Sentier du Grand Rein vu depuis Bord Martin

Méo, Zolikèr et le récit national

LIBRE EXPRESSION

Installée sur un mur à l’intérieur d’un lycée, l’immense fresque de Méo montre un enfant, que l’artiste nomme Zolikèr, assis et tapant sur un roulèr marqué de la carte de l’île de La Réunion. A ses pieds, quelques livres d’école, des crayons de couleur sortis d’un bèrtèl. Entouré d’une flopée de zwazo kardinal, avec la savane au fond, les fleurs, un livre transformé semble-t-il en herbier… la nature est très présente dans l’image, y compris dans le prénom de l’enfant : Zolikèr est aussi le nom d’un bois (bois de Zolikèr, ou joli-cœur ou boi mang) dont les écorces sont utilisées pour faire des tisanes notamment pour des problèmes de peau ou de rhumatisme. Sur un des livres, le titre officiel, « Histoire de France », est rayé au profit d’un nouveau titre, écrit en majuscules maladroites : zistwar la Rényon. Ce livre est posé sur deux autres livres sur la tranche desquelles on peut lire « Mon péi bato fou » et « Kréol mon Lang ». C’est le titre rayé de l’Histoire de France qui a déclenché la polémique…

L’œuvre est un symptôme

Que dit l’œuvre de Méo ? Qu’un marmay kréol ne se reconnaît pas dans les programmes d’enseignement des écoles de la République, qu’il n’y trouve ni son histoire ni la culture de ses ancêtres, et que par réaction, dans une tentative dérisoire de réparer cette injustice, il rature le titre du livre et remplace l’histoire de France par l’Histoire de la Réunion. Avec son écriture maladroite, il redonne une place d’honneur, en page de couverture, à une histoire qui est la sienne et que ses ancêtres ont construite. Zolikèr est exclu, alors il réagit à cette exclusion.

Combien sommes-nous de Zolikèr à chercher les traces de notre histoire et à ne pas se satisfaire de celle des manuels scolaires : cette histoire officielle, quand bien même héroïque et grandiose, ne suffit pas à approcher notre complexité et notre richesse. Combien sommes nous de Zolikèr à avoir été sommés de choisir entre le kréol et le français, entre La Réunion et le Monde ? À avoir dû chercher et construire parnouminm, en dehors de l’autoroute scolaire, par des chemins de traverse et des santyés marons, notre histoire et celle de la terre où est enterré nout zonbril ? Si cette démarche est salutaire, initiatique et participe tant à la recherche de soi qu’à la construction du lien à l’autre, il reste nécessaire, à un niveau sociétal, dans l’optique d’un socle commun, que cette histoire soit désormais intégrée dans l’histoire officielle et reconnue. Des grands pas ont été faits, beaucoup reste à faire.

Cette œuvre est le symptôme d’un récit national français dont se sent exclue toute une partie de la population issue des territoires d’outre-mer, dont l’histoire, les langues et les cultures ne sont pas intégrées dans les programmes scolaires. Je suis intervenue en fin d’année dernière, dans un collège de l’île, dans le cadre du pass culture sur la thématique de l’art et du marronnage. Les élèves n’ont pas été capables de me répondre sur les notions de marronnage, d’esclavage, d’abolition, sur la signification du 20 décembre… Silence complet dans la classe. Quel choc et quelle tristesse…

Les polémiques sont également des symptômes

Les polémiques montrent combien l’acte d’effacer l’« Histoire de France » vient toucher douloureusement une fibre patriotique et républicaine, une fibre qui ne s’accorde encore qu’à un diapason eurocentriste et assimilationniste : « La Réunion, c’est La France ». C’est sûr qu’effacer une personne, un groupe, une société, une culture, une histoire, c’est choquant, n’est-ce pas ? L’acte d’écrire « Zistwar La Rényon » en intitulé d’un livre vient troubler ceux et celles qui pensent encore que La Réunion n’a pas d’Histoire et que prétendre le contraire c’est faire sécession d’avec les valeurs de la République.

La sauvegarde de l’unité nationale et de l’intégrité de la République ne passe-t-elle pas désormais par la nécessaire reconnaissance de sa pluralité, pour que chacun puisse s’y reconnaître, sans que personne ne soit exclu ? N’est-il pas urgent désormais que les enfants des Territoires d’outre-mer apprennent leur histoire, leurs langues et leurs cultures, et même, que tous les enfants de France apprennent également l’histoire coloniale et post-coloniale de leur pays et de l’Europe ? Un récit qui n’efface pas mais intègre, valorise à leur juste mesure toutes les composantes de notre société et tous les épisodes de l’Histoire.

L’artiste est dans son rôle.

Méo met le doigt sur une réalité qui dépasse largement celle de La Réunion. Il s’agit bien là de la difficulté de la France à reconnaître son histoire coloniale et à l’inscrire dans les programmes de l’éducation nationale. L’oeuvre de Méo renvoie plus largement à un récit dont se sentent exclues les populations des anciennes colonies. L’histoire de La Réunion et des autres DOM devrait non seulement être enseignée dans ces territoires ultramarins, mais devrait également intégrer les programmes scolaires de l’ensemble des petits français : l’histoire coloniale, l’esclavage et l’engagisme, la domination d’une population sur une autre, mais aussi l’histoire de la résistance, les hauts faits du marronnage, la créolisation, les littératures et les arts, et l’incroyable richesse générée par la mise en contact et le frottement des cultures. Il ne s’agit pas seulement de langues et de cultures régionales, il s’agit aujourd’hui de faire en sorte que l’histoire nationale, l’histoire de France, donc, accepte l’ensemble de ses composantes issues de l’histoire coloniale.

Méo a choisi de représenter un enfant. Madam Misyé la sosiété, nous sommes les adultes face à cet enfant qui chante et rêve. Si nous n’entendons pas son message, dans 10, 20, 30 ans, ce seront d’autres Méo qui sonneront l’alerte, cette fois-ci en représentant non plus des enfants qui chantent et rêvent, mais des enfants les armes à la main.

Alors que faisons nous ? Est-ce que nous continuons à polémiquer pour savoir si l’artiste a raison ou pas de faire son travail d’artiste ?  Ou nous décidons-nous à ouvrir de nouveau ce vieux débat de manière constructive ? Est-ce que nous nous décidons à œuvrer de concert pour qu’aux récits national et européen soit intégrée toute l’histoire de toute la République, y compris notre histoire : kréol, kaf, sinoi, malbar, malgas, komor, yab-an-lu et yab-an-li, zorey savat et zorey kravat

Ces chantiers là sont ouverts depuis longtemps, il y a encore beaucoup de pain sur la planche.

Tishka Varèse

Avril 2024

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Zolikèr La Réunion

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