LIBRE EXPRESSION
Après Tintin au Congo, voilà Mélenchon au Sénégal. Il s’est fait huer par les étudiants, après leur avoir reproché leur intolérance envers les homosexuels, et critiqué la polygamie. Voilà qui rappelle la réflexion méprisante de Nicolas Sarkozy, qui avait reproché aux Africains « de ne pas encore être assez entrés dans l’Histoire ».
Ce genre de maladresse montre à quel point pour les Occidentaux, la seule morale acceptable, c’est la leur. Venant de Sarkozy, ultra-libéral assumé, ça n’avait rien d’étonnant. Dans la bouche d’un Mélenchon, c’est choquant. Choquant, car le leader de la France Insoumise est censé être de gauche. Mais qu’est devenue la gauche ? C’est un autre débat.
On comprend l’admiration de Mélenchon pour Robespierre, cet illustre coupeur de têtes qui a terni la révolution française par ses idées plus intégristes qu’intègres. Mais à la limite, l’extrémisme ne dérange pas Mélenchon. Il ne condamne les assassins que si ça colle avec ses propres convictions. Il n’est d’ailleurs pas le seul : on le voit avec la manière dont nos politicards parlent de la Palestine. Si tu défends les palestiniens, tu deviens antisémite, et si tu défends Israël, tu es islamophobe. De même, si tu réticent à soutenir l’Ukraine, tu deviens un pro-Poutine de la pire espèce. Choisis ton camp, camarade, comme en 1914 !
Les états puissants n’ont qu’une obsession : étendre toujours plus leur empire
Comme disait Desproges (ou Pierre Dac ?) : « L’ennemi est bête : il croit que c’est nous l’ennemi, alors que c’est lui ! » Nous, nous sommes dans le camp du bien. Et le moindre doute fait de vous un déserteur, un lâche, un traître à son drapeau, ce drap pour lequel on laisse sa peau.
J’entends d’ici les commentaires : « Ah, va donc t’installer en Chine ou en Russie si tu crois que c’est mieux ». Commentaire d’autant plus maladroit que je ne prétends absolument pas que la vie soit plus agréable dans ces pays-là. Nous avons l’avantage, dans le pays « des droits de l’Homme », de pouvoir critiquer le gouvernement sans risquer d’être inquiété. Pour l’instant. Mais en cas d’implication dans un conflit mondial, garderez-vous le droit d’émettre un avis différent du Pouvoir ?
Les états puissants n’ont qu’une obsession : étendre toujours plus leur empire. Qu’il s’agisse de la Russie, des U.S.A ou d’Israël.
La France a connu le déclin en perdant ses colonies, mais elle s’accroche à quelques îles peuplées à l’origine par des indigènes, qui se révoltent parfois en vain : Kaniki, rebaptisée « Nouvelle-Calédonie » par l’explorateur James Cook et qui risque de finir un jour piteusement et dramatiquement, comme l’Algérie en 62, et Mayotte, le seul département français totalement artificiel, où la religion, comme les autres traditions, compte plus pour les habitants que les lois de la République.
Les guerres ne cessent jamais
Généralement, deux populations s’opposent : les « indigènes » et les colons. L’envahisseur doit tout tenter pour que la population des nouveaux arrivants devienne plus importante que celle des natifs. Ainsi, en cas d’élections, les lois démocratiques sont respectées. Même dans des régions où le problème de l’autonomie se pose avec moins d’acuité, l’Etat doit tenter d’encourager un maximum de métropolitains à venir s’installer outremer ; et en même temps, pousser les natifs à s’expatrier.
Sur les continents, la situation est encore plus complexe : les zones frontalières ont été tellement modifiées par les envahisseurs successifs, les ethnies sont tellement divisées, que les guerres ne cessent jamais. Les Occidentaux s’étaient ainsi partagé l’Afrique sans tenir compte des diverses composantes de ses peuples, selon l’éternel principe du « diviser pour règner ». L’Ukraine et les pays de l’ex-URSS constituent aussi un mélange explosif, dont l’Europe et la Russie tentent de tirer partie.
Les Britanniques ne sont-ils pas les premiers responsables du conflit sans fin entre Israël et la Palestine ? En quittant la région, ils ont laissé une population récupérer sa « terre promise », en chasser les habitants, provoquant la haine du monde arabe contre les Juifs. On en est arrivé à un point où l’Iran et d’autres pays musulmans veulent éliminer tous les israéliens, tandis qu’un sénateur américain encourage ces derniers à balancer une bombe atomique sur Gaza !
Ils veulent toujours imposer leur mode de vie à tous ces pays qu’ils convoitent
Et comme en Algérie et bientôt à Nouméa, ce sont les civils qui trinquent. Sachant que les gros colons, eux s’en tireront toujours à temps.
Mais j’ai du mal à comprendre comment on peut arriver à vivre dans un pays dont on n’est pas originaire, dont on n’a pas les mêmes mœurs, dont les natifs parfois n’ont pas les mêmes droits que les nouveaux arrivants, comment on parvient à dormir dans une région colonisée, entouré d’ennemis potentiels qui vous menacent ? Même un juif très religieux ne se sentirait-il pas plus en sécurité dans n’importe quel pays tolérant de la planète, plutôt que dans cette zone de guerre ?
Et comment les pieds-noirs d’Algérie, installés depuis moins d’un siècle, ont-t-il pu croire que leur situation allait durer éternellement ?
Le cas de Magadascar est tout aussi édifiant : là encore, les nostalgiques vont dire que du temps de la France, ce pays était plus démocratique et moins miséreux, tout comme les Blancs d’Afrique du Sud continuent à pérorer « c’était mieux avant ».
Comme Mélenchon, le rouge décoloré, ils jugent un pays selon les progrès de leur propre civilisation. Les routes, les maisons en dur, les hôpitaux, les hypermarchés, la consommation… Et ils veulent toujours imposer leur mode de vie à tous ces pays qu’ils convoitent.
Ils vont regretter leur trahison !
Pourquoi les anciens pays de l’Afrique coloniale se sont-ils peu à peu détournés de la France ? Parce qu’ils n’ont jamais été dupes du fait que l’Occident continuait à les exploiter, et éliminait les dirigeants qui disaient « l’Afrique aux africains » pour les remplacer par des dictateurs à la solde de l’Europe . Pourquoi, dans les pays d’Afrique de l’ouest, voit-on encore des portraits de Kadhafi sur les bus ? Pourquoi chante-t-on des reggae humoristiques sur la « France-Afrique ».
Et nos gouvernements qui chouinent, avec des larmes de crocodiles : « mais pourquoi ne nous aiment-ils pas, ces ingrats à qui nous avons apporté la civilisation ? »
Alors on va me dire, la France sera vengée de cette vexation car, à la place de notre beau pays, les africains vont être exploités par les Russes et les Chinois, et là ils vont regretter leur trahison !
Oui, probablement, mais si les Russes et les Chinois sont malins, ils se contenteront de faire des affaires, sans interférer dans la politique sociétale des pays.
L’intégration par l’assimilation, telle fut toujours la politique du colonisateur français. Mais hélas, en attribuant à l’indigène des droits plus réduits. Quand Galliéni a conquis Madagascar, il s’est justifié en affirmant vouloir abolir l’esclavage pratiqué par les souverains malgaches. En fait, il a imposé à tous les natifs la loi de l’indigénat, un ersatz du code noir de l’esclavage aboli cinquante ans plus tôt.
Quand Zemmour et ses semblables craignent le grand remplacement des français de souche par l’invasion des immigrés musulmans, il oublie un peu sa propre histoire. Mais on peut être d’accord avec lui sur un point : quand on s’installe dans un pays quelqu’il soit, on doit d’adapter aux règles de ce pays ; et ceux qui ne le font pas sont des envahisseurs malveillants et des colonisateurs. Le reste n’est qu’un amas de polémiques stériles : au cours des années 50, dans les campagnes françaises, les femmes mettaient encore un voile sur leur tête pour entrer dans les églises, l’homosexualité était une maladie et un délit, le divorce était mal vu, les filles mères rejetées, et les comptes bancaires réservés aux maris. C’était hier me direz-vous ? Pourtant certains regrettent cette époque. Alors, commençons à balayer devant notre porte, et retirons nos bottes avant d’entrer dans la maison des autres.
Alain Bled
Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.
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Colons
Le réflexe colonial à travers de multiples exemples. Les colons sont toujours à l’œuvre. Colons sur tous les continents, à toutes les époques. Ainsi les colons étaient, sont, et restent des colons.