LIBRE EXPRESSSION
L’association EPA (Ecoute-moi, Protège-moi, Aide-moi) qui œuvre à la protection de l’enfance a organisé mercredi son second « meeting parents » à la salle Candin de Sainte-Clotilde. Alors que je m’attendais à entendre surtout des parents se plaindre d’élèves harceleurs — et peut-être des parents de ces derniers — j’ai eu la surprise et la satisfaction de voir une mère courage expliquer le combat qu’elle avait dû mener pour protéger sa fille de ce qu’elle considérait être un vrai harcèlement de la part de son enseignante. En effet, cette dernière prononçait régulièrement, devant toute la classe, des remarques blessantes à l’adresse de sa fille qui en était très affectée.
Les représentants institutionnels ont réagi en esquivant ou en minimisant, concédant seulement que la loi relative au harcèlement scolaire peut, en effet, inclure les conduites enseignantes. « On sait que c’est des choses qui peuvent se produire » et « c’est pas les cas les plus fréquents, heureusement, heureusement », nous dira le représentant du rectorat. Son propos traduit la représentation que se fait l’institution de la réalité. Le problème est qu’elle en est très éloignée et pour s’en convaincre il suffisait d’avoir entendu le témoignage qu’une jeune mère n’a pas pu faire, parce qu’elle était en pleurs, et qui a donc été rapporté par une organisatrice. Selon cette mère, sa petite fille de cinq ans souffre tellement des cris incessants de son enseignante qu’elle lui a dit vouloir rejoindre sa mémé, alors que celle-ci est décédée.
Loin de moi l’idée de jeter la pierre aux seuls enseignants car, nous y avons tous une part de responsabilité, mais la réalité de l’école, c’est ça. Ce n’est pas que cela, mais c’est d’abord ça. A savoir la présence de cris d’adultes dans un lieu, la classe, où personne ne devrait avoir le droit de crier. Quelque forme qu’ils prennent, qu’ils soient fréquents ou non, les cris de l’adulte sur le jeune enfant constituent une violence psychologique à laquelle la plupart des élèves sont régulièrement exposés et qu’ils doivent apprendre à supporter tant bien que mal. Pour comprendre que le phénomène est général, il suffit de se demander : connaissez-vous une seule école où il est assuré que tous les enseignants s’abstiennent complètement de crier ? Vous n’en connaissez pas, c’est normal, parce qu’il s’agit d’un non sujet. Il ne vient pas à l’esprit de penser en ces termes. Il est d’usage, donc admis, que les enseignants puissent librement crier sur leurs élèves, tout comme ils peuvent dorénavant s’habiller comme ça leur chante, avec tatouages et piercings à volonté, pourvu qu’il n’y ait pas d’affichage religieux. Même les enseignants suffisamment compétents pour être bienveillants ne songeraient pas à dire quoi que ce soit à leurs collègues crieurs. Ils savent qu’ils ne peuvent pas risquer de se les mettre à dos en pointant l’existence d’un problème. Car la hiérarchie demande que les enseignants fassent équipe. Dont acte : ils la ferment ! Le fameux « pas de vague » qui caractérise le fonctionnement de l’institution scolaire commence à ce niveau.
Il est évident que tout ceci n’est plus acceptable. Non seulement parce que cela contrevient à l’esprit de la loi sur le harcèlement scolaire mais aussi et surtout parce que c’est la violence psychologique des pratiques enseignantes usuelles qui alimente la violence des rapports qu’ont les élèves entre eux. Ne pouvant retourner la violence reçue de l’adulte contre ce dernier, les élèves lui trouvent un exutoire en la redirigeant vers leurs camarades. Ainsi, il est établi que le pic de violence scolaire intervient en décembre, lorsque les élèves reçoivent leurs bulletins de notes. Bon nombre d’entre eux vivent alors une situation d’échec, donc une blessure narcissique. C’est une violence subie qu’ils sont immédiatement enclins à décharger sur d’autres élèves à la moindre occasion. Nous avons à comprendre qu’échec et violence sont les deux faces d’une même monnaie. Rien ne nous oblige à la garder en circulation.
Comme le démontrent chaque jour les écoles Montessori, il est parfaitement possible d’offrir un cadre clair, sécurisant, respectueux et dynamisant qui amène tous les élèves à la réussite de leurs apprentissages. Il s’agirait donc de se donner les moyens d’amener tous les enseignants à réaliser ceux que les meilleurs d’entre eux sont d’ores et déjà capables de réaliser, malgré la modicité des moyens de l’école publique. Pour avoir effectué d’innombrables observations en classe, je peux témoigner du fait qu’il existe des classes où les élèves sont heureux car respectés et seulement portés par le désir de faire au mieux, sans craindre de buter sur une difficulté car ils savent qu’au bout de l’effort, il y aura la réussite. Ces enseignant(e)s hors pairs avaient des valeurs, ils ont eu la volonté de bien faire et ont accompli les efforts requis. C’est à ce niveau d’excellence que les formations professionnelles devraient amener. Malheureusement, nous en sommes loin, très loin car cela aurait un coût auquel nos gouvernants ne consentent plus.
Et pourtant, comme il faut vraiment en finir avec le harcèlement scolaire entre pairs il va falloir en finir, quoi qu’il en coûte, avec le harcèlement scolaire exercé par l’adulte contre l’élève. Ma conviction est que les parents sont en position d’exiger que l’institution se mobilise pour mettre un terme à ces pratiques. Serait-ce seulement en ouvrant la possibilité d’expérimentations par les équipes enseignantes ! Imaginons ce que ce serait si des élèves pouvaient être accueillis dans des écoles labélisées et garanties sans cris, brimades, moqueries, menaces et autres formes d’humiliations de la part des adultes, ces derniers étant devenus des modèles de conduite non violente… Ce serait une magnifique révolution de l’éducation. La paix aurait alors sa chance, non seulement dans les salles de classe et les cours d’école mais aussi dans le monde. Et il en a bien besoin !
Luc-Laurent Salvador
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