N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Lu il y quatre jours : « Les demies et la finale du 110 mètres haies sont programmées lundi 21 août à 21h40 (heure de Paris). » (Outre-mer la 1ère)
Ça y est, le coup d’envoi des Jeux des îles de l’océan Indien 2023 a été donné hier soir avec l’entrée en lice du pays hôte dans le tournoi de football. Et pour me l’être longtemps posée du temps où, stylo et bloc-notes à la main, je fréquentais les enceintes sportives de La Réunion et d’ailleurs, je devine que la question ne manquera pas de faire une fois encore le tour des rédactions : doit-on écrire « se qualifier pour les demi » ou « se qualifier pour les demies » ?
Avant d’entrer dans le vif du sujet, adressons d’emblée un carton rouge à une tournure à tout le moins absurde qui recueille pourtant un vif succès dans les médias. Je veux parler de l’expression « être qualifié en demi (demie ou demies, selon les goûts), en quart(s), en huitième(s)… » En effet, « en » équivalant à « lors de », « au cours de », on ne se qualifie pas « en » demi-finales mais « pour » les demi-finales. Hélas ! on peut en revanche y être éliminé, ce que je ne souhaite pas aux sportifs réunionnais présents à Madagascar.
Il n’y a donc rien à redire au journal L’Equipe quand il écrit : « Cyréna Samba-Mayela qualifiée pour les demies du 100 m haies des Mondiaux ». Cocoricoooooo !!!!! Toutefois, cela ne nous explique pas si, en cas de nouvel exploit de notre véloce tricolore, il conviendra d’écrire qu’elle aura brillé « en demi », « en demie » ou « en demies ». Cruel dilemme !
Laissez aux vestiaires vos Grevisse, Hanse, Girodet et autres ouvrages de référence, il n’y a rien à y voir. Ils ont tous déclaré forfait. Champion toutes catégories de l’actualité sportive, le journal L’Equipe a opté pour l’accord en genre : « … les Françaises ont cette fois battu l’Ukraine en trois manches (25-10, 25-20, 25-20) en demie ». Mais il hésite sur l’emploi ou non du singulier : « Après la superbe impression laissée par Sasha Zhoya en demies ».
Alors, que choisir ? Il faut d’abord savoir que lorsqu’il est employé devant un nom auquel il est relié par un trait d’union (demi-douzaine, demi-sel, demi-journée…), l’adjectif « demi » est invariable. En revanche, quand il est utilisé comme diminutif de « demi-finale », il endosse le maillot de substantif et s’accorde logiquement en genre et en nombre (une demie, la demie, les demies).
Il n’en demeure pas moins que la presse écrite semble partagée entre « en demi-finale » et « en demi-finales » et par ricochet, entre « en demie » et « en demies ». À contre-pied de Robert et de l’Académie qui proposent « en demi-finale », je fais partie de ceux qui estiment le pluriel de mise, l’expression en question, synonyme de « au stade des demi-finales » (ou des demies), se référant au degré d’avancement de la compétition. Je conseille donc d’écrire : « la magnifique performance des footballeurs réunionnais en demies ». À l’inverse, le singulier se justifie quand le terme « demie », précédé d’un article ou d’un possessif, désigne clairement la course en elle-même ou le match en lui-même. Exemple : « la magnifique performance des footballeurs réunionnais lors de leur demie ».
Finalement, n’est-ce pas plus logique ainsi ?
K. Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots