De l’extérieur, elle ne paye pas de mine. L’association la Kaz’Artous, basée dans le quartier du Butor à Saint-Joseph, accueille pourtant plus d’une centaine de jeunes chaque année, des services civiques, des stagiaires, des jeunes du quartier, d’autres redirigés par la PJJ. Elle les accompagne, les aide à ne pas décrocher. Par dessus tout, elle tente d’éveiller la flamme qui parfois sommeille encore à l’intérieur.
« Aujourd’hui, il n’y a pas grand monde », remarque Françoise qui pénètre dans la cour arrière. La maison pourtant, à quelques heures du rush, ressemble déjà à une petite fourmilière. Des enfants se croisent en courant; sous le petit préau, d’autres participent à une activité accompagnés par des bénévoles et des jeunes en service civique. L’odeur de peinture flotte dans l’air. « Ils sont en train de réaliser des panneaux pour le village artistique qui aura lieu ici, comme tous les ans en décembre, cette année sur le thème des îles de l’océan indien », indique Françoise Voegele. La femme âgée d’une cinquantaine d’année est directrice de l’association la Kaz’Artous, située dans le quartier du Butor à Saint-Joseph.
La Kaz’Artous, une petite institution
L’association, née en 2005 pour partager l’art (modelage, peinture, sculpture, musique) à travers des ateliers destinés notamment à des enfants porteurs de handicap, a d’abord exercé au sein des maisons pour tous de la commune : Carosse, Cayenne, Butor, centre-ville, les Lianes. Et puis, petit à petit, « on s’est adapté à la demande des habitants ».
Pour avoir plus d’espace et se développer en accueillant le public le plus large possible, l’association s’installe au Butor en 2010 dans la maison qu’elle occupe encore aujourd’hui. Depuis la rue Raphaël Babet, on n’imagine pas l’envers du décor de cette devanture peinte à la main. Sa kaz a don, ses ateliers de soutien scolaire, les aides aux démarches administratives, les projets des enfants qu’elle encourage, les colo apprenantes, les petits apprentissages du quotidien. Pour certains, la Kaz’Artous est devenue au fil des années une petite institution.
« Tout le quartier allait là-bas »
« Je viens ici depuis que je suis tout petit, je devais avoir six ou sept ans », raconte Rachad, aujourd’hui âgé de 20 ans. « J’habitais à la Cayenne et l’association était juste à côté de chez moi, tout le quartier allait là-bas. C’était comme un point de rassemblement. On faisait du cerf-volant, de la poterie, de la danse, on allait sur le terrain. Et puis, c’est aussi parce qu’on avait une salle spéciale pour les ordinateurs. »
Grâce à Jacky Chopinet, éducateur de l’association, Rachad a appris la musique, le tambour et le piano, le chant aussi. Il y a un an, il a ouvert sa propre chaîne YouTube, Rachad L’héritier, dans laquelle il « préfère chanter dans [sa] langue maternelle », le Shimaoré. A l’époque, il a aussi participé aux CD de Jacky Chopinet.
« On a sorti deux CD avec des personnes polyhandicapées, des autistes et d’autres jeunes », se souvient l’éducateur qui travaille au sein de l’association depuis 17 ans. « Ils écrivaient leurs propres textes. Après on faisait des concerts dans toutes les communes de l’île et on vendait nos CD pour pouvoir faire des sorties. »
17 ans de souvenirs
Jacky, grand sourire aux lèvres, se replonge dans ses 17 années de souvenirs pour en extraire ces petites pépites qui continuent d’alimenter la flamme. Il raconte les fugues, les conseils de discipline et ces réussites décrochées par la conviction, la niaque qui l’ont toujours animé pour aider les jeunes à s’en sortir. « Il y en a que j’ai vus enfants et aujourd’hui, ils veulent faire mon métier. Peut-être même que c’est eux qui prendront un jour la relève au sein de l’association, qui sait. »
Avant le covid, la Kaz’Artous accueillait beaucoup de jeunes ou d’adultes en situation de handicap mais aussi des femmes, des gramounes, des personnes condamnées par la Justice à effectuer des travaux d’intérêt général. Une grande diversité de publics qui a d’ailleurs valu à l’association de décrocher plusieurs prix pour valoriser la mixité. « Cette richesse, ça amène une autre vision de la vie. Les marmay par exemple, ils sont habitués à vivre avec Didier* qui est autiste et lui s’est habitué à eux. »
Depuis le covid, l’association s’est davantage concentrée sur l’accueil de jeunes. Ce sont principalement des enfants de tous âges, la plupart originaires de Mayotte ou des Comores. Jacky est devenu adulte-relais et, à ce titre, il fait le lien au sein même des quartiers entre les enfants et l’association, les parents, les professeurs, les gendarmes, les CPE… La Kaz’Artous a du adapter son projet aux financements qu’elle a trouvés, en l’occurrence, il s’agissait de France Relance.
L’esprit du vivre-ensemble
« Avant le Covid, on était sur le point de mettre la clé sous la porte, les finances ne suivaient pas », se souvient Jacky. « Nous, les associations, on est obligé de s’adapter à ce qu’on nous propose parce que si tu rentres pas dans les cases, tu touches rien. » La Kaz’Artous est actuellement financée par la Caf, la Drajes, la brigade de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ), et surtout par des fonds privés qu’il faut sans cesse aller chercher, en présentant de nouveaux projets en mesure de renouveler et porter l’association pour quelques années encore.
Même si, aujourd’hui, les publics sont un peu moins diversifiés, « on essaie de tout faire pour garder cet esprit de vivre ensemble, d’autonomisation », insiste Jacky. « Je suis payé au Smic et mon salaire n’a pas augmenté depuis 17 ans. Avec mon expérience, honnêtement, je n’aurais pas de mal à trouver du travail ailleurs. Mais ici, c’est mon âme en quelque sorte, mes déceptions, mes réussites, ça me suffit à me nourrir. Moi aussi, quand j’étais jeune, je partais un peu en cacahouète. A un moment, je me suis demandé, ‘ma Vie, c’est la mienne, qu’est-ce que je vais choisir d’en faire?’ Et c’est ce que je fais ici avec les jeunes. J’essaie de leur donner cette réflexion sur soi. »
7 salariés et 18 bénévoles
L’humain, c’est la base du travail qu’ils effectuent ici, dans l’association Kaz’Artous, explique-t-il, tout comme Françoise. Eux qui ont travaillé auparavant dans des institutions, des fondations, ils soulignent les différences d’approches.
A l’heure actuelle, l’association compte deux adultes relais, deux animateurs PS jeunes (une aide de la Caf qui soutient les structures qui accompagnent les jeunes de 12 à 25 ans), une animatrice externe, deux salariés en contrat Pec mais aussi 18 bénévoles et une vingtaine de jeunes en service civique par an.
Au fil des années, Françoise Voegele constate l’évolution des publics qui fréquentent l’association. « Actuellement, c’est mon avis personnel, mais je pense que la difficulté c’est que chacun est dans son univers, dans ses propres préoccupations, et a du mal à s’ouvrir sur l’extérieur et aux autres. Et de là découle plein de choses : le manque de motivation des jeunes, le manque de dynamisme. Il y a plusieurs raisons à ça : le covid, les réseaux sociaux, les écrans, mais aussi l’éducation qu’on donne de surprotection des jeunes qui devient presque de l’infantilisation. On ne leur apprend plus à se tromper, à rebondir, à être autonome. C’est pareil pour le bac, on leur fait croire qu’ils ont le niveau et après ils se ramassent en études supérieures et ils abandonnent. »
De leur côté, ils ont décidé d’adopter un autre regard, une autre manière de faire. Ici, « pas de règlement intérieur, que du bon sens », le cadre est posé oralement, rappelé régulièrement, les tâches ménagères sont effectuées tour à tour naturellement sans planning. « S’il y a un problème avec un gamin, on va le régler, on n’hésite pas à le secouer un peu si nécessaire, mais il n’y a pas d’exclusion ici, ça ne résout rien. » En dix ans, la directrice affirme n’avoir vu que trois à quatre bagarres au sein de la structure.
Jéromine Santo-Gammaire
*prénom d’emprunt