[L’Eko la ravine] Acculturation, déculturation et assimilation, la didactique des mots 

Introduction :

Dabor inn, Mi yèm les Francofolies, les vieilles charrues, sakifo, le zouk et gwo ka dé zanty, la salsa de Cuba, le salegy de Mada … Mé la Rénion i doi èt le seul pays au monde ke i préfèr mèt la kultur déor avan son prop kultur. La muzik na poin de frontières mé i marsh pa toujours dan lé deu sens.

Kan mwin lé vnu an vakans an 1998 à Saint Gilles (a lépok mi té habit an Frans) au VVF, nou la eu droit à un seul concert de muzik lo promié soir d’accueil. Nou la rogard bann tourist zorey, bana té konpran pa poukoué lavé pa in spektak séga ou maloya ! non, nou la eu droit à des chansons fransé, amérikin é anglo-saxons. Bana la di anou zartis kréol i travay pa au mois d’août, Bienvenue à l’ile intense !

Acculturation, Déculturation et Assimilation

3 processus pour un même résultat : celui de la perte d’identité d’un groupe défini. Kosa i di le diktionèr ?

Acculturation : Processus par lequel une personne ou un groupe assimile une culture étrangère à la sienne.

Déculturation : Perte de l’identité culturelle (d’un groupe ethnique).

Assimilation : « qui prône l’intégration des personnes immigrées par l’imposition de la culture majoritaire et efface ainsi les particularisme »

Alon war in kou.

Si j’ai bien compris, l’assimilation s’applique plutôt à des étrangers en minorité dans un pays et l’acculturation et la déculturation concernent une population qui intègre des apports ou influences extérieures en étant sur son territoire. Je me permets de faire un parallèle entre la notion d’immigré et celle d’expatrié. Lorsque les autres arrivent chez moi (dans l’Hexagone) ce sont des immigrés, lorsque je pars chez l’autre, je m’expatrie, nuance. La didactique du dictionnaire est implacable et bien pensée par ses auteurs. Dans certains cas les définitions du dictionnaire ont le pouvoir de masquer des situations inconvenantes et de nous faire passer des vessies pour les lanternes. En gros le dominant impose sa vision et raconte l’histoire à sa manière.

Le modèle français

Nous savons tous que les peuples importés d’Afrique, d’Inde et d’Asie à la Réunion sont passés successivement du statut d’esclaves et d’engagés à affranchis puis de colonisés en départementalisés. Un long processus qui a fait que nous sommes français depuis quelques temps. Ce processus ne s’est pas fait sans heurt et notre histoire est jalonnée d’incidents issus de frictions entre les cultures dites spécifiques d’une part et dominante (française) d’autre part. il suffit de se rappeler des chasses à l’homme noir ou au communisme, des punitions infligées, des déportations ou exils forcés, des interdictions de jouer du maloya ou de pratiquer le moring en public, interdiction de parler créole à l’école et dans les administrations… avec pour seul modèle le prestige français (même ma mère était en admiration, une fan de Paris-Match).

il s’agirait donc dans le cas présent davantage d’assimilation déportée que d’acculturation. Nous n’avons pas eu le choix. Mais ce processus est infiniment sournois puisqu’étant français aujourd’hui avec une culture dominante nous devrions être assimilationnistes de fait. Il y a un schisme quelque part ou alors le processus n’est pas achevé (voir les citations en bas de page).

Perte d’identité

Il n’est pas achevé mais en voie de l’être. Ainsi les peuples opprimés à la Réunion ont eu droit à l’assimilation forcée et imposée (époque coloniale) qui a amorcé l’acculturation, puis à une seconde vague d’influences depuis quelques années (gentrification post coloniale), qui va nous conduire inexorablement à la déculturation (perte totale d’identité). C’est peut-être défaitiste mais un brin réaliste.

Avec tout un panel de positionnement allant du noir- Kaf-kréol modeste au plus fortuné qu’il soit blanc ou pas. C’est la foire annoncée. Certains devront subir cette transformation à leurs dépens et même résister, d’autres auront déjà fait le choix de la culture dominante et d’autres encore seront atteints de mimétisme contagieux. Nous le constatons déjà aujourd’hui.

Les rougails saucisses, kabar maloya, Pitons cirques et Remparts… pourraient faire figure de curiosités comme nous le racontent les nombreux clichés sur une ile qui ne nous appartient plus.

Georges Ah-Tiane 

P/ l’Eko la Ravine

Quelques citations :

Sur la « politique indigène » : dans les dernières années du xixe siècle, l’imitation est convoquée dans la polémique entre « assimilation » et « association ». Dans les années 1920 et 1930, elle est au centre de la « sociologie coloniale » de René Maunier. L’imitation est enfin et surtout objet de préoccupations de la part de l’administration coloniale. Dans la mesure où celle-ci se donne pour tâche de reproduire le grand partage entre « indigènes » et « citoyens », elle doit faire face à une double contrainte posée par l’existence de phénomènes mimétiques : si l’imitation est l’instrument privilégié de la « mission civilisatrice », elle remet en cause la dichotomie colonisateur/colonisé au fondement de la domination coloniale produisant des « décivilisés » européens et des « évolués » indigènes. (Emmanuelle Saada)

  • L’ancienneté du fait colonial (Paul Niger)

L’étiquette « Départements d’Outre-Mer » laisse entrevoir je ne sais quelle palpitation physique de morceaux de chair métropolitaine prospérant sous d’autres cieux avec une perpétuelle nostalgie du ventre originel ; elle recouvre en réalité une entreprise très concrète, très comptable, très commerciale qui, au cours des siècles, ne s ’est pas embarrassée d’inutiles scrupules, même si, par moments, elle s’est revêtue d’oripeaux engageants et de masques trompeurs. « L’assimilation « fut un de ces merveilleux trucs politiques crée pour les besoins du maître, passé en mode accepté comme vérité par ceux-là mêmes qu’il eut charge d’endormir, de ligoter, d’anéantir.

La doctrine de l’assimilation et la colonisation (Françoise Vergès – journal Témoignages)

La colonisation “éclairée” par les Lumières

La politique de l’empire romain servit de modèle aux empires coloniaux du 16ème au 18ème siècle. Mais alors que le commerce remplaçait la conquête, la philosophie des Lumières remplaça l’évangélisation et proposa d’autres formes d’assimilation culturelle.
Les philosophes des Lumières apportèrent leur contribution au débat sur la colonisation en proposant de remplacer les « tyrans, prêtres, hypocrites » du vieil ordre par les scientifiques éclairés du nouvel ordre mondial et de substituer à la conquête physique et spirituelle l’instruction éclairée.
Condorcet expliquait ainsi cette nouvelle colonisation : « Les peuples d’Amérique, d’Afrique, d’Asie et d’autres contrées lointaines semblent n’attendre que d’être civilisés et de recevoir de notre part les moyens de l’être et de trouver des frères parmi les Européens pour devenir leurs amis et leurs disciples ». (2)

Entre assimilation et intégration…

Pendant l’expansion coloniale, le débat fut repris. Quels devaient être les termes du contrat qui liait la métropole et ses colonies ? Quel devait être le statut des coloniaux ?
La théorie de la conquête coloniale reposait sur deux doctrines qui se voulaient différentes : la doctrine de l’assimilation et la doctrine de l’intégration.
Arthur Girault, qui fut l’architecte de la doctrine assimilationniste, présentait dans son ouvrage classique « Principes de colonisation et de législation coloniale » (1894) une argumentation détaillée des idéaux de l’assimilation. L’assimilation, écrivait-il, « est l’union plus intime entre le territoire colonial et le territoire métropolitain ». (3) Son but « est la création progressive de véritables départements français ». « L’assimilation, poursuivait Girault, doit être pensée comme l’héritière directe du projet de la Révolution française, car la Constitution de l’An III (1795) avait déclaré que les colonies étaient “partie intégrante de la République” ». (4)
L’assimilation était annoncée dans les « principes de 1789, l’égalité d’accès de tous les citoyens aux fonctions publiques et au devoir de juré, la liberté de la presse et le suffrage universel ». (5)

Un concept ambigu, contradictoire…

L’historien Jean Fremigacci a montré combien le concept d’assimilation était un concept ambigu et extrêmement contradictoire, qui ne pouvait produire que frustrations et mécontentements. (6)
Dans ses « aspects politiques et économiques, l’assimilation signifiait l’oppression et était donc en totale contradiction avec le contenu social et de progrès suggéré par le terme ». (7)
De plus, quand les colonisés demandaient l’application de l’assimilation dans le champ des lois civiles, le pouvoir colonial résistait chaque fois.

… voire colonialiste

Pour l’historien Benjamin Stora, un des buts de la stratégie de l’assimilation était d’homogénéiser les individus, d’effacer les particularismes.
Mais un des autres buts de l’assimilation était la mise en place d’une « stratégie de différenciation et de ségrégation fondée sur la présupposition qu’il y avait des différences entre les colonisés et les métropolitains ». (8)

Mieux vaut « l’association »…

Pour des hommes comme Jules Harmand et Albert Sarraut, partisans de la « doctrine de l’association », celle-ci permettait de répondre aux contradictions soulevées par la domination coloniale. La doctrine de l’association rejetait une colonisation basée sur l’idée d’une « supériorité de la race blanche » et de son « destin » à coloniser les « races inférieures ». Galliéni, qui avait conduit la conquête de Madagascar, déclarait que le but de l’association était « d’intéresser les indigènes à l’administration de leur pays et de les associer au développement de nos nouvelles possessions ». (9)

… et finalement la politique néo-coloniale

L’économiste Paul Leroy-Beaulieu, dans son ouvrage « De la colonisation chez les peuples modernes » (1874), écrivait que la colonisation devait être un « échange permanent d’influences, une réciprocité de services, une continuité de relations dans un monde de dépendance mutuelle, entre une société qui est encore dans l’enfance et une société adulte ». (10)
Sarraut réalisa finalement la synthèse des deux doctrines et publia en 1923 « La mise en valeur des colonies françaises », ouvrage dans lequel la politique néo-coloniale était annoncée.
Santé et éducation formaient les piliers de cette politique. (11) La colonisation elle-même n’était pas questionnée. « Leur » pays, « nos » possessions, comme l’exprimait Galliéni. Ce qui était en jeu, c’était la forme sous laquelle cette colonisation serait organisée, administrée.

Françoise Vergès

A propos de l'auteur

Georges Ah Tiane | Reporter citoyen

Georges Ah-Tiane est impliqué dans la vie associative depuis 1990. En France où il a vécu de nombreuses années, il s’est investi dans la promotion de la culture réunionnaise au travers de nombreux biais : en créant des associations, en enseignant le créole, en mettant en avant le patrimoine culinaire péi ou encore la musique. Il a créé des ponts entre La Réunion et la diaspora installée en France. Il a participé à une radio associative pendant douze ans avant de créer des fanzines ou petits journaux, « carry créole », « la lettre d’art’s ». De retour à La Réunion, il s’est impliqué dans la langue créole et « la conscientisation », avec l’objectif d’analyser la société réunionnaise, comprendre son fonctionnement. Dans le but de « voir quels sont les freins et comment les contourner pour aller de l’avant ». Cette chronique hebdomadaire fait suite à la gazette “kreo-lutionnaire” imprimée, l’Eko la Ravine, qu’il a tenue entre 2019 et 2020.

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