N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Parallèle Sud accueille dans ses colonnes les critiques d’un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.
Le 3e tour n’avait pas commencé qu’il n’y avait déjà plus de Français à Roland-Garros ! Sur le court, entendons-nous bien, car en tribune, ils étaient encore des milliers, jeudi de la semaine dernière, à se casser la voix pour le dernier en lice, Arthur Rinderknech, tombé sous les balles d’un Américain nommé Fritz, ça ne s’invente pas ! Résultat : les « cocoricos » se sont tus plus tôt que prévu porte d’Auteuil. Ni Fils, le jeune, ni Monfils, l’ancien, ni aucun des 26 autres « Frenchies » admis dans le tableau final n’ont atteint l’aube du quatrième jour.
Il n’a pas fallu attendre ce piètre bilan, le pire depuis 55 ans, pour faire de Roland-Garros un de ces moments de sport où à la fin, c’est toujours le français (je parle ici de la langue) qui perd. « Roland » et ses wild-cards, ses lucky losers, ses has been en quête de reconquête. « Roland » et ses breaks, ses contre-breaks, ses débreaks et ses tie-breaks, grands ou mini. « Roland » et ses aces, ses passing-shots, ses smashes, ses balles slicées, kickées, let ou out, et ses tweeners, vous savez, ces coups entre les jambes qui excitent le public. « Roland », enfin, et ses coulisses où la langue de Shakespeare est reine, « Roland » et ses mots naturalisés et ces autres qui sonnent british à défaut de l’être vraiment.
« Tennisman » et « tenniswoman » font ainsi partie de ces termes à la sauce anglaise construits de toutes pièces par nous autres Gaulois. Car de l’autre côté de la Manche, il n’y a pas plus de tennisman que de rugbyman ou de recordman mais des « tennis players », des « rugby players » et des « record holders ». Point de plannings non plus, de footings, de joggings (le vêtement), de baskets, de parkings ou de campings, mais des schedules, des jogs, des tracksuits, des trainers, des car parks et des campsites. Ne vous en déplaise mesdames, vous ne trouverez pas davantage de brushings, de peelings, de relookings, de liftings ou de dressings, mais des blow-dries, des exfoliations, des makeovers, des facelifts et des walk-in closets. Et outre-Manche, un goal est un but et celui qui le garde se nomme un goalkeeper.
Dans l’usage courant, on dénombre une soixantaine d’anglicismes « made in France », on les appelle les franglicismes, à circuler ainsi masqués et pas que sur la terre ocre de Paris. Pour les rendre plus vrais que vrais, les linguistes ont poussé le zèle jusqu’à en affubler certains d’un pluriel de circonstance. Sont ainsi nés d’une union contre-nature les tennismen (tennismans est également admis), les rugbymen, les recordmen et les perchmen. Faut-il voir dans ce grammatical tour de passe-passe une victoire de la langue française ? Je n’en mettrais pas ma raquette à brûler.
K.Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots