AFFAIRE SENSIBLE ENTRE MAURICE ET LA RÉUNION
Miracle écologique : l’un des plus gros animaux terrestres de La Réunion, disparu de l’île/notre île il y a plus de 200 ans du fait de l’action de l’homme, est de retour.Une chance pour la biodiversité locale !
Entendu cette semaine dans les bureaux d’une mairie de l’île, au service sécurité : « Il y quelque temps, on nous a alertés sur la présence d’un corbeau, l’oiseau a été abattu. Là, on nous informe sur des vols de roussettes, nous allons voir si cet animal est un nuisible des cultures »…
Oh que non ! La roussette noire ne peut surtout pas être considérée comme un nuisible. Sa présence sur notre territoire est tout à fait normale. Mais l’affaire est particulièrement sensible…et considérée avec sérieux par les spécialistes qui ont lancé plusieurs études depuis cinq ans pour mieux comprendre et connaître l’espèce.
Le responsable municipal cité dans l’introduction a vite été rassuré par le technicien « connaissance » de l’Office français de biodiversité (OFB), Jean-François Cornuaille, quant à la protection qui s’impose par arrêté préfectoral, sur les roussettes noires (Pteropus niger de leur nom scientifique). Les sanctions pénales encourues s’élèvent à 150 000€ d’amende et à 3 ans d’emprisonnement : elles peuvent être doublées en cœur de parc national ou au sein d’une réserve naturelle. Par ailleurs, en cas d’infraction en bande organisée, les sanctions s’élèvent alors à 7 ans d’emprisonnement et à 750 000€ d’amende.
Des vidéos circulent
Quelques vidéos circulent ces derniers temps sur des envols de roussettes à la fin du jour. On peut y voir une bonne centaine de roussettes. Chiffre que Pierre-Emmanuel Bastien, du Groupement chiroptère océan Indien (GCOI) préfère ne pas commenter, justement pour préserver la tranquillité de la colonie de roussettes noires observées. Il ne faut pas que les colonies de chauves-souris attirent les curieux.
Cette période de l’année correspond à « la phase d’élevage des jeunes, ce qui rend les roussettes d’autant plus vulnérables aux dérangements ». Les femelles mettent au monde un unique petit par an et l’élèvent durant plusieurs mois. Pour plus de précisions, lire la présentation qu’en fait la Direction de l’environnement
« Nous avons affaire à une population fragile, il ne faut évidemment pas les chasser mais il ne faut pas non plus les approcher, les perturber. C’est pourquoi aucune publicité ne doit être faite sur leur localisation », insiste Pierre-Emmanuel Bastien, chiroptérologue du Groupe Chiroptères Océan Indien (GCOI). Surtout, le scientifique estime qu’il n’est pas encore possible de déterminer si la réinstallation de la roussette à La Réunion est solide. Officiellement le mammifère est toujours considéré comme menacé d’extinction (classé « en danger critique » selon la liste rouge nationale de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)).
Au-delà de la menace que représenterait la perturbation des grandes chauves-souris par les promeneurs curieux, c’est surtout la crainte qu’elles mangent les fruits cultivés, qui rend leur présence sensible. C’est en ce sens que le GCOI étudie le comportement de l’animal, que ce soit ses zones d’alimentations, ses déplacements nocturnes ou encore ses lieux de repos.
L’accusation est quelque peu exagérée quand on sait que l’homme — qui a mangé tous les dodos, solitaires et grandes tortues de Mascareignes — est à l’origine de son extermination. Probablement que la roussette noire, également appelée grande roussette des Mascareignes (1 m d’envergure pour 500 grammes), a été consommée. Elle a surtout perdu son habitat naturel du fait de la déforestation de l’île Bourbon au cours des 17e et 18e siècles.
Des roussettes apportées par Gamède en 2007 ?
Elle était présente dans toute l’île mais a été signalée pour la dernière fois en 1801, comme indiqué dans le Plan de conservation édité en 2010. Endémique des Mascareignes, elle était également présente à Rodrigues et Maurice. Elle a donc disparu de La Réunion pendant deux siècles avant que quelques spécimens soient à nouveau observés entre 2000 et 2007. A chaque fois, il s’agissait d’individus isolés promis à une mort certaine.
D’où sortaient les « revenantes » ? Assurément de l’île Maurice, seule île à avoir conservé une population de grandes roussettes. Selon l’hypothèse la plus probable, des vents cycloniques ont porté les grandes chauves-souris jusqu’à nos côtes (cyclone Gamède en 2007). Mais leur réintroduction peut aussi avoir été d’origine anthropique (volontaire ou non).
« Il faut imaginer qu’elles n’ont pas forcément été transportées de manière directe de l’île Maurice à La Réunion. Imaginez un cyclone qui passe, emportant des graines, des insectes, des oiseaux, des chauves-souris (mais aussi des débris végétaux, des plastiques et autres déchets…). Tous ces éléments se retrouvent pris dans le tourbillon du cyclone. Les animaux lutteront de toutes leurs forces dans la furie du vent. Certains mourront de blessure ou d’épuisement dans le cyclone, d’autres seront projetés hors de la tourmente au dessus de l’océan, perdus… Certains essaieront de voler jusqu’à épuisement total. Certains apercevront peut être un petit bout de terre, une île perdue au milieu de l’océan après le passage de la tempête. Il leur faudra alors suffisamment de force pour gagner cette terre. Si cette terre est propice, peut-être y trouveront-ils de quoi se nourrir. Et si un individu arrive à s’établir ainsi, il lui faudra encore trouver un partenaire pour se reproduire et fonder une population. Tout porte à croire que la roussette noire a parcouru cette extraordinaire aventure pour se trouver à nouveau sur la belle île de La Réunion »? précise Sarah Fourasté, chiroptérologue du GCOI.
On parlait alors, dans les années 2000 de 2 à 11 individus. Elles sont aujourd’hui bien plus nombreuses. D’après les observations que nous avons recueillies, la bonne nouvelle, c’est que les grandes chauves-souris restent dans un habitat naturel. En 2018 et 2019, le GCOI, agréé pour assurer le suivi et l’étude des populations, a posé des balises GPS sur trois roussettes pour étudier leur zone d’activité à la recherche des fruits dont elles se nourrissent. Il est apparu que 86% des points de pose sont en zone naturelle, 20% en zone de végétation indigène intacte ou peu dégradée, 12% en zone à vocation agricole dont 1,3% dans des vergers déclarés.
50 000 roussettes abattues à Maurice
Les premières conclusions établissent que « la roussette noire ne cible pas particulièrement les fruits cultivés. (…) Les letchis sont fréquentés plutôt dans les anciennes plantations et plutôt en fin de saison, probablement pour les fruits très mûrs non récoltés. » En 2023, ces études sont poursuivies et un travail partenarial est en cours avec l’ensemble des acteurs du territoire pour une bonne prise en compte de l’espèce à tous les niveaux.
De plus, si les scientifiques surveillent scrupuleusement l’assiette des « revenantes », c’est pour mieux comprendre les interactions de cette chauve-souris avec le milieu naturel d’un part et la filière de production fruitière de l’île d’autre part. Il est en effet nécessaire d’avoir des connaissances fiables et fondées pour engager une concertation avec les acteurs du territoire et éviter le syndrome mauricien.. En contradiction avec toutes les conventions internationales de protection des espèces en danger, Maurice a autorisé en 2015 la lutte contre les roussettes accusées de détruire les cultures fruitières. Plus de 50 000 individus (sur une population estimée à 90 000 roussettes) ont été abattus entre 2015 et 2018 sur ordre du gouvernement Mauricien.
La différence, c’est que Maurice ne compte plus que 4 % de forêt sur son territoire (pour plusieurs dizaines de milliers de roussettes) contre 40 % à La Réunion (pour plusieurs dizaines de roussettes), avec un patrimoine mondial naturel labellisé par l’Unesco. Et il se trouve que la Roussette noire y a retrouvé son habitat naturel. Elle se nourrit de fruits et graines d’arbres endémiques. Par ses déjections et crachats, elle favorise la régénérescence d’espèces comme le takamaka, le grand natte, le petit natte, le change-écorce, le bois de pèche marron, le bois de punaise… Elle contribue aussi à la pollinisation des arbres qu’elle fréquente.
Bref, la grande roussette pourrait devenir un agent de reforestation inespéré de la forêt primaire à l’instar de ce que porte le projet de réintroduction de la perruche verte endémique des Mascareignes dans la forêt de Mare Longue à Saint-Philippe.
Photos : Timaoul
Textes :Franck Cellier
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