Quelles sont les causes des désastres écologiques dans les départements et territoires d’Outre-mer français ? Pourquoi l’écologie politique n’y prend-elle pas racine ? Troisième volet de notre série sur la présidentielle vue d’Outre-mer.
Dix millions de kilomètres carré de Zone économique exclusive maritime (ZEE) et les fonds marins correspondants, ce qui représente 20% des atolls coralliens dans le monde, des biotopes parmi les plus riches de la planète, à l’image de la forêt amazonienne qui concentre en Guyane, sur une superficie équivalente à la Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg réunis, des milliers d’espèces végétales, des centaines d’espèces d’oiseaux et une variété indénombrable de mammifères et d’insectes : la nature sous souveraineté française n’est pas en Europe. Elle est répartie sur trois océans et quatre continents, dans les départements et territoires d’Outre-mer.Taxé de « bluewashing » par plusieurs ONG de défense de l’environnement dont Greenpeace France et l’association Pleine Mer, le président Macron n’a pas renoncé à la recherche de minerais dans le fond des océans. Au contraire. L’exploration des grands fonds est selon lui « un levier extraordinaire de compréhension du vivant, d’accès à certains métaux rares, de compréhension du fonctionnement de nouveaux écosystèmes, d’innovation ».
Dix millions de kilomètres carré de Zone économique exclusive maritime (ZEE) et les fonds marins correspondants, ce qui représente 20% des atolls coralliens dans le monde, des biotopes parmi les plus riches de la planète, à l’image de la forêt amazonienne qui concentre en Guyane, sur une superficie équivalente à la Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg réunis, des milliers d’espèces végétales, des centaines d’espèces d’oiseaux et une variété indénombrable de mammifères et d’insectes : la nature sous souveraineté française n’est pas en Europe. Elle est répartie sur trois océans et quatre continents, dans les départements et territoires d’Outre-mer.
Explosions nucléaires dans l’océan Pacifique sud, immenses mines de nickel à ciel ouvert en Nouvelle-Calédonie, déversements de cyanure et de mercure visant à extraire l’or de la forêt en Amazonie, bétonnage de l’océan Indien et grands projets inutiles à La Réunion, empoisonnement au pesticide de toute la biosphère, humains compris, dans la Caraïbe : les plus vastes désastres écologiques français sont à chercher dans les mêmes endroits. Leurs victimes aussi.
« Nous avons convenu qu’il nous fallait encore de l’accompagnement parce que les installations qui nous ont été rétrocédées étaient fortement polluées, déplorait Édouard Fritch, président de Polynésie française, jeudi 03 février 2022, au sortir d’une rencontre parisienne avec le Premier ministre Jean Castex. Il faisait allusion aux îles nucléarisées de Hao et Tureia. Ces bases-arrière de l’armée française lors de la campagne de tirs d’essais de 1966 à 1996 abritent aujourd’hui encore des stocks de plutonium ou des matériaux de construction irradiés dont le gouvernement polynésien ne sait que faire. Le président de la république s’est engagé à financer cette déconstruction et ce sera l’objet du prochain avenant au Contrat de redynamisation des sites de défense (CRSD) qui sera signé à la fin du mois de février prochain », concluait le président Fritch.
La pollution du Pacifique sud à l’aide de bombes nucléaires n’empêche apparemment pas la France d’être à la pointe de la mobilisation mondiale pour la protection des océans. Quelques jours après ses déclarations sur la dépollution nécessaire et coûteuse de Hao, le président Fritch retrouvait le président de la république Emmanuel Macron à Brest, pour le « One ocean summit ». « Il y a un destin océanique et maritime français, se félicitait le président Macron, le 11 février 2022. Si la France est la deuxième puissance maritime mondiale c’est parce que nous avons nos Outre-mer. Nous allons prendre les engagements de Brest ! »
Pollution à la bombe nucléaire
Taxé de « bluewashing » par plusieurs ONG de défense de l’environnement dont Greenpeace France et l’association Pleine Mer, le président Macron n’a pas renoncé à la recherche de minerais dans le fond des océans. Au contraire. L’exploration des grands fonds est selon lui « un levier extraordinaire de compréhension du vivant, d’accès à certains métaux rares, de compréhension du fonctionnement de nouveaux écosystèmes, d’innovation ».
C’est une politique cohérente : au congrès de l’UICN (Congrès International de Conservation de la Nature) qui s’est tenu à Marseille le 3 septembre 2021, la France a refusé de signer une motion concernant un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins. Un bras de fer est engagé de longue date avec les autorités polynésiennes et les partis politiques locaux sur la « compétence », c’est-à-dire l’enjeu de souveraineté, autour des nodules polymétalliques.
À qui appartiennent-ils, ces minerais océaniques aussi convoités que difficiles d’accès ? Et l’or extrait de la forêt amazonienne à grand renfort de cyanure et de mercure ? « En Guyane c’est un peu particulier, admet volontiers Marine Calmet, porte-parole du Collectif Or de Question et juriste. Nous n’avons pas les mêmes partis politiques qu’en métropole, forcément le débat est moins audible, moins compréhensible pour les citoyens qui ont des préoccupations locales, urgentes et propres à leur territoire. »
C’est une première explication au fait qu’en Guyane, comme en Polynésie, dans les Antilles françaises ou encore à La Réunion, l’écologie – bien qu’au cœur des blessures de ces territoires – ne soit pas un champ identifié dans le paysage politique, un créneau porteur. « La décision, lors du choix du vote, est plus individuelle en Océanie qu’en Occident, reformule Jean-Marc Régnault, historien, maître de conférences honoraire, chercheur associé à l’Université de la Polynésie française. Le système politique établi, qui a de fortes caractéristiques clientélistes, pousse les gens à réfléchir dans une économie de don et de contre-don : la dimension idéologique du vote est appréhendée différemment. Les partis politiques écologistes rencontrent très peu de succès et sont traités par le mépris par les responsables politiques locaux. »
À la dernière présidentielle, le candidat soutenu par le principal parti écologiste français, Europe Ecologie les Verts (EELV), Benoît Hamon, n’a pas atteint 5% des suffrages à l’échelle de l’Outre-mer. Aux dernières élections régionales à La Réunion, la liste EELV a fait moins de 3%. « Oui, il faut le reconnaître, 2% c’est mauvais et on ne peut pas s’en satisfaire, concède Jean-Pierre Marchau, conseiller fédéral d’Europe Ecologie, élu EELV à la mairie de Saint-Denis de La Réunion. C’est un score mauvais au regard des enjeux, transports et énergie. Nous avions fait une campagne sur le fond, nous étions les seuls à nous prononcer contre l’importation de biomasse à La Réunion : c’est un énorme problème. Tous les Réunionnais n’en sont pas conscients. »
Ces derniers subissent pourtant des choix d’infrastructures « tout-voiture » rien moins que difficiles à vivre à force d’embouteillages-monstres et de bétonnage de l’océan Indien à cause de la Nouvelle route du littoral (NRL). « On est toujours dans une logique d’importation, poursuit Jean-Pierre Marchau. La Réunion connaît un coût de dépendance énergétique de 92%. Il ne faut pas seulement penser à l’électricité mais à toutes les sources d’énergie, pour les voitures, les moteurs, etc, c’est un chiffre global. La Région, en accord avec la préfecture, est en train d’élaborer la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et elle a tourné le dos à la recherche de nouvelles énergies. Le problème est massif et nous sommes aux prises avec une entreprise, un groupe privé très puissant dans les Outre-mer, Albioma. Ce sont eux qui jouent à ce jeu-là. »
« Producteur indépendant d’énergie renouvelable » dans tous les départements d’Outre-mer (Dom), Albioma créé effectivement la controverse sur les trois océans. Son projet est de réaliser dans ces endroits la « transition énergétique et écologique », du fioul à la biomasse. « Typiquement, la fourniture en énergie par la biomasse pose problème, décrypte Marine Calmet, la porte-parole du Collectif Or de question. Dans les débats des médias autour de la présidentielle, le seul sujet énergie abordé est le nucléaire : le nucléaire est typiquement un sujet qui n’intéresse pas les Outre-mer parce qu’on n’y trouve pas de centrale. Résultat, ce type de sujet – pourtant cruciaux : le conseil d’État a autorisé ces jours-ci la création d’une nouvelle centrale au fioul en Guyane – ne sont pas abordés localement et ne permettent pas aux Guyanais de se retrouver dans la présidentielle. »
En Guadeloupe, l’avocate et activiste Maryse Coppet va plus loin : « On joue sur les mots, la biomasse peut être durable mais la déforestation ne peut pas l’être. On parle de forets qui sont coupées et transportées pour être brûlées à des milliers de kilomètres par bateau : il est prouvé que ces incinérations sont très nocives pour l’environnement. » Militante, Maryse Coppet a obtenu l’arrêt d’un projet de ce type à Marie-Galante, une des îles de son archipel. Elle a obtenu gain de cause en portant le dossier devant l’Union Européenne. « Albioma est favorisée par la France dans tous les départements d’Outre-mer, analyse-t-elle. Parce que la France a toujours considéré que les Dom étaient des territoires où elle pouvait enfreindre les règles de la concurrence et de protection de l’environnement. C’est comme ça qu’on a eu la chlordécone pour offrir l’agriculture aux békés et qu’on a des centrales polluantes au fioul. On a eu la pollution des sols avec la chlordécone et on a maintenant la pollution de l’air avec Albioma : aucune entreprise française prédatrice n’a jamais été condamnée pour ces crimes. Et il y a le même type de problèmes avec l’eau et la Générale des eaux. »
Contactée par Parallèle Sud, l’entreprise Albioma a fourni une réponse écrite. Son service communication précise que « les programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE) sont des documents co-élaborés par l’État et chaque région concernée. Albioma ne participe pas à la rédaction. » En ce qui concerne la part de bois importé sur la biomasse utilisée pour fabriquer de l’électricité, Albioma indique que « à la Réunion, la part de biomasse locale valorisée sur les unités sera en 2028 entre 34 et 48% en fonction des hypothèses de mobilisation de la biomasse locale identifiée dans le Schéma régional biomasse. » Une majorité sera donc bien importée.
« Importer des granulets de bois, des pellets, issus du tronçonnage en Amérique du Nord, sur une île où Paul Vergès parlait d’indépendance énergétique : c’est un scandale !, redit Jean-Pierre Marchau, conseiller fédéral des Verts à La Réunion. La prise de conscience écolo à la Réunion est lente, réelle, mais lente. Pour la présidentielle, en plus, le débat est très personnalisé. Nous sommes suspendus à la venue de Yannick Jadot. Il a renoncé plusieurs fois, à cause de la crise sanitaire notamment. » Sollicité par Parallèle Sud, Yannick Jadot n’était pas disponible.
Vivier le plus important d’électeurs de tout l’Outre-mer français avec presque un million d’habitants, la Réunion figure sur la carte mentale des candidats à la présidentielle. Beaucoup plus loin, en Polynésie française, c’est une autre forme d’écologie qui prime. « Ici, il ne faut pas oublier qu’il y a des gens indépendantistes et le vote en faveur des indépendantistes a une dimension écologique, rappelle Jean-Marc Régnault depuis Tahiti. Au début, le parti créé par Oscar Temaru est créé sur des bases écologiques : la destruction de la nature et de la santé des Polynésiens, l’énorme pollution créé par les essais nucléaires. »
C’est un risque, que les partis politiques français n’ont visiblement pas identifié : que la revendication écologique des peuples ultramarins revienne à la France, sous la forme d’une revanche à prendre. Le poète et politicien martiniquais Aimé Césaire n’écrivait-il pas en 1961 dans son poème Cadastre : « Quand les Nègres font la révolution ils commencent par arracher du Champ de Mars des arbres géants qu’ils lancent à la face du ciel » ?