Les députés réunis en « commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements d’Outre-mer » ont auditionné des responsables du transport maritime, de la construction et de la grande distribution. Le constat de la vie chère est partagé mais aucun secteur n’entend en assumer la responsabilité.
« Pour nous, ce n’est pas si facile que ça ! » « Aujourd’hui, nous faisons l’effort maximum ». « Nous n’avons pas de marge de manœuvre concernant les prix ». Qu’il soit responsable de compagnie maritime, patron dans l’immobilier ou dans la grande distribution, aucun représentant du patronat auditionné jeudi 13 avril à l’Assemblée nationale n’entend être désigné comme responsable de la vie chère.
Le constat général est pourtant partagé : les écarts de prix entre l’Outre-mer et l’Hexagone varient selon les secteurs et les territoires entre 17% et 48%. L’alimentaire et les produits de première nécessité sont particulièrement impactés. Mais dès que les questions se font précises, chaque responsable se défausse.
Ainsi, selon Raymond Vidil, président de Marfret, une entreprise de transport maritime qui dessert les Antilles et la Guyane, « le prix final ne dépend pas du transport maritime. » Le rapporteur de la « commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements d’Outre-mer », le député (Nupes) de Martinique Johnny Hajjar, a beau expliquer que le « prix du fret a explosé ! », les représentants du patronat ne se démontent pas. « Le fret dans les Antilles est bas et continue de baisser, lui répond Raymond Vidil. Ces destinations sont devenues déficitaires et nous mettent en difficulté. Les Dom-Tom ne s’en rendent pas compte mais ils ont été totalement exonérés de la hausse mondiale des prix. »
Pourtant, une fois encore, le constat est unanimement partagé entre les différents armateurs auditionnés jeudi : 95% des importations viennent de France ou d’Europe et aux Antilles ce marché est très largement dominé par une seule entreprise CMA-CGM. Selon l’agence Bloomberg, les dix plus grosses compagnies du secteur maritime ont engrangé environ 120 milliards de dollars sur les 150 milliards de dollars du secteur.
« Pourquoi ne pas au moins intégrer un acteur supplémentaire dans ce secteur dans nos îles ? » interroge Johnny Hajjar. « Les entreprises ne veulent donc pas se développer ? » « Les prix sont déjà tellement bas que pénétrer ce marché en proposant des prix encore plus bas ne nous permettrait pas de rentrer dans nos frais », répond Philippe Lestrade, président de MSC France, l’un des cinq plus gros armateurs mondiaux, pour justifier son choix de ne pas travailler en Martinique et en Guadeloupe.
Sur-rémunération des fonctionnaires
Dans le secteur de la grande distribution, les députés de la commission d’enquête ne parviennent pas à obtenir davantage de réponses. Johnny Hajjar a demandé littéralement – et à de nombreuses reprises – des comptes à François Huyghues-Despointes, président du Syndicat des distributeurs et grossistes alimentaires de Martinique (SDGA), président du directoire du groupe Société antillaise frigorifique (SAFO). Sans succès. « C’est une obligation légale de déposer ses comptes. Vous préférez payer des amendes plutôt que de faire preuve de transparence. Quel est votre chiffre d’affaires ? » Pas davantage de réponse. « Pour des raisons de confidentialité, parce que le marché est trop petit et qu’il y a un nombre réduit d’acteurs, nous ne donnons pas publiquement nos chiffres », répondait François Huyghues-Despointes. « Nous vous ferons parvenir les éléments que vous nous demandez par écrit, dans le secret de la commission d’enquête. »
Pour lui, un acteur majeur de la distribution alimentaire aux Antilles avec un nombre considérable d’enseignes, « si la situation de la distribution était si bonne que cela, l’Autorité de la concurrence y trouverait à redire, or ce n’est pas le cas. Notre secteur est vu comme responsable de la vie chère parce que les clients reviennent plusieurs fois par semaine mais ce n’est pas le cas. Nos résultats sont entre 1% à 2,5%, le reste ce sont des idées reçues. »
Démonter les « idées reçues » et donner une image positive des entreprises ultramarines, c’est précisément la mission que s’est donnée un autre responsable important auditionné ce jeudi par les députés de la commission d’enquête : « Si les marges étaient aussi élevées qu’on le dit, si c’était si généreux, d’autres acteurs viendraient », théorisait Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises d’Outre-mer (Fedom). Tout juste concédait-il que « la sur-rémunération [des fonctionnaires] est sûrement justifiée, mais ne peut pas ne pas avoir d’effets. »
Octroi de mer, sur-rémunération, marges des entreprises, transport maritime : au fil des auditions de la commission d’enquête, les causes habituellement avancées pour expliquer la vie chère semblent tomber les unes après les autres. Le rapport des députés sur la question est attendu d’ici le mois de juillet.
À Paris, Julien Sartre