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[Fruits et légumes] “LM veut rafler tous les marchés de La Réunion”

GRANDE DISTRIBUTION

En juillet 2024, le puissant négociant réunionnais de fruits et légumes, LM Distribution, décrochait de nouveaux marchés : la gestion des rayons de fruits et légumes des quatre hypermarchés Run Market. Actuellement, il gère une cinquantaine de concessions sur toute l’île. La situation inquiète les acteurs du secteur qui voient leurs marchés se réduire et craignent la mise en place progressive d’un monopole.

Tout le monde fait ses courses au supermarché. C’est simple et pratique, tout se trouve à disposition au même endroit. Produits secs, en conserves, produits frais, parmi lesquels, les fruits et légumes. Sur ce marché, un acteur s’est imposé sur nos étals de supermarchés, sans que nous en ayons conscience en tant que simples clients : le groupe LM. Avec néanmoins un impact non négligeable à l’heure où les questions de vie chère font la Une des médias.

Que se passe-t-il en coulisses, derrière les rideaux métalliques, dans les bureaux où se jouent les négociations commerciales ?

Quatre hypermarchés Run Market

Si l’on écrit cet article, c’est bien parce que ça commence à râler fort, un peu de tous les côtés, contre le premier négociant de fruits et légumes de La Réunion, LM distribution. L’entreprise vient de passer une nouvelle fois devant le Conseil des Prud’hommes de Saint-Pierre chargé d’évaluer le préjudice subit par Olivier Lebon, agriculteur, ancien associé de LM D., reconnu salarié par la Cour de Cassation. Le groupe LM est aussi au centre d’une enquête du Parquet européen pour des soupçons de fraude fiscale, fraude aux subventions européennes, abus de biens sociaux et travail dissimulé. Voilà pour le décor.

Run Market grande distribution commerce hypermarchés

Venons-en à la grogne. En juillet dernier, le groupe LM a raflé quatre nouveaux magasins sur l’île, les quatre Run Market (Saint-André, Sainte-Marie, Saint-Paul Savanna, Le Chaudron), de nouveaux marchés où exposer et vendre ses fruits et légumes. On appelle ça des concessions. LM propose à une grande surface de s’occuper de son espace fruits et légumes entièrement, sauf pour l’encaissement. “Le rayon leur appartient, c’est comme un magasin dans un magasin”, explique un grossiste.

La société de Joseph Danie Leveneur – dit Dany Leveneur – a mis elle-même ce système en place il y a une quinzaine d’années, en commençant avec les enseignes Leader Price, alors en difficultés financières. Puis LM a répété le modèle jusqu’à aujourd’hui, choisissant la plupart du temps des supermarchés en difficulté, un modèle “gagnant-gagnant” pour LM et le magasin.

“LM est en train de devenir un monopole”

Avec un peu de chance, le personnel n’a même pas besoin de changer, il passe juste des mains du supermarché à celles de Leveneur et il poursuit son travail au même endroit : la mise en rayon, le rangement, le service, etc.

Si on veut voir le positif, on peut dire que LM aide les grandes surfaces et soutient les emplois dans un contexte difficile”, souligne un concurrent lésé. “Le mauvais côté, c’est qu’il est en train de devenir un monopole”, résume-t-il.

Dans les concessions, il n’existe donc plus de concurrence entre fournisseurs. La société LM arrive avec ses camions et décharge sa marchandise. “Elle contrôle le prix, elle contrôle sa marge”, pointe un transporteur du secteur. Si les produits sont vendus à la caisse par l’enseigne qui conserve 11% des ventes, la gestion des stocks et des chiffres reste entre les mains de LM. Aux dires de certains acteurs du marché, cela permettrait d’entretenir une opacité entre les volumes arrivés et les volumes effectivement vendus.

Plus de concessions, moins de concurrence

Maintenant, soyons honnête, personne à La Réunion à part LM n’a les moyens logistiques de mettre en place des concessions”, poursuit le transporteur. “Mais de toutes façons, il n’y a pas d’appel d’offres.

Aujourd’hui, avec les quatre nouveaux Run Market – pour lesquelles il a créé quatre nouvelles sociétés, nommées Gespro – LM dispose d’une cinquantaine de grandes surfaces sur toute l’île sous concession. Autant de supermarchés que ne peuvent plus livrer ses concurrents sur toute la chaîne des fruits et légumes, des producteurs indépendants, en passant par les autres organisations de producteurs (les concurrents de la Sica TR qui est administrée par LM) ou encore les autres importateurs de fruits et légumes.

Il y a trop de concessions et ça nuit a une concurrence saine”, estime un grossiste. “Le concessionnaire devrait être indépendant.”

Arrêts de collaborations sans explications

La seule enseigne que l’on peut encore livrer, c’est Run Market”, ajoute un second grossiste qui souhaite conserver lui aussi l’anonymat. “Ils avaient des dettes avec leurs fournisseurs donc il a fallu trouver un accord avec LM afin de conserver une part de marché pour les fournisseurs historiques. Les prestataires ont été convoqués avec le staff de LM pour une réunion. Par contre, nous n’avons plus accès aux autres concessions, il y a pas eu de négociations.” Des arrêts de collaborations qui se sont parfois passés de manière assez brutale, sans explications, et sans recours possible.

En moins de cinq ans, le nombre d’entreprises d’importation de fruits et légumes est passé de 6 à 3. Impossible d’en tirer la conclusion que la prise de marchés du groupe LM dans la grande distribution en est la seule explication. Ce n’est d’ailleurs certainement pas le cas. Il n’empêche que les concurrents lésés de la chaîne des fruits et légumes sont contraints de s’adapter, trouver de nouveaux débouchés, améliorer leurs services, réorganiser leur masse salariale, lorsqu’ils n’ont pas encore été contraints de licencier.

Parmi les marchés qu’il leur reste, on trouve : les supermarchés indépendants qui ne sont pas en concessions (certains magasins U en franchise, les Leader Price en franchise, la centrale qui livre les Leclerc), des bazardiers, des restaurateurs, des entreprises qui font de la transformation, des institutions publiques pour les cantines des écoles ou même celles des hôpitaux, des particuliers. La plupart des transactions ont lieu sur le marché de gros ou en livraison directe.

“Faire travailler tout le monde”

D’autres fournisseurs encaissent la perte en ponctionnant leur trésorerie, espérant trouver rapidement d’autres débouchés, comme c’est le cas de David* : “Le passage de Run Market en concessions est une grosse perte à notre niveau. On ne peut pas compenser pour l’instant, c’est une perte directe. Il a pris les concessions en juillet, et en juillet on a perdu près de 90% de notre chiffre. En août, on est tombé à 0.

Déjà grâce à la Sica TR, ses entreprises touchent des subventions – contrairement aux indépendants – pour la productions de fruits et légumes”, relève un producteur indépendant en colère. “Et en plus, avec les concessions, il a tous les débouchés !”

En mettant en place ces concessions, “LM s’est engagé à faire travailler tout le monde, mais dans la réalité ce n’est pas le cas”, pointe un autre concurrent du secteur. “Il fait travailler ses entreprises et puis il achète aux autres, aux indépendants, lorsqu’il n’a rien en stock ou pour les fruits et légumes rares.”

Nous qu’est-ce qu’on fait ? Et bien on va augmenter les prix de ces produits pour compenser un peu la perte de marché”, regrette un grossiste. Une conséquence pour le consommateur est donc notamment l’augmentation des prix de ces produits rares.

10 à 20% plus cher qu’au marché forain

Mais ce n’est pas tout. Un légume moche ? On ne fait pas attention. Un rayon de légumes pas très jolis, un peu gâtés ? On hésite, et puis on achète quand même, parce qu’on n’aura pas le temps de toute façon de passer chez le bazardier ; s’il est encore ouvert…

Le public des supermarchés est un public captif”, lâche un analyste du secteur. Selon ses données, sur le marché forain, les fruits et légumes sont 10 à 20% moins chers de manière constante par rapport aux prix dans les grandes surfaces.

Sur ses propres stands, LM peut donc écouler une marchandise qui n’aurait peut-être pas été achetée ailleurs en raison de son prix ou de sa qualité.

D’autant que le groupe LM joue sur tous les tableaux. En effet, il détient à la fois des parts dans des entreprises de production de fruits et légumes, il est à l’origine de la création de l’organisation de producteurs Sica TR et y est le chef d’orchestre, il livre, il importe, il vend en gros et au détail dans les concessions. “LM veut rafler tous les marchés des fruits et légumes à La Réunion”, lâche un agriculteur.

“Sa force, c’est ses volumes”

“Le fait d’avoir toutes ces concessions lui permet d’acheter en grosse quantité et de négocier le prix d’achat de ses fruits et légumes”, souligne un grossiste. “Sa force, c’est ses volumes. Il achète à bas coût, il est tranquille ensuite pour aller faire la guerre ailleurs : là où il n’est pas en concession. Là, il va baisser ses prix pour casser la concurrence. Il peut ensuite récupérer la différence dans ses concessions.

Au niveau de la Diecte, la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, sollicitée par des acteurs du secteur, le système de concession rentre jusque là dans les clous. “A partir du moment où il est indiqué explicitement que le rayon est exploité par LM, ce qui est loin d’être toujours le cas”, ajoute toutefois un expert indépendant.

Rien d’interdit

On a parlé à la Diecte”, indique un des grossistes interrogés. “Elle ne peut intervenir que lorsqu’il y a une situation de position dominante et qu’une société empêche les concurrents de se développer. Dans le cas présent, on ne peut pas le démontrer donc il n’y a rien qui l’interdit. C’est une décision des gérants du magasin donc c’est accepté.” Notre interlocuteur ajoute pour conclure : “Moi je trouve qu’ils bloquent un peu la concurrence, surtout sur un petit territoire comme La Réunion. Ca devient compliqué pour nous.

Contacté, Dany Leveneur n’a pour l’instant pas souhaité répondre à nos questions, laissant toutefois ouverte la porte d’une possible rencontre.

Jéromine Santo-Gammaire

*Prénom d’emprunt

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.

Parallèle Sud

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