N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Parallèle Sud accueille dans ses colonnes les critiques d’un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.
L’anacoluthe, cela vous dit quelque chose ? Mais si, souvenez vous ! Je lui avais consacré un billet il n’y a pas très longtemps. Et l’énantiosémie ? De celle-là aussi je vous ai parlé il y a peu. Vous avez déjà oublié ? Eh bien aujourd’hui, tout émoustillé par un extrait d’article qui m’a laissé perplexe (« Le premier roulait après avoir consommé du zamal et de l’alcool sur un scooter débridé, prêté par un ami qui n’était pas assuré. »), je ne peux résister à la tentation d’évoquer le cas d’un ami de la famille, en l’occurrence le janotisme.
Quel est donc cet animal, me direz-vous. S’il n’est pas la plus connue des figures de style, le janotisme est sans doute la plus cocasse. Sachez d’abord qu’à l’image de sa cousine « anacoluthe », il repose sur une rupture de syntaxe maladroite et équivoque. Également orthographié « jeannotisme », le mot est issu de Janot ou Jeannot, surnoms donnés traditionnellement aux sots, et noms d’un personnage de la comédie du XVIIIe siècle, nous explique l’Académie dans la 9e édition de son dictionnaire.
La particularité du janotisme est que le coquin donne souvent lieu à des effets comiques des plus grotesques. En voici quelques savoureux exemples :
— « J’ai envoyé un lièvre à mon avocat que j’ai tué à la chasse. »
— « J’ai acheté un gigot chez le boucher qui était gros. »
— « Il fit boire des jus de citron à ses invités qu’il avait pressés lui-même. »
— « Nous prenons bien soin du cheval de mon mari qui est le meilleur étalon de la ville. »
Ou encore :
— « J’ai mis dans l’urne un bulletin pour le maire qui était nul. » Ce qui, avouons-le, nous est tous arrivé un jour…
« J’ai honte ! »
Je ne sais pourquoi, femmes, mères et belles-mères ont souvent été la cible favorite de ces curieuses tournures syntaxiques :
— « La femme donna du pain à ses enfants qu’elle venait de cuire. »
— « J’ai appelé le garagiste pour qu’il vienne vérifier la voiture de ma femme qui ne veut pas démarrer. »
— « Voilà la cheminée qu’apprécie tant ma femme que je n’ai pas ramonée depuis bientôt trois ans. » J’ai honte !
Je ne suis pas davantage fier de ce qui suit :
— « Je viens chercher du bouillon pour ma mère qui est malade dans un petit pot. »
Et le plus beau :
— « Je vais m’occuper du vieux chien de ma belle mère qu’on ne va pas tarder à faire piquer. »
Tiens, cela me fait penser à une citation de l’écrivain-journaliste Yvan Audouard qui, elle aussi, a parfaitement sa place au rayon du mauvais goût : « On ose me demander à moi qui ai un chien, un chat, une tortue, deux enfants, une femme et plusieurs belles-mères si j’aime les animaux. »
Pour me rattraper, je dirai que dimanche, une fois de plus, j’aurai l’incommensurable joie de me lécher les babines devant une spécialité culinaire concoctée par la mienne de belle-mère… qui est, bien sûr, la plus délicieuse au monde.
K.Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots