2,5 km de gouffre, 8 propositions, une falaise de questions

NRL : DÉPÔT DE BILAN [ÉPISODE 4/4]

Après avoir déploré la persistance du risque d’éboulement sur une route du littoral en fin de vie, l’impasse technique de la NRL et ses surcoûts vertigineux, ce quatrième épisode dresse le menu proposé pour finir la route. Il y a huit options dans la balance. Quatre d’entre elles semblent écartées par la Région, les quatre restantes coûtent entre 500M€ et 700M€. Pour l’instant…

Récapitulons avant d’entrer dans ce quatrième épisode : Le chantier de la NRL est à l’arrêt. Une demi-route devrait être livrée dans un an, une fois que le constructeur Bouygues-Vinci aura réparé les malfaçons identifiées sur les quelque 3,6 km de digues déjà construites et qu’il aura réalisé les « finitions ». À condition toutefois qu’ait été vérifiée la solidité des piles du viaduc. Le montant final de cette livraison partielle sera déterminé devant les tribunaux mais il se situera dans une énorme fourchette comprise entre 1,85Mds€ et 2,8Mds€. Ça devait coûter, soit disant, « 1,66Mds€ et pas un euro de plus ».

Restera ensuite à combler le gouffre de 2,5 km qui sépare les très chers embryons de cette dernière digue à la Grande Chaloupe et à la Possession. Entre temps, il faudra d’ailleurs les sécuriser — ce qui n’est pas donné — pour les protéger de la houle en attendant une hypothétique reprise des travaux.

Et ensuite, que faire ?

Huit options sont envisagées dans le rapport régional : (1) relancer le marché sur la base de la solution initiale, (2) réaliser une digue avec des caissons plutôt que des rochers, (3) réaliser une digue uniquement en béton, (4) réaliser un viaduc à la place de la digue, (5) remettre en état l’actuelle route du littoral en acceptant le risque d’éboulement massif sur 2,5 km, (6) abattre la falaise, (7) couvrir la route actuelle avec un pare-avalanche tel que proposé par l’association ATR Fnaut, (8) creuser un tunnel. On oublie l’idée de « voyager par la mer » évoquée lors des études préliminaires en 2005-2006.

Lors des études préliminaires en 2005-2006, toutes les options étaient envisagées.

Le rapport de 157 pages remis aux élus n’élimine pas formellement les quatre dernières options. Mais il émet de telles réserves techniques que ça ressemble quand même à un refus poli.

Le choix de s’arrêter là (5) est posé comme « le scénario a priori le moins onéreux ». Il envisage quand même d’élargir la corniche pour la calibrer au même niveau que la NRL, de refaire sa carapace et de réaliser des « casquettes » ou « pare-avalanches » sur les secteurs les plus sensibles. Mais les inconvénients sont nombreux : fermeture de la route pendant les travaux, vulnérabilité face aux cyclones et au risque d’éboulement massif. Tout ça sous la responsabilité totale de la Région.

L’abattage de la falaise (6) est qualifié de quasi impossible pour des raisons de respect de l’environnement, de fermeture de la route pendant « de très nombreuses années ». Un avantage quand même, les millions de mètres cubes de matériaux récupérés anéantiraient tout risque de pénurie pour le marché du BTP.

Le contre-projet d’ATR Fnaut (7) avait déjà été évalué très en amont, selon le rapport. Et il avait été rejeté car il n’écartait pas le risque d’éboulement. « Le fait de se rapprocher du pied de falaise semble contre-intuitif, Il s’agit du secteur le plus dangereux », dit le rapport qui  relève également les difficultés de raccordement à la NRL, les contraintes de construction sous circulation et l’impact environnemental.

Le contre-projet d’une route en pied de falaise sous un pare-avalanche imaginé par l’association ATR-Fnaut.

Quant au tunnel (8), le rapport note qu’il faudrait en construire trois et que « l’option paraît au final difficilement faisable et particulièrement onéreuse » : ça « conduirait à revoir en totalité le projet sans pouvoir valoriser ce qui a été construit ».

Bref toutes ces propositions de rupture avec le projet de NRL sont considérées comme irréalisables. Reste les autres…

Trois digues et un viaduc
La digue à talus.

La plus réalisable — pour reprendre l’esprit du rapport régional — serait donc la relance de la digue « MT5.2 » tel que prévue (1). Mais cette continuation se heurte à un problème de coût en plus du problème d’approvisionnement en matériaux. Le groupement évoquait une facture de presque 500 millions d’euros, jugée surestimée par la région qui, elle, table sur 375 millions d’euros. Et ce montant ne prend pas en compte l’éventualité d’un contournement du platier basaltique en face de la ravine à malheur. Rappelons que la fréquentation de cet endroit par les tortues de mer oblige à revoir l’approche environnementale et que les dérogations obtenues en 2013 seront bientôt caduques.

Quant aux délais, dans le meilleur des cas, c’est-à-dire en conservant le même maître d’œuvre, Egis, l’achèvement des travaux interviendrait environ six ans après le choix de la collectivité, soit fin 2027 ou mi 2028 (2 à 3 ans de procédures et 50 mois de chantier). 

Demeure toujours l’épée de Damoclès d’une pénurie de matériaux qui oblige la région à envisager l’importation de gros enrochements, ce qui représenterait un surcoût de 15 millions d’euros supplémentaires.

La digue à caissons.

Dans le cas de la digue à caissons (2), qui a déjà fait l’objet d’une étude d’avant projet, les besoins en enrochements sont divisés par deux. Cette option augmente cependant les besoins en remblais pour remplir les caissons. Il est alors prévu d’utiliser 300 000 tonnes de remblais récupérés lors du « démontage » le l’actuelle route du littoral.

Le risque de pénurie n’est pourtant pas totalement écarté. Il est envisagé d’importer les plus gros enrochements. Et le coût du marché avoisine les 500 millions d’euros. Sans garantie. Les délais de réalisation seraient sans doute rallongées par l’obligation de relancer une enquête publique du fait de la modification du marché, mais ils demeureraient comparable à ceux de la digue à talus.

La digue en caisson béton.

Le rapport évoque également la solution d’une digue verticale en caisson béton (3). Lors des études préliminaires cette option avait été rapidement écartée car son coût était chiffré à un montant 45% plus élevé qu’une digue à talus et 25% de plus qu’un viaduc. Le risque matériaux oblige la collectivité à intégrer cette digue à prix d’or pour les consultations à venir.

Construire un second viaduc coûterait au moins 560M€.

Enfin, l’option d’un viaduc (4) pour remplacer les 2500 m de digue inexistante est chiffrée désormais à 560 millions d’euros avec une marge d’erreur de + ou -20 %. À comparer avec les 693 millions d’euros du premier viaduc de 5400 mètres ! Il faudrait en effet à nouveau construire une nouvelle barge, un nouveau lanceur et une usine de préfabrication des piles. Ces équipements représentent 80 % du prix du viaduc. N’ont-ils pas été liquidés trop rapidement ?

Les délais pour construire ce deuxième viaduc seraient plus longs que pour la digue selon le rapport. Il faudrait au préalable de 3 ans à 3 ans et demi pour obtenir les autorisations et mener une campagne de reconnaissance géotechnique approfondie. Une telle campagne s’avère capitale afin d’éviter des réclamations de fin de chantier d’un même niveau que celles du premier viaduc de 5,4 km (690M€ réclamés).

Dans le meilleur des cas un deuxième viaduc ne pourrait être achevé avant 2029. Son principal avantage serait de s’affranchir de la problématique des matériaux et de répondre plus favorablement aux exigences environnementales. Ce qui pourrait éviter à la région la coûteuse mesure « compensatoire » du « démontage»  de l’actuelle route du littoral (20M€).

Le choix pour un 2ème viaduc revient aussi à renoncer aux 35M€ déjà dépensés pour la souille de la digue qui serait alors inutiles… et à privilégier le groupement du premier viaduc qui n’a pas encore démonté la barge Zourite, actuellement mise en vente aux Pays-Bas.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.