[Chronique] N’allez pas dans le Vaucluse !

N’AYONS PAS PEUR DES MOTS

Lu : « Drame dans le Vaucluse : décès d’une fillette, renversée par un engin de chantier » (linfo.re)

Notre France est un bien beau pays, ne trouvez-vous pas ? Il faudrait être recouvert d’une sacrée couche de mauvaise foi pour prétendre le contraire. Mais si tous nos départements recèlent, ici de décors somptueux, là de petits endroits charmants, il en est parmi eux qui ne facilitent pas la vie des usagers de la langue que nous sommes. 

Prenez le cas de la Maine-et-Loire, par exemple. Eh oui ! j’ai bien dit « de la Maine-et-Loire » et non « du Maine-et-Loire ». C’est la règle. Elle est écrite noir sur blanc sur le site de l’Académie : « Les noms de départements français formés par deux termes coordonnés par et sont de genre masculin si au moins l’un des termes qui les compose est masculin. » Le Lot-et-Garonne est donc un mâle, un pur, un dur, un tatoué, mais la douce Maine-et-Loire, mariage de la Loire et de son affluent la Maine, est bien une demoiselle. 

Oui, enfin, c’est ainsi que les choses auraient dû se passer, car la réalité est tout autre. Aussi, que les habitants de Beaupré-en-Mauges, des Cerqueux ou de Bécon-les-Granits, qui ont toujours cru mordicus que leur département était un pépère, se rassurent : le féminin n’est jamais entré dans l’usage. Comme pour signifier une certaine gêne, l’habitude a toutefois été prise d’employer l’asexué « de » devant Maine-et-Loire lorsque ce dernier (ou cette dernière) est utilisé(e) comme complément : la préfecture de Maine-et-Loire, la Fédération pour la pêche et la protection de Maine-et-Loire, les spécialités culinaires de Maine-et-Loire, etc. Bref, courage, fuyons !

Pour rester dans le thème, j’avais envie de d’évoquer un article de l’Agence France-Presse paru sur un site d’information « péi ». Il y était question d’un fait divers sordide survenu « dans le Vaucluse », là où, je le sais, d’autres auraient préféré « en Vaucluse ». L’Académie, encore elle, est catégorique : « Vaucluse » (le département) tirant son nom de la fontaine de Vaucluse, il n’y a pas lieu d’en faire un nom masculin. Pas téméraires, les grands et vieux sages du quai de Conti se bornent cependant à préconiser les formes « de Vaucluse » et « en Vaucluse », lesquelles ne laissent rien deviner de l’entrejambe (sans s) de ce joli coin de France. Petit doigt scotché à la couture du pantalon (ou de la robe), les collectivités locales vauclusiennes et le quotidien régional La Provence ont suivi le mouvement. « On ira donc en Vaucluse visiter les villes de Vaucluse », en conclut le linguiste Marc Raynal (site Parler Français). Et Dieu sait si certaines d’entre elles valent le détour : Orange, Cavaillon, Avignon…


Tiens, à propos, va-t-on en Avignon ou à Avignon ? Si la question s’est autrefois posée, seuls quelques pédants nostalgiques d’un temps où Avignon était un État pontifical s’acharnent encore à prôner l’emploi de la préposition « en ». Sans condamner cette tournure archaïque, l’Académie, notre papesse de la langue, conseille de l’éviter et de s’en tenir à la règle qui veut que devant un nom de ville, de commune ou de bourg, on emploie « à ». En résumé, « en Avignon » est à ranger aux oubliettes. Idem pour la poussiéreuse « en Arles », souvenir jauni d’un temps où Arles était un royaume. 

Dieu merci, loin des yeux, loin de la langue : notre île est à l’abri de telles dilemmes linguistiques, me direz-vous. Quoique… Vit-on à Étang-Salé ou à L’Étang-Salé, à Trois-Bassins ou aux Trois-Bassins, à Entre-Deux ou à L’Entre-Deux ? Les habitants de Sainte-Suzanne sont-ils des Sainte-Suzanniens ou des Sainte-Suzannois ? Et puis, doit-on écrire « île de la Réunion », graphie adoptée par le décret de la Convention nationale du 19 mars 1793 officialisant le nouveau nom de la colonie, ou « île de La Réunion », selon l’usage en vogue de nos jours ? Les débats sont ouverts. 

K. Pello

Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots

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Kozé libre

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