effectifs personnels

[Chronique] Un pour tous, tous pour un

N’AYONS PAS PEUR DES MOTS

Je ne dirai jamais assez tout le « bien » que je pense de la prolifération du substantif « personnel » au sens de salarié, d’employé ou encore de membre d’une entreprise. Nous avons tous un jour croisé des phrases du type : « Plus de 1 500 personnels des hôpitaux universitaires de Strasbourg ont observé une minute de silence ce vendredi. » Ou du genre : « Les quelque 12 500 étudiants et les 1 100 personnels de l’université du Mans (et Laval) ont un nouveau président. »

Seulement voilà, à peine le bougre a-t-il eu le temps de s’implanter sur le marché de l’emploi qu’il doit déjà faire face à la concurrence d’un autre nom collectif dévoyé, je veux parler du terme « effectif ». Si ce dernier n’a pas encore atteint la cote de popularité de son rival, il commence à se tailler un joli succès dans notre langage courant, à tel point que je vois mal comment la tendance pourrait s’inverser. 

Résumons la situation. Naguère, on parlait de l’effectif d’un club de football, d’une classe de maternelle ou des effectifs déjà à flux tendu de la police nationale. Or, de nos jours, à l’instar de « personnel », « effectif » ne décrit plus seulement un groupe d’individus, mais chaque individu qui le compose, une absurdité qui pourrait très bien accoucher de tournures telles que : « Les effectifs de l’effectif de l’entreprise sont tous réquisitionnés pour les fêtes. »

Face à une telle dérive langagière que rien ne justifie, l’Académie française est bien sûr montée au créneau. Dans un billet publié le 6 mai 2021, la docte institution rappelait qu’après avoir désigné à l’origine le « nombre de soldats d’une armée, d’une troupe », puis par analogie le « nombre d’individus qui composent une collectivité », « effectif » ne saurait s’appliquer à chacun des éléments composant un effectif. « On dira ainsi que l’on envoie un effectif de soixante-dix hommes, mais on ne parlera pas d’un envoi de soixante-dix effectifs», concluait-elle. La mise en garde était claire, mais je crains fort qu’elle n’ait déjà rejoint l’effectif ô combien étoffé de ces combats d’arrière-garde menés en vain par les vieux sages du quai Conti. 

Pour terminer cette chronique hebdomadaire, une petite pensée pour les rescapés de mon ancien journal, Le Quotidien de La Réunion, lequel s’apprête à vivre dans l’espoir et la douleur un nouveau départ, à défaut peut-être d’une véritable renaissance. Nouveau patron, nouveaux projets nous dit-on, nouvelle organisation, nouvelles conditions de travail, nouvelle maquette sans doute et, pour recoller tristement à notre sujet du jour, nouvelle coupe franche dans des effectifs déjà faméliques… La partie est encore loin d’être gagnée. Bon courage, les copains.

K. Pello

Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots

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Kozé libre

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