LIBRE EXPRESSION
Une correspondante m’écrit les lignes suivantes, très fortes d’une émotion que partagent de nombreux compatriotes réunionnais : « Si je me permets de vous écrire, c’est que la situation à Mayotte me préoccupe encore plus fortement avec l’opération Wuambushu. Je redoute une flambée de violence qui est déjà présente me direz-vous depuis trop longtemps. Qu’avons-nous fait (La France) avec cet archipel des Comores ? Cette séparation entre des frères et sœurs ? Je redoute une montée de la haine là- bas, ici aussi … Comment allons-nous parer ? Comment pouvons-nous agir ?
Ce sont des enfants sauvages, sans papiers, sans suivi administratif, sans éducation et donc sans règles, qui vivent en meute et en pleine nature. Quand l’un deux est victime d’un accident ou d’une bagarre, ils se vengent. » (extrait de l’article paru dans le JIR…). Ça fait froid dans le dos. Je me sens presque détachée du combat pour la retraite. Si proche de chez nous cette misère humaine. J’ai le cœur gros. Qu’avons-nous fait pour que l’autre se retrouve dans l’inhumanité ? Que faire ? Comment faire ? Je me sens si désarmée, si dépourvue. Un besoin pour moi d’écrire ces quelques lignes pour essayer de tenir bon dans ce monde que je ressens en déséquilibre perpétuel… »
- L’impossible dialogue comorien
Le Peuple mahorais a dit ce qu’il voulait (la départementalisation) pour mettre fin au contentieux qui l’oppose à la Grande Comore, pour lui apporter un train de vie matériel plus avantageux et pour lui donner la possibilité de s’échapper plus facilement à La Réunion ou en France comme Français. Mais c’est le contentieux qui est à l’origine. Ce contentieux est ancien, il est antérieur à la colonisation française des Comores, il date du temps des « sultans batailleurs ». Et depuis ce temps-là, les Mahorais ont recours à la France (Mayotte fut rattachée à la France en 1841).
La situation que nous connaissons est le résultat de l’impossibilité des Peuples comoriens de Mayotte et de la Grande Comore de se parler, de dialoguer pour trouver entre eux une solution d’unité et de paix satisfaisante. L’option française de Mayotte s’inscrit, radicalement, dans ce règlement de compte avec les Comores. Avec la départementalisation, elle s’inscrit, en plus, dans le choix d’un niveau de vie matériel sans comparaison avec celui des Comores. Mais du coup, Mayotte devient un centre d’attraction puissant pour les Comoriens des autres îles de l’archipel. Cela devient un problème compte tenu du nombre important de Comoriens tentés par l’émigration vers Mayotte. L’absence de dialogue entre Comoriens et la puissance de cette attraction mahoraise font que, de ce côté, la situation paraît bloquée.
La situation humanitaire mahoraise consécutive à ce blocage ne peut pas se régler, dans le contexte actuel, par les canaux institutionnels. Dans l’urgence, ce sont les organisations caritatives et humanitaires qui interviennent. Mais elles semblent, elles aussi, dépassées. L’état des bidonvilles que l’on veut radier du paysage et surtout, l’état des 5000 enfants (devenus adultes) abandonnés à eux-mêmes, le prouvent.
- Le dialogue français
Le rôle de la France dans cette affaire devient central, tant en ce qui concerne l’impossible dialogue comorien, qu’en ce qui concerne l’attraction mahoraise.
S’il n’y a pas de dialogue, comme je crois le savoir, entre Comoriens de Mayotte et Comoriens de la Grande Comore, il y a un dialogue entre la France et la Grande Comore dans le cadre de l’affaire mahoraise. La France a un pied dans Mayotte et un pied aux Comores : à Mayotte, elle brandit le bâton pour arrêter l’immigration illégale massive ; aux Comores , elle joue la carotte de la coopération, intensifiée pour diminuer l’attraction mahoraise.
Cette double orientation paraît bonne. Mais aujourd’hui elle exclut le renvoi aux Comores par la force, de plus de dix mille immigrés illégaux qui vivent à Mayotte, elle exclut également le traitement social des Comoriens non mahorais qui y sont nés. A cet égard, l’opération Wuambushu paraît dangereuse. Elle risque d’aggraver la situation.
En acceptant le verdict français des Mahorais, la France devait s’attendre à un effort comorien considérable, au-dessus de l’effort qu’elle consent habituellement en matière de coopération, pour neutraliser les effets de l’attraction mahoraise.
La solution pourrait être d’organiser l’immigration à Mayotte pour la limiter, d’accorder aux immigrés en même temps que leur nationalité comorienne, la double nationalité française (dont bénéficient, d’ailleurs, de nombreux Comoriens restés aux Comores, parfois haut placés) et les former. Les encourager à rentrer aux Comores, une fois formés, avec les ressources auxquelles ils ont droit comme citoyens français et avec une aide particulière pour leur permettre de participer au développement d’une économie comorienne. Encore faudra-t-il que les Comoriens de Mayotte d’une part, et les Comoriens des autres îles de l’autre, se mettent d’accord sur ce schéma.
Mais avant tout cela, en préalable au dialogue et à tout accord sur les mesures pratiques d’urgence, il faudrait que les Comoriens mahorais et les autres, admettent que la Grande Comore continue de revendiquer sa souveraineté sur Mayotte, et admettent le fait français de Mayotte, considérant les deux positions comme un état de fait dont il faut tenir compte, avec l’idée que les Comoriens finiront par trouver une solution pérenne à ce problème insoluble pour le moment.
- L’Indiaocéanie
Une des clés de ce problème mahorais, c’est l’Indianocéanie. Il serait temps que les dirigeants des îles indianocéaniennes (Comores, La Réunion, Madagascar, Maurice, Seychelles et demain les Chagos), sans abandonner leurs projets avec les pays du grand océan Indien (l’Afrique du Sud, l’Australie, la Chine, l’Inde, le Mozambique, etc.) se concentrent sur la construction de la Communauté Indianocéanienne. C’est par la mise en commun des ressources humaines, naturelles et financières dont ils disposent, que les Peuples de l’Indianocéanie pourront mettre en valeur, grâce à leur fond culturel commun, le potentiel de leur prospérité.
Dans l’affaire particulière qui nous occupe, pour l’Indianocéanie, les Peuples de l’archipel des Comores, français ou comoriens, sont les uns et les autres, indianocéaniens. Dans la prise en compte de l’état de fait français de Mayotte et de la revendication des Comores, et dans l’espoir que les Comoriens finiront bien par trouver la solution au problème, le travail concret en commun de l’Indianocéanie pour le développement de la communauté, donc des Comores, pourrait contribuer à débloquer la situation.
Le pari sur les frères en humanité
La suppression des bidonvilles sans relogements suffisants aggravera la situation des populations concernées, l’expulsion aux Comores de milliers d’émigrés en situation illégale à Mayotte ne paraît pas possible, pas plus que la répression. Je me garderai de jouer au prophète de malheur, mais la politique de la force n’a jamais bien fini. L’Histoire abonde d’exemples.
Mes notes, dans cet article, ne veulent pas être des propositions, mais des réflexions que m’inspire la situation des hommes, des femmes et des enfants qui vivent un cauchemar dans « l’île aux Parfums ». Les propositions appartiennent aux Comoriens de Mayotte et des autres îles comoriennes. Ni la France, ni l’Indianocéanie, ni aucune autre puissance extérieure, ne règleront l’affaire si les Comoriens ne s’engagent pas, eux d’abord.
On me traitera de « rêveur », mais en face de mon rêve, il y a le sort des Comoriens de Mayotte bien réel et dramatique. Que ne pourrait-on pas faire pour eux, avec l’argent dépensé pour le « décasage », la répression, le renvoi aux frontières ? Que ne pourrait-on pas faire, en élargissant la réflexion, avec l’argent dépensé pour les guerres qui secouent notre monde ? « Tenir bon dans ce monde en déséquilibre perpétuel », n’est-ce pas de travailler plutôt sur la fraternité des hommes que de s’en remettre à la force ? Le rêve n’est-il pas plus réaliste que l’enfer tellement réel d’aujourd’hui ?
Un dialogue comorien, une coopération française plus équilibrée, le travail communautaire des Peuples indianocéaniens, donc des Comoriens, pourraient venir à bout du scandale dont pâtissent des milliers d’hommes et de femmes. Mais les frustrations, les injustices, et les haines accumulées, les violences, les désordres et les désolations qui s’ensuivent, s’opposent, parfois violemment, aux initiatives de fraternisation, de travail constructif en commun, aux conditions de la paix et de la prospérité.
Au commencement de la paix et de la prospérité aux Comores, ce n’est pas la France ni l’Indianocéanie ni aucune autre puissance extérieure qui ont les clés de la solution, mais les Comores. Ce qui se passe aux Comores, se passe à HaÏti, au Soudan et dans bien d’autres foyers de guerres ou de situations qui y ressemblent. Un médiateur qui ne prendrait pas parti en raison des obstacles énormes qui les séparent, pourrait-il permettre un dialogue (qui sera difficile) entre les parties comoriennes actuellement ennemies ?
Paul Hoarau
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