[LIBRE EXPRESSION]
Dix collectifs signent une motion s’insurgeant contre toutes les formes d’aliénation qui pèsent sur la société réunionnaise. Opposés au nouveau centre d’enfouissement à Franche Terre, au projet d’incinérateur de St Pierre (UVE), au plan régional de prévention et gestion des déchets, à la Programmation pluri annuelle d’Energie (PPE), au projet de Parc du Volcan et à la privatisation du littoral Réunionnais, ils demandent, notamment un référendum d’initiative populaire.
Saint Pierre, le 10/11/2021
I – Éléments de contexte :
De l’aliénation de la terre et des ressources…
Qu’est-ce que l’aliénation en 2021 sur un territoire insulaire comme la Réunion ?
La question peut paraitre anachronique, dépassée, has been…
Mais s’interroger sur ce phénomène, en tant que Réunionnais, c’est révéler tout ce dont on nous prive subtilement, en tant qu’être humain, ancré dans un territoire. C’est comprendre les mécanismes à l’œuvre qui suppriment notre originalité, notre façon d’être-au-monde et son espace d’expression. En somme, c’est le regard artificiel et scandaleux de l’Horizon qui nous dépossède de la liberté fondamentale de disposer de nous-mêmes… Car la « pandémie » de l’aliénation porte en elle la sourde acculturation, comme la nuée porte l’orage.
Poser la question de l’aliénation dans notre Péi revient à mettre la terre au centre des enjeux.
D’abord dans l’Histoire, une terre aliénée au profit de grands propriétaires fonciers qui s’accaparaient les produits de celle-ci par l’intermédiaire du travail servile d’une majorité de la population. Une terre qui n’aura pas connu de libération, malgré 1848 et la fausse émancipation de la main d’œuvre servile des bitasyon, contrainte pour survivre de s’enchainer à nouveau, de s’aliéner dans les outils du travail agricole pour le compte des mêmes familles.
Que dire de la politique de remembrement foncier pratiquée par la France dans les années 60, qui n’a au fond jamais concerné notre territoire…
Au fil du temps, on nous a appris à tourner le dos à cette terre, pour chercher notre salut dans la tertiarisation d’une économie, basée sur la rente administrative et les transferts. L’économie dite d’import-substitution a entériné cette logique d’aliénation, remplaçant une partie des denrées produites par notre sol, par celles qui « poussent » sous d’autres cieux et autres produits de consommation « magiques » manufacturés, à l’ombre des milliers de conteneurs qui arrivent chaque jour sur les quais du Grand Port.
… A l’aliénation culturelle
Que vise cette entreprise d’aliénation globale ?
Nous détourner au fil du temps de notre terre, nous apprendre même à la mépriser par conflits familiaux successifs quant aux questions épineuses de succession, des règles d’indivision qui fracture l’unité familiale en somme d’intérêts particuliers. Faire de cette terre un « problème », un tracas, un fardeau dont on doit se défaire au profit de quelques milliers d’euros. Reléguer tout bonnement la terre en unités parcellaires à des spécialistes, des experts des sciences de la gestion, de la rationalisation de celle-ci, est une entreprise de transformation culturelle globale.
Ceux qui savent gérer les patrimoines, contre les déshérités ; ceux qui savent aménager, loger, ceux qui savent convertir la gaulette et l’hectare en plus-value financière, contre les endettés à vie ; ceux qui la thésaurisent, contre les damnés de la Terre !
En 2020, dans l’écho mondial du mouvement de déboulonnage des statues coloniales, à La Réunion, on ne déboulonne pas Mahé Labourdonnais. On le peint en rose, on le déguise, on l’habille à l’occasion d’une pancarte… Au-delà de la chute, on attend toujours les garanties des 40 acres et une mule.
34 ans après l’assassinat du Capitaine-Président Sankara (15 octobre 1987), qui ouvrait la voie de l’émancipation et des souverainetés (alimentaire, agricole, énergétique) pour son peuple (Burkinabé) et l’ensemble des peuples opprimés,
60 ans après un ‘octobre noir sur Paris’ (17 octobre 1961), où le peuple algérien en lutte pour son indépendance, se révolte suite à l’instauration d’un couvre-feu racial – sous le gouvernement de Michel Debré, 1er ministre de l’époque…
Deux dates qui devraient faire écho à notre conscience d’opprimé, compte tenu de l’actualité des couvre-feux sanitaires, de la restriction des libertés, et la question de la souveraineté alimentaire et énergétique dans un climat mondial tendu. Pourtant l’on préfère détourner notre attention, en nous vendant un show de reprise de la vie mondaine à l’occasion des 50 ans du Téat Plein Air (15-16 octobre 2021).
En 2021, une histoire de l’aliénation se perpétue toujours dans notre Péi. Spolier 40 ha de foncier agricole à la Plaine des Cafres, dans le cadre d’un projet de parc d’attraction : c’est de l’aliénation !
A l’heure où de jeunes agriculteurs pâtissent du manque de terre agricole pour leur installation. A l’heure où 166 ha de terre agricole sont concédés quasiment par copinage à un seul technicien de la grande industrie sucrière. A l’heure de la pénurie mondiale de conteneurs qui assurent notre alimentation locale. Consacrer plus de 80 ha entre Ste Suzanne et St Pierre pour l’incinération et l’enfouissement des déchets : c’est encore de l’aliénation.
A l’heure du moratoire européen qui invite depuis 2017 les Etats membres à se détourner des incinérateurs (COM(2017)34, du 31/05/2017) et à ne plus les financer. A l’heure de la hausse de la facture énergétique pour les ménages réunionnais (augmentation du prix du carburant, et de l’électricité). A l’aube de l’importation d’1,5 millions de tonnes de bois de pelets en remplacement du charbon, alors que le prix du fret va exploser.
Privatiser le littoral de Manapany pour le compte de grands groupes hôteliers, comme s’accaparer le littoral saint paulois pour le compte de quelques restaurants illégaux : c’est toujours de l’aliénation !
Faire de notre terre le facteur de notre propre dépossession, pour l’offrir en pâture au seul secteur économique de distraction : le tourisme, est la marque d’une économie encore coloniale, atrophiée, mais révèle également la complicité d’un pouvoir politique décadent, complice des turpitudes d’une bourgeoisie en mal d’exotisme et de tropicalisme.
II – Motion :
• Contre le nouveau centre d’enfouissement à Franche Terre,
• Contre le projet d’incinérateur de St Pierre (UVE),
• Contre le plan régional de prévention et gestion des déchets,
• Contre la Programmation pluri annuelle d’Energie (PPE),
• Contre le projet de Parc du Volcan,
• Contre la privatisation du littoral Réunionnais
Pour Un Grand plan régional d’Économie circulaire et de Programmation Énergie, créateur de ressources et d’emplois. Considérant qu’on décide de notre vie, sans nous concerter et en violation de nos droits les plus fondamentaux : le sol où nos ancêtres ont fait pousser ce qui nous a permis d’être là, notre eau, notre liberté. Nous voulons mettre un cran d’arrêt à l’hypocrisie des incantations de l’autonomie énergétique et économie circulaire en 2030 de la Réunion !
Tant qu’on continuera à conduire la Réunion comme on le fait depuis 40 ans et que l’on continue encore à le faire avec le nouveau centre d’enfouissement et le projet d’incinérateur, qui a justifié une révision accélérée de notre Programmation pluri annuelle de l’Energie (novembre dernier) sous l’ancienne majorité régionale ; PPE qui demeure inchangée malgré l’alternance de majorité ! Il ne s’agit que de la somme des politiques des producteurs d’énergie dont l’objectif est uniquement de préserver leur rente de situation, de certains dans la continuité de l’économie de comptoir, que la classe politique traditionnelle (gauche/droite) dénonce, mais continue d’approvisionner, et ce au détriment de notre bien commun !
Depuis 40 ans on massacre notre terre en enterrant nos déchets, et maintenant on nous dit qu’on doit incinérer pour arrêter d’enfouir ! Le chantage de la peste et du choléra : on va continuer à enfouir 60% de ce qu’on ne pourra pas brûler. D’ailleurs, on enterre déjà un CSR (combustible solide de récupération) que les politiques nous ont fait payer 2 fois ! Notre question n’est plus de savoir pourquoi et à qui profite ce nouveau crime et combien notre bien commun va encore être spolié ! Mais comment faire stopper ce massacre de notre avenir !
Ainsi considérant que l’impact négatif de l’incinération des déchets (fumées) sur la santé et sur la biodiversité est aujourd’hui reconnu par une large communauté scientifique et médicale, Considérant le moratoire européen sur la construction de nouveaux incinérateurs (COM(2017)34, du 31/05/2017), encourageant les état membres à réduire leurs déchets plutôt que de miser sur la construction de nouveaux incinérateurs, qui sont des investissements couteux tant en investissement qu’en exploitation, émettant des polluants dans l’air, l’eau, et produisant des résidus toxiques issus de la combustion qu’il va falloir enterrer à nouveau, justifiant ainsi du nouveau centre d’enfouissement qu’on impose aux habitants de Ste Suzanne !
Au-delà des habitants de Ste Suzanne, notre motion s’adresse aussi aux habitants du sud qui bientôt boiront de l’eau et respireront un air pollué par les résidus toxiques issus de l’incinération, et plus globalement à tous les Réunionnais qui veulent préserver leur Terre !
Considérant que brûler des déchets revient à détruire des ressources qui auraient pu être économisées, réutilisées ou recyclées,
Considérant la voie préconisée par l’Europe qui est désormais de se focaliser sur les premiers échelons de la « hiérarchie des modes de traitement » qui guide les priorités dans la prise en charge des déchets, c’est-à-dire la prévention (consistant à éviter de produire des déchets), la réutilisation et le recyclage des déchets
Dans ce cadre, nous soulignons les axes qui pourraient être portés collectivement à la Réunion :
• Agir pour la réduction des déchets à la source, et notamment en portant au niveau national un projet de loi visant à l’arrêt des suremballages et à l’obligation des emballages biodégradables, de même qu’à la création d’un délit d’obsolescence programmée ;
• En agissant au niveau départemental pour la réduction visible du gaspillage alimentaire ;
• Agir sur les comportements, en développant la responsabilité individuelle et collective avec des dispositifs incitatifs et en favorisant par tous les aménagements nécessaires le tri sélectif des déchets à la source ;
• Fixer un objectif strict de réduction de la production d’ordures ménagères et assimilées dans le département, et se donner les moyens de contrôler l’objectif et de conduire toutes actions favorisant l’atteinte de l’objectif ;
•Soutenir les réseaux locaux de réemploi et de réparation, les aider dans leur développement économique, et plus globalement agir pour la création d’une filière d’avenir innovant à La Réunion en matière d’économie circulaire ;
• Soutenir et favoriser une filière d’avenir régionale en matière d’écoconception et
d’écoconstruction ;
• Rénover la gouvernance départementale en matière de gestion des déchets, pour une meilleure légitimité démocratique et une vraie participation citoyenne aux enjeux partagés de notre territoire ;
• Engager dès à présent la transition, pour abandonner définitivement le modèle reposant sur l’incinération au profit d’un modèle alternatif plus responsable, plus soutenable et plus rentable pour les collectivités et les citoyens de notre territoire.
Considérant ces points, nous appelons à une motion pour bloquer la PPE, ce projet d’incinérateur (UVE) et le nouveau centre d’enfouissement (ISDU), pour ne pas bloquer structurellement la réduction progressive des déchets à éliminer. Car une fois construit, l’incinérateur aura besoin de déchets pour fonctionner à plein régime pendant plusieurs dizaines d’années. Ce sera une ultime étape vers une aliénation définitive sans retour !
Considérant la volonté des citoyens de changer de modèle en matière de gestion des déchets, comme en matière énergétique, ou encore alimentaire, de santé, et de mobilités.
Nous proposons une motion pour un référendum d’initiative populaire sur ce sujet et nous appelons à une conférence territoriale d’Action Publique (CTAP) sur les déchets, la question énergétique et l’économie circulaire, associant largement la population, Domoun, pour imaginer et construire une vraie stratégie responsable et durable en matière de prévention et gestion des déchets, engageant aussi vers une stratégie Energie, Alimentation et Mobilités pour assurer notre émancipation territoriale définitive et réelle.
Nous en appelons via ce Front à toutes les forces vives de la Réunion,
Nous en appelons à l’insurrection des consciences,
Nous en appelons à la responsabilité de tous les décideurs publics,
Nous en appelons au Préfet dans sa capacité à arbitrer ces dossiers,
Kolektif Arèt Anter Anou
La Rényon Revolte
Komité Réyoné Panafrikin (KRP)
Association militant pour l’accès aux terres agricoles à la Réunion (ACDIR)
St Pierre + verte
Résistance Réunionnaise Contre la Dictature aux Comores (RRDC)
Collectif Avocats Réunionnais
World Clean Up Day
Collectif Contre l’Enfouissement 974
Domoun Zazalés
Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.