En réaction à notre article daté du 19 juillet dernier, Peut-on s’approprier le maloya ?, sur l’appropriation culturelle suite à une vidéo polémique postée sur Instagram par Kermaron, les différents intervenants de la discussion sur l’identité réunionnaise cités nous ont adressé les droits de réponse que nous publions ci-dessous. L’association Ti Somin Gran Somin dément pour sa part les propos qui lui ont été prêtés. Un commentaire de Parallèle Sud fait suite.
Ghislaine Mithra-Bessière de Rasine Kaf
En référence à la video sobatkoz consacré à l’identité réunionnaise – Kosa èt réyoné ? – au cours de la journée Matèr co-organisée par Parallèle Sud
Paraphraser Simone de Beauvoir: « On ne naît pas Femme, on le devient ( le deuxième sexe, 1949) et l’appliquer au contexte colonial réunionnais en proclamant « On ne naît pas réunionnais, on le devient , c’est chercher à placer la question de la citoyenneté réunionnaise dans un contexte socio-historique et politique, qui va de l’esclavage à la liberté en passant par la traite négrière et son abolition en 1848, l’engagisme et la départementalisation qui ont maintenus le pays dans un cadre colonial, la départementalisation ayant développé un système assimilationniste visant à épurer l’histoire de nos aïeux pour nous rendre conforme à l’identité française. Nous ne pouvons parler d’identité réunionnaise et de souveraineté sans aborder la question coloniale. Remettre en cause la nationalité française et parler de la nationalité réunionnaise dans son devenir n’est donc pas un faux pas, mais la volonté de mettre en marche ce processus d’émancipation qui exige qu’on revisite l’histoire de l’esclavage et de la colonisation et que l’on développe une histoire réunionnaise globale, afin de pouvoir porter haut le drapeau réunionnais et accéder à la souveraineté.
Je suis intervenue dans ce sobatkoz en tant que militante culturelle et Présidente de l’association Rasine Kaf. Il est donc tout à fait légitime que je place la souveraineté réunionnaise dans un processus historique. Retracer ce cheminement par lequel nous devons tous passer pour acquérir la citoyenneté réunionnaise signifie donc que cette citoyenneté n‘est pas acquise mais qu’elle devra être construite, et c’est par la connaissance et l’appropriation de l’histoire que nous pourrons prendre notre destin en main parce qu’elle nous fournira les clés pour ne pas reproduire les sévices du passé et forger tous ensemble une communauté de destin. La tâche d’un mouvement anticolonialiste, qui est lui aussi à construire, est de mettre en œuvre ce processus de libération et de lutter contre l’aliénation permanente. Nous ne pouvons faire l’économie de ce travail de connaissance et d’émancipation de notre peuple afin de le faire sortir de cette subordination permanente dans laquelle il est plongé et qui fait perdurer la misère sociale, l’injustice et la précarité par la méconnaissance des mécanismes de pouvoir et de subordination auxquels nous sommes tous confrontés.
Je voudrais préciser par ailleurs que lorsque je porte une parole publique, je m’adresse d’abord et avant tout à mon peuple, aux militants présents dans le public, à mon Bann. En aucun cas mon interlocuteur est un zoreil. C’est leur accorder trop d’importance que de parler autant d’eux et de les mettre régulièrement en interface entre nous militants.
Prendre la phrase que j’ai prononcée : « on ne naît pas réunionnais, on le devient » et le sortir du contexte historique dans lequel je l’ai placé, c’est faire preuve de manque de loyauté vis à vis de ce débat qui est essentiel pour l’avenir de notre pays. Ce manque de déontologie a suscité par ailleurs beaucoup de polémiques et j’en suis désolée, c’est pourquoi j’ai tenu à préciser ma pensée. Devenir Réunionnais et accéder à la Citoyenneté et à la Nationalité Réunionnais signifie prendre résolument cette route qui nous conduit vers une communauté de destin assumée et partagée. Cela passe nécessairement par la ré affiliation des Réunionnais à leur propre histoire; L’indépendance est à ce prix, elle ne se décrète pas, elle se prépare, et cela passe nécessairement par ce cheminement historique.
Ghislaine Mithra-Bessière,
militante anticolonialiste
TYP EMOTSTION
Dans l’article “Peut-on s’approprier le maloya ?” publié par Philippe Nanpon sur le site de Parallèle Sud, on peut lire :
“Et si leurs musiques s’inspirent de l’île où ils vivent, quel est le problème ? Qui leur dénie leur réunionnité ? Dans un sobatkoz consacré à l’identité réunionnaise – Kosa èt réyoné ? – au cours de la journée Matèr co-organisée par Parallèle Sud, les intervenants de l’association Ti Somin Gran Somin, le Komité Pangar !, l’association Rasine Kaf, Paul Mazaka, et d’autres, convenaient que « l’on ne naît pas réunionnais, on le devient ». Voilà. Et, de toute façon, au pire, il ne s’agirait pas d’un vol, plutôt d’une mise en avant qui bénéficiera à tous.”
Je me permets de répondre à cette partie de l’article en gras à deux titres :
En tant que membre du Komité Pangar ! Présent au festival Matèr d’une part et d’autre part en tant que TYP EMOTSTION, homme de la renaissance réunionnaise (sus-cité dans “les autres”) ayant fait une intervention revendiquée à titre personnel.
En tant que membre du Komité Pangar ! :
La profondeur et la complexité de la question abordée lors du Sobatkoz ne peut être résumée en quelques mots, j’invite chacun à aller consulter la vidéo afin de se faire sa propre idée.
En revanche, la juxtaposition de ces quelques mots à la phrase qui suit et même le fait d’être cité dans cet article (presque en guise de caution locale) peut porter atteinte à l’honneur et/ou à l’image du Komité Pangar !
Nous en profitons pour rappeler que nous sommes un groupe ouvert, de personnes dont les avis divergent mais qui partagent une cause commune : la défense des intérêts des réunionnais.
L’article faisant, probablement par maladresse, abstraction de mentionner le fait qu’une certaine communauté monopolise (au dépens de notre population) la scène culturelle et musicale de la Réunion nous ne saurions accorder notre complicité à cette effraction journalistique.
À titre personnel :
En tant qu’Homme de la renaissance réunionnaise, je suis porteur d’un message sur l’ipséité. Si je comprends que l’on puisse m’amalgamer au “Komité Pangar !” ou “autres”, je ne souffrirai pas que l’on déforme mon message ou qu’on l’invisibilise !
La majorité des gens ne connaissent pas leur identité propre en tant qu’individu. Toute tentative de se définir à travers des identités communautaires avant de s’être consacré à soi n’est qu’une stratégie de lâche face à l’immensité du chantier… .
Nous sommes réunionnais ou nous ne le sommes pas, mais nous sommes nous même ! Et c’est, je pense, déjà là-dessus que tout un chacun devrait se questionner.
Si d’aventure mon français vous faisait douter de comment je me sens :
Mon monmon Malbarèz,
mon vyè in Yab,
mi travay kom Sinwa,
mi na in gran barb Zarab,
mi ansort amwin (débrouyar) kom in Malgas,
i yém pa sifon si mon tét kom fanm Komor ék lo frèr Rasta
é ziska lèr mwin lé payé mwin kin Kaf…
La pa mwin lotèr si in zour mon pép i pèrd la ras !
Si na in polémik pou fé astèr fé pété, lo tèks la a mwin lotèr.
Fol pa na éksplik a zot !
TYP EMOTSTION
Artis péi & Homme de la renaissance réunionnaise
Georges Ah-Tiane, membre du Komité Pangar !
En référence à l’article de Philippe Nanpon du 19 Juillet 2024 sur Parallèle Sud au sujet de l’appropriation culturelle : « Peut-on s’approprier le maloya ? »
Je tiens à donner mon point de vue en tant qu’observateur attaché à la culture réunionnaise et à sa défense.
La musique est universelle et la culture n’est pas une braderie
Toute culture est propre à un groupe d’individus. Il s’agit souvent de la partager et d’échanger ses connaissances. Chacun apprend de ses parents, de son entourage, de son histoire, c’est quelque chose de précieux qui nous est légué. Prenons l’exemple du maloya ou du rougail saucisse, chacun peut s’essayer à reproduire le style de musique ou la recette et éventuellement l’adapter mais ça ne lui appartient pas. Un Réunionnais peux jouer du zouk ou de la salsa bien entendu mais ce n’est pas « sa » musique. Un étranger pourra jouer du maloya tant qu’il voudra mais il est présomptueux de se l’approprier. Le dictionnaire français cite d’ailleurs comme exemple d’appropriation les artéfacts africains ou autres qui figurent dans certains musées occidentaux, on ne sait pas jusqu’où peut aller l’appropriation culturelle et ce que cela englobe.
Pour moi le maloya est bien cultuel et possède un côté sacré ou transcendant vis-à-vis de nos anciens. Qui n’a pas assisté aux « servis kabaré » malgache ou africain pour le comprendre ? Mais il s’est diversifié au fil du temps. Il y a le maloya revendicatif ou politique, le maloya identitaire et bien sûr le maloya style de musique tout simplement. Ce dernier peut être vulgarisé à mon sens et libre à chacun de le jouer ou de l’adapter à sa sensibilité.
Pourquoi les occidentaux veulent s’approprier des cultures qui ne sont pas les leur ? Ceux et celles qui veulent en savoir davantage se rendent à la source pour s’imprégner de l’essence de la pratique dans ses fondements. Combien de maîtres d’arts martiaux ou de « guides spirituels » occidentaux font des parcours initiatiques dans le pays d’origine pour comprendre certaines philosophies ? Je dirai qu’il s’agit là plus d’une communion avec l’âme de la discipline et que en lieu et place de toute appropriation il est question humblement de recevoir certains « messages « à transmettre. Une investiture en quelque sorte.
Je pense aussi que dans beaucoup de lieux et de circonstances, « l’industrie culturelle mondiale » est tenue par des occidentaux et par le pouvoir de l’argent. Si on prend l’exemple du reggae mais on peut aussi parler du rythm and blues, de la soul… il existe bien des labels « ethniques » mais le gros de la production, de la promotion et de la diffusion vient essentiellement des « majors » occidentaux qui font la pluie et le beau temps. Je dirai que le partenariat peut être gagnant-gagnant mais que c’est d’abord ces industries qui profitent, bien avant les artistes. Mais ça peut être un tremplin pour certains.
J’ai eu à constater par exemple que Eric Clapton, lorsqu’il reprend « I shot the shériff » de Bob Marley ou de Peter Tosh, il fait beaucoup plus de vues que l’original (et de vente certainement) et ça a été pareil pour « Ambalaba » de Claudio Veeraragoo repris par Maxime Le Forestier. Il y a matière à se poser des questions effectivement. Excepté quelques producteurs altruistes, les autres ne visent que le profit. De même qu’il y a des artistes à la Réunion ou ailleurs qui ne cherchent pas forcément à être connus à l’export ! chacun se fera son propre avis et je ne parle pas des plagiats purs et simples !
N’importe qui ou n’importe quel groupe a toute liberté à jouer ce qu’il veut s’il est inspiré, c’est le public qui confirmera ou pas. Au sujet de leur « réunionnité », ne nous posons pas en juge et ne soyons ni offusqués ni affirmatifs de quoi que ce soit. Et je ne pense pas sincèrement que les mélomanes de l’Hexagone aient attendu Saodaj ou Grèn Semé (sans leur porter un jugement de valeur) pour apprécier le maloya, ça serait faire injure à des artistes réunionnais qui tournent à l’international depuis pas mal d’années. Par contre sur le thème « on ne naît pas réunionnais, on le devient », il faut être prudent et le restituer dans un certain contexte. Je ne me prononce pas sur ce qui a été dit et relaté lors du Mater du 29 juin dernier parce que je n’y étais pas mais j’ai cité ce concept dans mon « plaidoyer pour un mieux vivre ensemble » mis en ligne par Parallèle Sud le 19 Juillet dernier (et que je remercie). C’est un concept que j’entends et qui peut renvoyer dangereusement à la notion de qui est Réunionnais et qui ne l’est pas. Y a pas plus terrain de discorde que celui-là. Pourtant si l’on considère que certains pays ou régions ont été sujets à de fortes migrations, au bout d’un moment la terre d’adoption devient sien. Ainsi les Espagnols, Portugais, Italiens, Arméniens, Algériens, Africains… qui ont immigrés en France depuis plusieurs générations peuvent se sentir Français aujourd’hui, du moins je le pense sans l’affirmer. De même que les Normands, Vendéens, Africains, Malgaches, Chinois, Indiens… qui ont peuplé la Réunion, sont devenus Réunionnais au bout d’un processus relativement long (créolisation). Il est peut-être préférable de se fier à la notion de natif, qui est quelqu’un né sur un territoire de parents eux-mêmes nés sur ce territoire. Mais attention à ne pas s’en faire un alibi qui permettrait à tout un chacun de s’auto proclamer Réunionnais et de se disculper de toute « appropriation culturelle ». La boucle est bouclée.
S’il est bien un domaine où tout s’échange, se reproduit, s’exploite, se fusionne, c’est bien la musique mais il me semble que le terme d’appropriation culturelle n’a pas lieu d’être. J’entends dire que le maloya aurait des apports européens ou chinois, j’attends qu’on m’explique comment. On peut s’approprier un art de vivre, épouser une philosophie, un concept mais chacun devrait s’intéresser et s’en tenir à sa culture propre. Laissons aux autochtones de chaque pays ce qui leur appartient en toute humilité.
La musique est universelle mais il est maladroit de vouloir s’approprier une culture.
Georges Ah-Tiane
membre du Komité Pangar !
Paul Mazaka, acteur culturel
Suite à l’article rédigé dans votre journal en ligne, relatant notamment le contenu d’un « rond kozé » sur l’identité réunionnaise, j’ai l’honneur de vous faire savoir que je n’ai jamais dit que l’on peut devenir réunionnais. Mon propos était essentiellement axé sur les expériences sensorielles. J’ai bien pris soin d’ailleurs de préciser, en introduction, que ce sujet était très sensible et divise et qu’on doit l’aborder dans un esprit apaisé. Les réactions suscitées sur les réseaux sociaux me donnent raison.
Paul Mazaka
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L’auteur de l’article présente des excuses à quiconque aurait été blessé par son argumentaire. Il entend la réalité du concept d’appropriation culturelle. Il ne dit pas que ça n’existe pas. Ce concept, selon lui, contrevient à l’idée qu’il se fait de la liberté d’expression notamment dans la vidéo évoquée dans l’introduction qui dénonce ad nominem quelques artistes locaux et, d’autre part, il est d’après lui contreproductif quand on parle du marché de la musique.
Aborder la question de l’identité réunionnaise dans son article n’avait pour but que d’appuyer son propos, pas d’en disserter ; c’est pourquoi elle a été résumée en une seule phrase, hors contexte, Philippe Nanpon le regrette.
Parallèle Sud comprend l’émotion suscitée et l’intérêt des éclairages ci-dessus précisant les positions de chacun, en revanche, il dénie toute mise en cause de la probité professionnelle du journaliste qui n’a fait que citer des propos effectivement tenus, ce que tout lecteur peut vérifier en visionnant la vidéo du Sobatkoz postée plus haut.
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Kosa èt réyoné ?
Droit de réponse suite à article publié.
Identité réyoné
Suite à l’article » Kosa èt réyoné » sur l’appropriation culturelle, droit de réponse des intervenants du débat sur l’identité réunionnaise.
Réyoné – Points de vue
Expression de réyoné dans Parallèle Sud.