LES SALARIÉS DE L’ABATTOIR INQUIETS
Les salariés d’Evollys ont la peur au ventre. Ce jeudi 19 septembre le tribunal de commerce de Saint-Denis examine la demande de l’Urcoopa d’annuler le protocole qui régissait l’abattage des volailles depuis 2017. Derrière ce dossier juridique complexe, apparaît la pression écrasante du système agricole réunionnais sur ses acteurs.
Non à la pieuvre ! Au cas où le message photographié à l’aide d’un drone au dessus de l’abattoir industriel ne serait pas assez clair, les salariés d’Evollys ont rajouté « Urcoopa » sur la tête du zourite. Ils ont écrit « Touch pa Nout luzin » et « Tentacule pa nou ».
« C’est la première fois que l’Urcoopa (Union régionale des coopératives agricoles) tombe sur une résistance comme ça », confie l’un des membres du « groupe de travail » du comité social et économique (CSE) des entreprises Evollys Production, Evollys Services supports et EDC (Eleveurs et Duchemann & Grondin). Ils sont six à vouloir parler au nom des 434 salariés. Parmi eux deux représentants syndicaux précisent que le propos n’est pas syndical.
Plus de 400 ont signé la pétition qui s’oppose au retour de l’Urcoopa aux commandes de l’abattoir et demande la poursuite de la gouvernance mise en place par Cédric Duchemann (des abattoirs Duchemann et Grondin) depuis le protocole de 2017. Ces 400 signataires prennent ainsi parti pour l’un des deux « patrons », Ducheman-Grondin, contre l’actionnaire majoritaire l’Urcoopa.
Ils démentent être « manipulés par qui que ce soit » : « Nous défendons simplement nos intérêts de salariés parce que nous avons connu l’ancienne gouvernance », avant que l’Urcoopa, sous la présidence de Jérôme Gonthier ne confie les manettes de l’abattoir à Cédric Duchemann. C’était en 2017 et Evollys était en déficit alors que le concurrent, Duchemann-Grondin de Grand-Coude, était en position de force.
L’accord permettait à Soficoop, filiale de l’Urcoopa, de conserver 99,9% des parts d’Evollys. Il permettait aussi de répartir les productions entre l’abattoir de l’Etang-Salé (Poulets et dindes) et l’abattoir de Grand-Coude (canards, coqs et pintades). Il laissait la direction managériale à Cédric Duchemann et prévoyait de céder 50% des parts de l’abattoir à Duchemann et Grondin au 31 décembre 2024.
Augmentations de salaire et prime d’intéressement
Depuis quelques mois, l’Urcoopa a décidé de revenir sur sa signature du fait des difficultés financières de la Soficoop qui est placée en procédure de sauvegarde. L’administrateur judiciaire, Me Langet, dénoncera ce 19 septembre le protocole d’accord de 2017 devant le tribunal de commerce au motif que l’accord financier « générait un déséquilibre financier exorbitant au profit des entités du groupe Duchemann et Grondin au détriment des entités du groupe Urcoopa ». C’est ce qu’a écrit le nouveau président de l’Urcoopa, Henri Lebon, le 26 août dernier à l’ensemble des quelque 160 éleveurs avicoles.
L’Urcoopa accuse Duchemann-Grondin de récupérer plus de 100 M€ en s’accaparant le contrôle d’un abattoir construit en 2014 par Evollys pour 94 M€ financés à 40 % par des fonds publics. Les juges vont comparer les expertises financières des deux protagonistes. Mais le groupe de travail du CSE tient surtout à marquer la différence entre l’avant et l’après.
Financièrement Evollys accumulait 23 M€ de déficit entre 2015 et 2017. Sous l’ère Duchemann, l’activité est devenue bénéficiaire à hauteur de 12 M€ de 2021 à 2023.
Socialement, surtout, les salariés mettent en avant les augmentations de salaires et l’instauration de primes d’intéressement qui n’existaient pas sous la gouvernance de l’Urcoopa. La réorganisation des circuits d’abattage entre Grand-Coude et l’Etang Salé a permis de créer 200 emplois.
« Entre le marteau et l’enclume »
Selon le CSE, le revirement de l’Urcoopa relève d’ « un combat d’égo » qui les ignore. « Le nouveau président de l’Urcoopa ne peut pas raconter qu’il découvre aujourd’hui le protocole d’accord. Henri Lebon était déjà administrateur lors des discussion et il avait dit qu’il valait mieux partir gagnant avec Duchemann et Grondin que perdre seul avec la Soficoop ».
« Si l’Urcoopa obtient l’annulation de l’accord, ils vont nous faire mourir à petit feu », résume Mikael Guillou pour le CSE. Le groupe de travail estime que l’Urcoopa ne considère l’abattoir que comme un outil au service le filière avicole, Il regrette que personne de l’Urcoopa ne se soit penché sur leurs conditions de travail depuis le protocole de 2017.
Ce positionnement de l’Urcoopa oppose les salariés de l’usine aux éleveurs dont la majorité sont affiliés à la coopérative Avi-Pôle (120 élevages). « Il ne faut pas attendre de soutien de la part des éleveurs. Ils sont sous pression et ça se retournerait vite contre eux. Pourtant ils n’ont pas à se plaindre de la nouvelle gouvernance. Certains ont pu tripler leur poulailler et une vingtaine d’élevages supplémentaires ont pu voir le jour. »
Les salariés disent être « entre le marteau et l’enclume » : entre les intérêts d’Urcoopa – Avi-Pôle et de Duchemann & Grondin associés à la coopérative de Fermiers du Sud (40 élevages). Ils ne souhaitent que pérenniser le mode de fonctionnement des abattoirs qui s’est mis en place depuis 2017.
515 tonnes de volaille jetées après abattage
Les salariés qui ont plus de vingt ans d’ancienneté rappellent les erreurs passées. Pour faire tourner les élevages coûte que coûte, l’abattoir tuait des volailles non conformes pour les jeter. Ils sortent les bilan de destruction de frais et de congelés pour 2015 et 2016. 515 tonnes de viandes de volailles ont été détruites pour une valeur d’1,5 M€
Dans un courrier envoyés aux salariés des deux sociétés Evollys (Production et supports aux activités) Henri Lebon s’est voulu rassurant en promettant de ne licencier personne. Mais quid des quelque 70 salariés de Duchemann & Grondin qui n’ont pas été destinataires du courrier. Eux peuvent craindre de devenir les victimes collatérale de la guerre des patrons en cas d’annulation du protocole de 2017.
« Si on revient en arrière, les salarié seront les otages du cercle infernal de l’Urcoopa. On reviendra à la logique de vendre des poussins, de l’aliment et des volailles à l’usine qui ne sera là que pour faire vivre la filière », conclut le groupe de travail du CSE.
Pour marquer leur différence vis-à-vis de cette logique, les salariés inquiets ont lancé, cette semaine, une vaste opération de dons de poulets aux associations caritatives. « Pour mettre fin à notre grève la préfecture avait réquisitionné 55 salariés chargés d’abattre les poulets puis de les enfouir, tout ça au prétexte du bien-être animal, explique Mikaël Guillou. Nous avons refusé parce que nous ne sommes pas des enfouisseurs. Alors nous avons repris le travail en lançant cette opération de dons de poulet. » Opération programmée jusqu’à l’audience décisive du tribunal de commerce.
Franck Cellier