ERRANCE ANIMALE
Pour l’association Apeba il s’agissait d’une solution pour lutter contre l’errance animale… Des communications de l’association parlant de « chiens communautaires » sur les réseaux sociaux et dans les médias ont semé la confusion depuis de nombreux mois et entraîné des relâchages de chiens dans la nature, allant même jusqu’à menacer la sécurité des habitants du quartier. Or, ce dispositif n’est pas à l’heure actuel appliqué à la Réunion, comme la rappelé la Sous-Préfecture aux maires.
Avez-vous déjà entendu parler des “chiens communautaires” ? Il s’agit de chiens errants, identifiés et stérilisés, placés sous la responsabilité des communes dans lesquelles ils vivent, avec le concours d’associations de protection animale. Pour les défenseurs de la cause animale, cette mesure permet avant tout d’éviter que certains chiens ne se fassent attraper par les fourrières et euthanasier, lorsqu’ils sont connus, isolés et qu’ils ne causent aucun trouble. Sur le même principe, il existe la possibilité de mettre en place sur les communes des colonies de “chats libres”, des matous connus, identifiés, stérilisés et relâchés au même endroit puis nourris par des bénévoles membres d’associations.
Le 4 décembre 2024, lors de son conseil municipal, la commune de l’Etang-Salé a tiré un trait ferme sur le projet de chiens communautaires tel qu’il était porté et proposé jusque-là par l’association Apeba, L’Association Pour l’Éducation à la Bienveillance Animale.
« Venir à bout de l’errance animale »
Pour l’association Apeba, le dispositif de “chiens communautaires” est “le dispositif qui peut permettre de venir à bout de l’errance animale, comme cela s’est passé dans de nombreux pays”.
“Nous n’avions jusque là signé qu’une lettre de soutien, qui n’a pas de valeur juridique, mais la convention n’a jamais été signée”, affirme l’élue de l’Etang-Salé en charge de la bienveillance animale, Laureen Sanchez. Après plusieurs réunions qui se sont déroulées tout au long de l’année, la commune a finalement décidé de renoncer au projet. “Nous avons compris que ce n’était pas très sérieux, et trop instable pour que nous nous engagions là-dedans. De plus, comment travailler avec une personne qui n’écoute pas, change de versions et ne se remet jamais en question ?”
Au fur et à mesure des échanges, les membres de la mairie réalisent qu’ils ont mal cerné le contour légal de ce dispositif proposé par la loi aux communes qui souhaitent le mettre en application. “L’association Apeba nous a dit qu’il fallait que des associations ou des particuliers identifient les animaux alors qu’en réalité, on s’est rendu compte que les chiens doivent absolument être identifiés au nom de la commune. Ce qu’elle demandait nous aurait mis dans l’illégalité. Sans compter qu’on ne peut pas faire de la répression d’un coté et avoir des chiens d’assos divaguant de l’autre coté, ce n’est pas logique. Visiblement, on a un peu profité de notre manque de connaissances sur le cadre réglementaire.”
Pas de convention, pas d’arrêté municipal
“Ce serait plus simple si les associations pouvaient identifier les animaux, elles assumeraient la responsabilité”, estime de son côté Cécile Squarzoni, la présidente de l’association Apeba. “Malheureusement ce n’est pas le cas et si le projet n’a pas pu aller jusqu’au bout sur Etang-Salé, c’est bien parce que la commune aurait dû ouvrir son compte Icad pour identifier les animaux et qu’elle ne l’a pas fait.”
L’Etang-Salé est bien la commune qui est allée le plus loin, semble-t-il, dans la réflexion autour de ce dispositif de “chiens communautaires” mais l’association Apeba affirme avoir obtenu le soutien d’autres communes : Saint-Denis, Saint-André, Saint-Leu. Contactées, les communes semblent d’ailleurs peu au courant de ce dispositif.
Pour l’heure, aucune commune réunionnaise n’a signé de convention, ni d’arrêté municipal. Ces préalables sont indispensables à la mise en application via des associations de ce dispositif “chiens communautaires” sur le territoire, comme l’a rappelé la sous-préfecture de Saint-Pierre en charge de l’errance animale dans une note adressée en juin dernier notamment aux communes.
Un cadre réglementaire strict
Suite à plusieurs problèmes remontés, la sous-préfecture a effectivement estimé important de replacer le cadre de l’application de ce dispositif. Dans ce document que nous avons pu nous procurer, elle décide que le dispositif “n’est pas considéré comme le moyen prioritaire” et laisse au maire le choix de l’appliquer ou non.
“Dans tous les cas, ce dispositif n’a jamais été une obligation pour les communes, contrairement à ce qu’affirmait partout pendant des mois Mme Squarzoni qui disait que les maires étaient dans l’illégalité s’ils ne le faisaient pas”, souligne la présidente d’une association de protection animale sous couvert d’anonymat.
La sous-préfecture estime dans sa note que : “Si ce type d’intervention permet de lutter sur le moyen et le long terme contre l’errance animale, il ne réduit pas les risques liés tels que les attaques, l’accidentologie routière ou encore la propagation de certaines maladies (comme la rage par exemple sur le territoire qui en est actuellement indemne). Enfin et surtout, il ne permet pas de réduire la présence animale dans l’espace public sur le court terme. Ainsi, compte tenu de la situation de La Réunion en ce qui concerne l‘errance animale, ce type de dispositif n’est pas considéré comme un moyen prioritaire par l’État pour lutter contre l’errance animale à La Réunion. S’agissant d’un dispositif prévu par la réglementation, son utilisation est donc laissée à l’appréciation des communes.”
325 000 euros
A la fin, tout le monde le reconnaît : “Pour l’instant on ne peut pas mettre en place de chiens comunautaires” et la présidente d’Apeba ajoute “à cause du blocage des maires, ce qui est bien dommage”.“Les mentalités ne sont pas encore prêtes”, poursuit Cécile Squarzoni dont l’association a décroché 325 000 euros du Plan France Relance en 2022 sur un programme de mise en place de chiens communautaires, stérilisations auprès des particuliers en difficulté et actions éducatives.
“L’errance animale va continuer alors que ce dispositif aurait aidé. Les chiens communautaires sont identifiés, on les connait, ils sont stérilisés, donc ils ne vont plus se battre contre les femelles, ils ne peuvent plus se reproduire et il y a des nourrisseurs qui vont les surveiller. Ca apporte une sécurité dans les quartiers, si un chien change de comportement, il est prélevé.”
13 chiens communautaires supposés
Sur son site internet, Apeba affirmait encore hier avoir mis en place 13 chiens communautaires et 260 chats libres au 1er décembre 2023. Des chiffres qui, de fait, n’existent plus, du moins en ce qui concerne les chiens.
“On y croyait, on était dans le processus de mise en place donc oui, on a communiqué”, répond Cécile Squarzoni quand on la questionne sur le sujet. L’association n’a d’ailleurs pas hésité à aposer sur ses communications les logos des mairies et de la police sans leur autorisation. Elle avait même déjà préécrit l’arrêté municipal dans son style propre, il ne manquait que la signature du maire.
Depuis un an et demi, sur les réseaux sociaux, l’association Apeba s’était effectivement franchement avancée, anticipant l’avenir. Elle avait largement communiqué sur le sujet, considérant que les chiens communautaires étaient déjà en place, notamment sur la commune de l’Etang-Salé mais aussi à Saint-Denis, au niveau de la Vigie et du Colorado. “Ce qui était tout à fait faux”, revendique Laureen Sanchez. Et l’association Apeba avait commencé à relâcher des chiens, notamment sur la commune de l’Etang-Salé et à Saint-Denis. Elle l’a d’ailleurs elle-même conté sur les réseaux sociaux ou dans les médias, s’attirant la sympathie de certains défenseurs de la cause animale.
Chiens relâchés
« Les attaques qui ont eu lieu suite à la présence de ces animaux volontairement déposés en forêt et nourris montre bien que relâcher des chiens sur site ne résout pas le problème et n’enlève aucunement les nuisances et les risques », lâche Eddy Turby responsable de la fourrière pour le compte de la Cinor, de la Casud et de la Civis. Plusieurs joggeurs ou habitants qui promenaient leur chien dans la forêt de l’Étang-Salé ont rapporté des attaques et plusieurs personnes ont été blessées entre le mois de mars et le mois de juillet 2024.
Contactée, la fourrière a réalisé plusieurs opérations de capture. Eddy Turby : “Ces animaux là, c’est compliqué de les récupérer, la forêt est vaste. Et puis communiquer sur des relâchages d’animaux, ça encourage d’autres personnes. Une dame s’est même filmée sur les réseaux sociaux. Lors des opérations, on a des cages qu’on laisse sur site, mais on s’est rendu compte que les chiens capturés étaient relâchés. Le problème, c’est que les chiens qui ont déjà été capturés une fois ne vont pas revenir, donc ils vont continuer à divaguer. Ensuite, on nous a détruit des cages, on nous en a dérobé. On a porté plainte. On ne sait pas qui c’est. Mais sur un commentaire sur facebook, Apeba avait écrit : “ce sont les cages de la fourrière, faîtes ce qu’il faut”.”
Attaque à la Vigie
A la Vigie aussi, une vieille femme et son enfant ont été attaqués par des chiens errants. Sur place, la fourrière a identifié un chien appartenant à l’association Apeba prénommé “Marcel”. Déjà capturé un an plus tôt. Plusieurs chiens auraient été déposés là par l’association dans un bâtiment désaffecté des finances publiques, soulevant des plaintes de la population.
Le cadre de la fourrière rappelle qu’en plus d’un examen comportemental approfondi de l’animal réalisé par un vétérinaire spécialisé, les fourrières doivent être informées des lieux exacts où sont relâchés les chiens communautaires, ainsi que de leur numéro d’identification. “Nous n’avons reçu jusqu’à l’heure aucun listing à ce sujet”, indique Eddy Turby qui n’a aucune idée du nombre de chiens relâchés au titre du “chien communautaire” ni l’intégralité des communes concernées. En revanche, il a, à plusieurs reprises, capturé des chiens identifiés au nom de l’association Apeba. Comme “Papy”, capturé sur le rond-point des Sables à l’Etang-Salé, récupéré par des bénévoles “à trois ou quatre reprises” et replacé par l’association dans la rue au même endroit.
Questionnée, l’Apeba reconnaît deux « chiens communautaires » à l’Etang-Salé, désormais “placés en famille d’accueil”. La même chose pour Saint-Denis. « Il existe encore beaucoup de chiens au Colorado, les gens continuent d’abandonner leurs chiens. »
Stérilisations solidaires
“Nous, on doit ramasser nos animaux et on donne de l’argent public à une association pour qu’elle relâche les siens dans la nature ?” s’énerve l’éleveur de cerfs Paul Payet, représentant du syndicat Upna. Les éleveurs ont manifesté le 3 octobre dernier devant la sous-préfecture de Saint-Pierre pour dénoncer la gestion de l’errance animale à La Réunion et les attaques de chiens qu’ils continuent de subir sur leurs troupeaux.
“L’axe principal du Plan France Relance que nous avons obtenu concerne prioritairement la stérilisation solidaire des animaux chez les familles”, met en avant de son côté Cécile Squarzoni. “L’argent public est mis au service des communes et des familles réunionnaises”.
A ses débuts, l’idée de “chiens communautaires” était portée par l’Alliance. « Malheureusement, la non-application de la réglementation a fait perdre du crédit à ce projet » estime Karine, la présidente de l’Alliance des associations pour les animaux. « Il va falloir regagner la confiance des communes pour envisager de l’appliquer, sans doute sous d’autres formes.”
« Plus de 400 chats libres à Saint-Denis »
Sur sa page Facebook, l’Apeba a publié un post pour faire le bilan de ses actions. La présidente de l’association se réoriente désormais vers des projets de “chats libres” et espère qu’elle obtiendra davantage de succès qu’avec le dossier “chiens communautaires”. “On a fait du chat libre à Saint-Denis. On intervient dans des quartiers où il y a des chatons tués, empoisonnés, on les capture, on les stérilise. On a plus de 400 chats libres dans différents quartiers de la ville, avec des nourrisseurs, mais il y a tellement de demandes qu’on n’arrive pas à tout faire.”
L’Apeba a-t-elle rectifié ses pratiques et appris de son échec précédent ? Ses réponses laissent planer le doute. “On a interrogé la Daaf, il est recommandé de faire une convention, un arrêté municipal mais ce n’est pas une obligation”, affirme Cécile Squarzoni. “On n’intervient pas de notre propre chef, ce sont les populations qui appellent à l’aide et on essaie d’y répondre. On vient pour assainir des quartiers. Les chats sont les oubliés de l’errance animale. D’ailleurs la loi exige que chaque mairie fasse du chat libre depuis l’amendement de 2014. Et s’ils ne le font pas, il faut le justifier. Les maires ne sont pas aux normes, ils ne peuvent plus envoyer les fourrières chercher les chats sans propriétaires.”
Jéromine Santo-Gammaire
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