N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Il y a quelque temps, je lisais sur un site d’information local qu’ « à l’occasion de la journée mondiale de l’élimination des violences faites aux femmes, plusieurs opérations de sensibilisation (seraient) organisées aux quatre coins de l’île ».
Chouette idée, me dis-je d’abord, ne regardant que le fond. Seulement voilà, j’ai beau chasser mon naturel de vieux pinailleur, il ne tarde jamais à revenir à bride abattue. Cette fois, il fut d’autant plus rapide à rappliquer que j’ai toujours estimé que l’emploi de l’expression « aux quatre coins de » était tout, sauf frappé… au coin du bon sens. Comment en effet parler des « quatre coins de l’île » sachant qu’elle n’en compte pas le moindre ?
Je ne suis pas le premier, tant s’en faut, à déplorer que la sémantique soit parfois un domaine à géométrie variable. Ainsi la cartésienne Académie n’a-t-elle pas ménagé ses critiques envers l’expression « aux quatre coins de », qu’elle qualifie d’ « aberrante ». Dans son élan, elle conseille vivement « de ne pas parler » des quatre coins du globe et juge « scientifiquement inexacte » l’expression « aux quatre coins de la Terre », concédant toutefois qu’ « elle a pour elle l’ancienneté et le fait qu’elle date d’un temps (le XVIe siècle) où l’on imaginait notre planète comme étant plate ».
Au mépris des chiffres, d’aucuns expriment au contraire quelque indulgence envers la forme décriée. En guise de défense, ils plaident la mauvaise influence de la variante « aux quatre points cardinaux » qui signifie « dans toutes les directions ».
Alors, doit-on prendre au pied du chiffre l’expression « aux quatre coins de » ou la percevoir sous son acception figurée de « en tout lieu, partout » ? Je vous laisse bâtir votre opinion. Pour échapper aux calculs biliaires, je vous conseillerais toutefois de contourner l’obstacle et de vous réfugier derrière la formule « à tous les coins de », autrement consensuelle.
Quoi qu’il en soit, il y a bien longtemps que l’usage ne s’embarrasse plus de tels scrupules arithmétiques. En fouinant sur internet, j’ai même découvert qu’un festival « Aux quatre coins du mot » avait vu le jour à la Charité-sur-Loire. Une façon, sans doute, de rappeler que la langue française n’est pas une science exacte.
K.Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots