, suite à l’analyse, la commission permanente a émis un avis défavorable sur ce décret pour les motifs suivants :
• l’article 2 et le 1er alinéa du II – 2° de l’article 1 du présent projet de décret sont inopérants et inapplicables, puisque la nomenclature « communes peu denses et très peu denses » de la grille de densités de l’INSEE n’existe plus depuis mai 2022.
• l’article 2 et le 1er alinéa du II – 2° de l’article 1er du présent projet de décret, concernant la garantie rurale, ne sont pas adaptés aux DROM, qui se caractérisent par des très grandes communes, où les espaces ruraux sont inscrits au sein mêmes de ces dernières. Celle-ci devrait prendre en compte ces spécificités, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas attribuée par communes au sens de la grille de densité de l’INSEE mais par bourgs ruraux prioritaires définis par le Schéma d’Aménagement Régional au sein de son armature territoriale.
Par ailleurs, il a été acté de sensibiliser les services de l’État sur les points suivants :
• les délais imposés pour la mise en oeuvre de la loi 2021-1104 restent incompatibles avec les délais incompressibles de la révision générale du SAR engagée le 22 novembre 2021, soit 3 mois après la promulgation de la loi. Or, contrairement aux SRADDET, l’application de cette loi ne peut se réaliser qu’au moyen d’une procédure de révision générale du SAR, imposant alors une approbation en Conseil d’État.
• l’application de cette loi devrait se réaliser au sein des révisions générales des SAR en cours, en tenant compte de leurs calendriers ; puis pour les SCoT et PLU uniquement à la date d’approbation du SAR en Conseil d’État.
Parallèlement à la transmission au gouvernement, la Région transmettra son avis aux 24 communes afin qu’elles puissent également s’exprimer sur ce projet de décret.
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