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[Elevage] Seule face aux stéréotypes machos

JOURNEE DE LA FEMME RURALE

Une maman et ses enfants, éleveurs à la Plaine des Cafres, ont organisé mardi 15 octobre 2024 une journée pour parler du vécu des femmes dans le monde agricole. Emily, 19 ans, déroule avec sensibilité le récit du parcours de sa maman, cheffe d’exploitation laitière.

« Dans le monde agricole, les gens ont beaucoup de stéréotypes machos en tête, ils croient qu’une femme ne va pas être en mesure de faire certaines choses. Ils ne pensent pas qu’en tant que femme tu peux être cheffe d’exploitation », raconte Emily, 19 ans. Cette réalité, la jeune femme, étudiante en BTS production animale, l’a vécue. Elle témoigne du parcours de sa mère et de la force qu’elle a su déployer pour faire sa place. On entend dans sa voix le respect, l’estime qu’elle lui porte.

« Nous, on a toujours vécu dans le monde agricole. Ca nous tenait à cœur de mettre en valeur les femmes dans l’élevage, dans le maraîchage aussi. Mais pas dans une démarche de business. Notre volonté, c’est pas de vendre des produits, mais vraiment de sensibiliser au vécu de la femme. » Emily, sa maman Chantal, sa petite sœur Lénaëlle (13 ans) et son petit frère Jérémy (14 ans) ont organisé eux-mêmes une journée spéciale mardi 15 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale de la femme rurale.

Une centaine d’élèves sur l’exploitation

La journée, mise en place à leur initiative, pour la toute première fois, s’est déroulée sur leur exploitation en élevage laitier située à la Plaine des Cafres. Chantal Nandjan y soigne plus d’une trentaine de vaches laitières depuis environ trois ans. Pour l’occasion, elle a ouvert les portes de son élevage à une centaine d’élèves venus du CFPPA de Saint-Joseph, du CFA de Saint-Benoît, de l’Amapei, de la MFR de la Plaine des Palmistes. La famille avait convié l’association Femmes solidaires afin de parler de violences conjugales et de harcèlement. Étaient présentes également une entreprise de matériel agricole ainsi que la Maison familiale et rurale qui tenait un petit stand créatif pour les plus jeunes.

« Ma mère faisait la visite de l’exploitation et moi, j’avais un stand avec Lina*, chauffeuse poids lourds à la Sica Lait », explique Emily. « Elle est camionneuse à la collecte, elle récupère le lait sur les exploitations. Je débattais avec les élèves pour savoir quels étaient les enjeux selon eux pour une femme qui veut se lancer dans le monde agricole, qu’est ce qui peut se mettre en travers de son chemin. »

Camionneuse à la collecte du lait

Chantal a grandi et baigné toute sa vie dans l’élevage laitier. « Son pépé faisait des vaches comme dans le temps lontan », raconte Emily. « Mon pépé aussi, il avait à l’époque une douzaine de vaches laitières. » Pourtant, en couple avec un éleveur laitier lui-aussi, Chantal endosse le rôle de conjointe collaboratrice. Elle est la « femme de ». « Elle avait perdu confiance en elle, elle avait pas d’objectif avant d’être cheffe d’exploitation, elle se sentait plus conjointe ». En parallèle, elle subit des violences physiques de la part du père de ses enfants. Jusqu’au jour où elle trouve la force de partir, les emportant avec eux, de l’autre côté de l’île. « C’est là qu’on a rencontré mon beau-père ».

Au bout de 5 ans, Chantal ressent à nouveau l’envie de retrouver les vaches, la fraîcheur des hauts. « Elle a pu récupérer le terrain de mon grand-père et on l’a encouragée dans sa démarche. Elle aime ce qu’elle fait. » Emily estime qu’il n’y a que trois ou quatre éleveuses laitières sur l’île. Sa maman se heurte aux idées reçues, aux découragements que lui renvoie le reste de la profession, mais parvient à maintenir son cap.

« Les gens allaient vers mon beau-père »

« Avant de reprendre, elle avait passé une commission et des éleveurs lui avaient demandé si elle comptait vraiment reprendre « sans bonhomme derrière ». Pourtant, il faut dire qu’avant déjà, son mari était pas vraiment là. En fait, elle a toujours été un peu seule. Elle a jamais eu de soutien extérieur à part nous. Aujourd’hui, quand les mêmes personnes voient l’exploitation, ils disent « Ah ba Chantal, ça tourne bien! ».

Emily reprend : « Ca te fait te sentir un peu humiliée – le mot est peut-être un peu fort mais ça ressemble à ça. C’est naturel de ressentir ça parce qu’on a aussi le droit de se sentir capable en tant que femmes. » Elle se souvient des premiers mois, alors que sa mère venait de se réinstaller. « Les gens allaient vers mon beau-père alors qu’il n’était pas du tout dans le milieu agricole. »

Petit à petit, le beau-père d’Emily se prête au jeu, il apprend et vient en soutien. Mais il perd la vie en début d’année 2024. « Maman a été vraiment très courageuse. J’ai pris le relai sur la ferme », témoigne Emily. « Mon petit frère veut reprendre l’exploitation. Ma petite sœur, Lénaëlle, elle est plutôt a l’intérieur, elle fait du rangement, à manger, elle a 13 ans, elle fait des choses qui rendent service. Moi, je ne veux pas m’installer pour l’instant, je suis en alternance avec la Sica Lait, peut-être plus tard en tant que technicienne d’élevage. »

Jéromine Santo-Gammaire

*Prénom d’emprunt

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.

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