CHRONIQUE
Vous l’avez déjà constaté, je ne recule jamais devant un mauvais jeu de mots pour ouvrir cette chronique. Aujourd’hui, retour sur l’évolution des techniques mises à la disposition des écrivain.e.s, depuis que l’ordinaire a cédé la place à l’ordinateur. Traitement de textes.
Si j’ai choisi une biographie d’Elon Musk pour illustrer mon texte, ce n’est pas pour provoquer mes amis de Parallèle Sud férus d’écologie (enfin, si, un peu quand même, je suis taquin!). Je souhaite montrer que même ce milliardaire controversé est conscient des risques de certaines évolutions technologiques, telle l’intelligence artificielle. (Voir mon précédent article sur les dérives de KDP, la plateforme éditrice d’Amazon).
Elon Musk peut très bien dépenser des milliards et polluer l’atmosphère en espérant envoyer des colons sur Mars… tout en se méfiant de Chat GPT, création d’un certain Sam Altman évincé ensuite par Microsoft. Apprentis sorciers ou pas, les promoteurs de nouvelles technologies prétendent toujours, au départ, avoir pour idéal l’amélioration de la vie des Humains. Alors, oui, jusqu’où peut-on aller trop loin ?
La plume et le clavier
On trouve encore quelques auteurs qui écrivent leurs brouillons à la main ; c’est un rite, comme le verre de whisky, la tasse de thé, ou le chat sur les genoux des blogueuses. Mais avouons que la machine à écrire avait déjà bien amélioré leur situation, sans nuire à leur inspiration. Et le traitement de textes permet des corrections et des vérifications beaucoup plus simples. Quand le roman est terminé, seul le plan initial demeure parfois sous forme de manuscrit. Le texte définitif, tout comme l’œuvre d’un peintre ou d’un sculpteur, ne montre aucune trace du travail minutieux, longuement travaillé et remanié.
Alors, juste un brin de nostalgie. Certain.e.s thérapeutes en pensée positive et développement personnel de leur compte en banque, affirment qu’il faut savoir se débarrasser de ses souvenirs, qui encombrent notre esprit comme notre maison, et nous empêchent alors d’avancer. Je suis en partie d’accord avec ielles, car comme je le répète sans cesse : à force de remâcher ses souvenirs, on attrape mal au temps.
Cependant, conserver de vieux trucs et les oublier quelques années, avant de les retrouver au hasard d’un rangement, permet parfois de porter un regard neuf et une réflexion intéressante sur notre passé. C’est en quelque sorte de l’archéologie personnelle. À condition bien sûr que les termites n’aient pas tout bouffé. Les voleurs humains ne s’intéressent qu’aux bijoux de famille, alors que les insectes préfèrent les livres. À ce propos, on peut noter que les fourmis et les termites possèdent une intelligence collective, alors que les Humains se dirigent peu à peu vers une intelligence artificielle commune. Je ne sais pas lesquels survivront sur terre, insectes ou humains, mais j’ai ma petite idée.
Faut-il conserver ses litté-ratures ?
Revenons à l’écrivain. S’il jette ses ébauches et sa documentation, une fois le roman édité, comment pourra-t-il plus tard retracer la passionnante histoire (au moins pour lui) de la gestation de son œuvre ? Déjà, le traitement de textes a mis à mal les ratures, les renvois, les hésitations des brouillons. Pour les éructations d’un Eric Z. les vomissures d’un Yann M. ou l’insignifiance d’un François H. ce n’est pas grave. Mais pour les manuscrits de Proust, Zola ou Hugo ?
Cependant, nous n’en sommes déjà plus à nous inquiéter des archives manuscrites, avec l’évolution du livre numérique.
Les moyens d’expression sont devenus si nombreux que chacun et chacune peut connaître son quart d’heure de gloire, sur un réseau social ou un ebook.
Argent ou sincérité ?
Mais ceux qui tirent le mieux leur épingle du jeu, ce sont les créateurs de contenus : les conseilleurs, ceux qui ne sont pas les payeurs comme disait ma grand-mère. Tutos sur YouTube pour devenir écrivain, ou même créateur de contenu soi-même. Écrire non pas pour dire, mais pour s’enrichir. Surtout dans le domaine du développement personnel et des romans « feel good », compensant le manque de spiritualité et les craintes de notre siècle. Donc, ces gens-là encouragent les jeunes auteurs à « être eux-mêmes », tout en pouvant plaire à tous !
Cerveaux et estomacs sensibles, qui écrivent pour ne rien dire : tandis que la terre brûle, ils se roulent en boule et se complaisent dans leurs états d’âme de bobos gavés de consommation, dans des sujets à la mode. Auteurs, autrices, autruches, ils veulent plaire et vendre. Leurs livres peuvent bien être épais, ils demeurent quand même plats à l’intérieur. Plats comme les histoires qu’ils racontent, plats comme les écrans qui les remplacent peu à peu et les programmes qu’ils diffusent. Politiquement corrects, faussement transgressifs et adaptés au néomoralisme ambiant.
Comme pour la presse, la distribution des livres est aux mains de quelques grands groupes. Distribution à la chaine, comme pour les chaines de télé, d’hypermarchés ou de YouTube. Un nouvel esclavage dont très peu souhaitent briser les chaines.
Alain Bled