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[La peste] « L’extrême-droite, ce n’est pas nous ! »

1 / RENCONTRE AVEC LA LIGUE DES DROITS DE L’HOMME DE LA RÉUNION

Le bureau local de la Ligue des Droits de l’Homme appelle à la résistance contre la montée des idées d’extrême-droite, la « peste brune », dans le discours politique et dans les urnes.

La peste brune, vous connaissez ? Le terme désigne le fascisme et le nazisme. Mais ce n’est pas évident pour tout le monde à l’heure où la résurgence des idées d’extrême droite prend d’assaut les enceintes démocratiques. Là-bas en Europe. Ici à La Réunion où la liste d’extrême-droite du Rassemblement national est en passe de devancer toutes les autres aux prochaines élections européennes le 9 juin. C’était déjà le cas en 2019.

Face à un certain laisser-faire, pour ne pas dire une certaine complaisance, nous lançons aujourd’hui une nouvelle série que nous intitulerons simplement « la peste ». Hommage bien sûr au roman d’Albert Camus qui, en 1947, établissait une allégorie entre l’épidémie causée par les rats et l’extension du nazisme sous la France de Vichy.

Clin d’œil aussi à la série télévisée du même nom diffusée cette année sur France 2. Georges-Marc Benamou et Gilles Taurand ont adapté le roman d’Albert Camus à la sauce de 2030 en France. Le téléspectateur fait immédiatement le lien entre l’épidémie de peste et celle du Covid. Il est plongé dans une inquiétante réflexion sur les dérives autoritaires et la montée des extrêmes.

À La Réunion, on a vu progresser doucement mais sûrement le vote pour le Front puis le Rassemblement national. Au point que notre île, qui a longtemps marginalisé l’extrême-droite, a donné une large majorité à Marine Le Pen face à Emmanuel Macron lors du 2e tour de l’élection présidentielle de 2022.

Hitler et Mussolini

Comment la peste s’est-elle installée ici ? Peut-on encore séparer les « fâchés » des « fachos » ? Qui s’y attaque ? Et comment ça se soigne ?…

Notre 1er épisode nous mène dans les locaux d’un pilier de la lutte contre cette peste : la Ligue des Droits de l’Homme qui avait été dissoute sous le régime de Pétain. Jean-Marie Le Pen méprisait ses membres en les traitant de « droit-de-l’hommistes » comme on dirait aujourd’hui « wokistes ».

Le bureau de la LDH-974 s’est mobilisé pour nous recevoir. Jean-François Rivolo le président, Dominique Rivière le secrétaire, Richard Ho-Sing le secrétaire adjoint, Rémy Cerveaux membre du conseil d’administration et Ludovic Dalleau le trésorier adjoint répondent à nos questions.

D’emblée, Jean-François Rivolo n’y va pas par quatre chemins : « L’extrême droite, c’est Hitler, Mussolini et les camps de concentration ! » Il dénonce la xénophobie et le racisme propagés dans les discours et les oppose au caractère multiracial de la population réunionnaise : « Ce n’est pas notre ADN », dit-il. Ce que confirme Ludovic Dalleau : « L’extrême-droite, ce n’est pas nous ! Tout simplement. »

Un parti qui avance masqué

Pour Dominique Rivière, « Le Rassemblement national n’est pas un parti comme les autres, il a été fondé par les admirateurs d’Hitler et de Mussolini. Il y avait un SS qui se trouvait trésorier du parti des Le Pen. Et Mme Le Pen, quand elle a changé de nom elle a dit : on ne renie rien et on fera mieux… Ce parti avance masqué mais c’est dans la confrontation et la discussion qu’on peut montrer son vrai visage. L’histoire montre suffisamment que ces partis-là sèment la violence et veulent détruire la démocratie. »

Ludovic Dalleau estime pour sa part que l’avancée du Rassemblement national doit nous donner l’opportunité de réfléchir à ce qui fait notre fondement en tant que société réunionnaise. Sa progression ne peut plus être considérée comme un feu de paille allumé par quelques jeunes militants à l’occasion d’un coup de colère. « Les représentants du RN ne sont pas jeunes, ils sont installés, ont entre 40 et 50 ans et recherchent le vote des jeunes », explique-t-il. Ils trouvent le terreau favorable à l’émergence de leurs idées par « la faute des politiques responsables du mal-développement de La Réunion », selon Richard Ho-Sing.

Laisser la gangrène raciste et xénophobe, s’installer aujourd’hui, c’est créer d’autres problématiques encore plus dangereuses demain dans le contexte du réchauffement climatique qui va faire exploser les migrations de par le monde.

Ludovic Dalleau

En plus de nourrir la déception, les élus réunionnais se voient reprocher leur attentisme. Ludovic Dalleau se dit « offusqué qu’aucun élu n’aille à l’affrontement des idées pour montrer que ce que propose le RN ce n’est pas nous. »

Jean-François Rivolo rappelle : « Il y a eu des stratégies électorales pour faire monter l’extrême-droite et réussir ainsi à éliminer l’adversaire de droite au premier tour. »

« Peut-être qu’il y a eu une volonté consciente de laisser monter l’extrême-droite pour récupérer les votes mais aujourd’hui il faut réparer ça et prendre nos responsabilités », exhorte Ludovic Dalleau. Dominique Rivière commente durement les derniers ralliements du conseiller régional Jean-Jaques Morel et de l’ex-député Jean-Luc Poudroux au parti de Marine Le Pen : « La vieillesse est un naufrage et parfois le naufrage commence très jeune ».

« Le seul calcul que font les politiciens qui prennent aujourd’hui la carte du RN, c’est de récolter des voix et surfer sur la vague. Mais c’est au détriment de la société et du vivre-ensemble réunionnais. C’est un contre-sens historique et un coup de bâton contre les Réunionnais eux-mêmes », ajoute Ludovic Dalleau.

L’humanité est migrante

Pour le président de la LDH-974, la lepénisation des esprits est déjà à l’œuvre dans la loi sur l’immigration ou la remise en cause du droit du sol à Mayotte. Les difficultés que rencontrent les Réunionnais, le chômage, l’échec scolaire, la délinquance, la surpopulation des prisons… servent les discours radicaux : « Nous sommes submergés de difficultés et quand quelqu’un se noie, toute branche semble bonne à prendre. »

La désignation de boucs émissaires étrangers doit susciter une réflexion. Jean-François Rivolo pose la question : « Qui divise et qui veut régner ? Quand on parle des Mahorais, des Comoriens et des Sri-Lankais, nous sommes tous les descendants de ces gens-là. Nous sommes fils de migrants. L’humanité est migrante depuis toujours. »

Rémy Cerveaux, Richard Ho-Sing, Ludovic Dalleau, Jean-François Rivolo

Pour Ludovic Dalleau, « Le logiciel du RN, c’est de faire un stop sur l’histoire de l’humanité qui est faite de migrations. On essaie de nous faire croire que les nations françaises et réunionnaises sont figées. Mais non, s’il y a d’autres vagues migratoires pour X raisons, c’est à nous de faire comme nos grands-parents : s’intégrer et bien vivre ensemble. »

« Laisser la gangrène raciste et xénophobe s’installer aujourd’hui, c’est créer d’autres problématiques encore plus dangereuses demain dans le contexte du réchauffement climatique qui va faire exploser les migrations de par le monde. Selon les statistiques, La Réunion devra accueillir 50 000 migrants dans les dix prochaines années à venir. Si on ne travaille pas sur notre capacité à accueillir de nouvelles tranches de populations, va-t-on se battre contre nos frères qui viennent d’ailleurs ? »

La responsabilité des médias

« Les médias ont une énorme responsabilité en montant en épingle le moindre fait divers impliquant un immigré », accuse Rémy Cerveaux.

Face à la probabilité de plus en plus forte d’une extrême-droite détenant le pouvoir, Dominique Rivière lance l’alerte : « L’extrême-droite considère la Ligue des Droits de l’Homme comme un adversaire car nous ne nous satisfaisons pas de voir les valeurs de la République foulées aux pieds par des gens qui ne respectent rien. Ils mentent pour arriver au pouvoir et il ne faut pas oublier qu’Hitler et Mussolini sont arrivés au pouvoir par les urnes. Nous appelons nos concitoyens à ouvrir les yeux et défendre la démocratie. »

Et Jean-François Rivolo de renchérir : « Il faut faire de la résistance, ne pas se laisser anesthésier. Il faut réagir ! »

Franck Cellier

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Dossier sur la peste brune avec la ligue des droits de l’Homme de La Réunion. Cette peste qui se développe sur notre territoire.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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