[LIBRE EXPRESSION]
Quoi qu’on en pense, l’élection d’Huguette Bello à la tête de la Région Réunion, le 27 juin 2021, aura constitué un fait politique en soi. Une femme, militante féministe de la première heure, qui crée sa propre formation politique et devient présidente de Région marque une rupture considérable dans l’histoire politique de La Réunion. L’alternance PCR / LR (ou RPR-UMP), n’est plus.
Devoir désormais assurer la direction politique d’une collectivité d’une telle ampleur est un défi immense mais surtout une opportunité unique pour ce territoire.
Notre île fait face à un endettement financier conséquent et au besoin d’une stratégie claire et ambitieuse vers son autonomie alimentaire et énergétique. Alors que le renouvellement de sa classe politique s’opère et reste nécessaire, la société réunionnaise doit prendre des décisions structurelles importantes qui vont déterminer, pour le long terme, sa trajectoire.
Le paysage politique réunionnais est en proie à de profondes mutations. La gauche y occupe désormais une place prépondérante dans les mairies, à l’Assemblée nationale et à la tête de la Région. Deux des trois plus grandes villes de l’île sont dirigées par des élus se revendiquant de gauche, tout comme d’autres villes importantes telles Le Port, Cilaos ou Saint-André… Par ailleurs, on observe récemment des stratégies d’alliance qui s’opèrent entre députés de l’île, dont 3 d’entre eux s’illustrent par leur travail au service de l’intérêt général et leur capacité à se faire les porte-voix des sans-voix que sont les populations d’Outre-mer sur la scène nationale. C’est le cas de Jean-Hugues Ratenon, de Karine Lebon et de Philippe Naillet.
Transformer le fonctionnement de la 5ème République
Mais le quinquennat d’Emmanuel Macron qui s’achève a démontré comment le pouvoir exécutif pouvait réussir à ne cantonner l’Assemblée nationale qu’à une vulgaire chambre d’enregistrement. Les multiples passages en force du président de la République – à l’image de l’utilisation du 49.3 sur la réforme des retraites – ont fini de démontrer l’impérieuse nécessité de transformer le fonctionnement de la 5ème République.
De même, la crise du Covid, que nous continuons de traverser, a révélé une longue série de carences dans notre organisation territoriale. Notre système de santé est vulnérable. Les épidémies de Dengue et de Covid-19, parfois traversées de façon simultanée, ont montré à quel point les structures hospitalières de notre île étaient insuffisantes et sous-dotées.
Désormais tout le monde, peu importe sa position sur l’échiquier politique, s’accorde à dire (y compris le gouvernement) qu’il est impératif de revoir la question du “coefficient géographique” pour les hôpitaux des Outre-mer.
A titre d’exemple, la députée Karine Lebon interpellait ainsi le ministre de la Santé, le 15 juin 2021 à l’Assemblée nationale : “L’ouest de La Réunion compte 220 000 habitants et le nombre de lits n’est que de 310, ce qui représente un ratio de 1,41 lit pour 1 000 habitants. Or, selon l’OCDE, la France compte environ 5,9 lits d’hôpitaux pour 1 000 habitants.”
Faire face de façon autonome aux crises qui peuvent survenir
Du fait de la fragilité de ses structures hospitalières, de la présence dupliquée de facteurs de comorbidité (hypertension, diabète, obésité..), de la particularité de l’insularité du territoire qui accélère nécessairement la propagation d’une épidémie et de l’isolement géographique de notre île, il convient, de façon indispensable, de “rattraper” le grave retard du système hospitalier réunionnais, et même de le sur-doter, pour permettre à notre territoire, très distant de l’hexagone, de faire face de façon autonome aux crises qui peuvent survenir.
Par ailleurs, le Covid a aussi démontré une forte vulnérabilité et des défaillances dans notre approvisionnement, alimentaire notamment. La dépendance de notre économie aux importations et donc aux aléas du fonctionnement du fret et du commerce international rendent notre société tout à fait vulnérable.
Aujourd’hui, La Réunion produit entre 1 et 15% des produits alimentaires qu’elle consomme, selon les associations spécialistes. Prenons un exemple : l’ail. Produit de base de la cuisine réunionnaise, il est majoritairement issu de l’importation en provenance de Chine où il est abondamment traité aux pesticides. L’ail péï, cultivé à une trop petite échelle, est en moyenne 5 à 10 fois plus cher que celui issu de l’importation. Cela est la conséquence directe d’une absence de vision stratégique, d’un manque de planification à long terme et d’accompagnement par la puissance publique des cultures vivrières. Il nous faut revoir pleinement notre politique agricole pour accompagner sa diversification en développant et soutenant des cultures vivrières traditionnelles, responsables et écologiques.
Il y a urgence à engager une transition
Cette fragilité de notre modèle économique est désormais ressentie par la majorité de la population qui, à chaque événement climatique, géopolitique ou sanitaire conséquent, se rend compte concrètement des impacts directs sur l’économie réelle. Il y a donc urgence à engager une transition ambitieuse, notamment sur les plans agricole, alimentaire et énergétique. Pour soutenir cette bifurcation, une volonté politique commune est indispensable et ne pourra se faire qu’à la condition de convergences stratégiques.
Pendant des dizaines d’années, la scène politique locale a été marquée par un immobilisme qui résultait de l’implantation forte de “ténors” indéboulonables.. Virapoullé, Thien Ah Koon, Fontaine, Lagourgue, Robert… sont autant de noms de grandes familles réunionnaises qui partagent deux point communs :
- avoir occupé pendant des dizaines d’années des postes à haute responsabilité politique ;
- avoir été condamnés et inquiétés par la justice à plusieurs reprises.
L’anomalie de probité et d’éthique
Dire que l’importance du CV d’une personnalité politique à La Réunion s’apprécie au nombre de ses démêlés judiciaires n’est malheureusement pas une boutade. Faire irruption au sein de cette arène en mettant en avant les termes de probité et d’éthique constitue – et nous devrions nous en étonner – une anomalie dans la scène politique locale. C’est le cas de l’actuelle présidente de Région, Huguette Bello, dont le parcours dénote nécessairement puisqu’elle n’a jamais été inquiétée par la justice pour les activités relatives à ses mandats politiques.
Mais l’on devrait observer de plus près d’autres bouleversements dans l’échiquier politique. Les récentes élections municipales ont amené à des bouleversements profonds :
- à Saint-Louis, l’élection de Juliana M’Doihoma est venue surprendre l’éternel duo Hamilcaro/Hoarau ;
- à l’Étang Salé, l’élection de Mathieu Hoarau est venu mettre un coup d’arrêt inattendu au mandat de l’indéboulonnable Jean-Claude Lacouture ;
- la victoire de Joé Bédier est venu contester la suprématie de la famille Virapoullé sur la commune de Saint-André ;
- dans une moindre mesure, lors des municipales précédentes, l’élection d’Olivier Hoarau au Port et de Vanessa Miranville à La Possession sont toutes les deux venues interrompre la longévité des équipes municipales précédentes.
Avidité du pouvoir
La droite locale se retrouve ainsi dominée par Michel Fontaine et André Thien-Ah-Koon. Tous deux s’illustrent par leur opportunisme éhonté et leur capacité à s’adapter au sens du vent : d’un côté, ils assurent au ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, leur soutien à Emmanuel Macron, de l’autre, l’un d’entre eux appelle ses adjoints à apporter leur parrainage à Marine Le Pen, tout en étant, théoriquement, les responsables locaux de la campagne de Valérie Pécresse. Ces choix récents démontrent à nouveau à quel point leur boussole politique n’est guidée que par l’avidité du pouvoir.
Du haut de ses 81 ans, et entamant son énième démêlé judiciaire, André Thien-Ah-Koon prépare le “renouvellement politique” pour sa commune et la 3ème circonscription en propulsant un certain Patrice Thien-Ah-Koon, son fils, sur le devant de la scène. C’est désormais le népotisme qui se met à l’œuvre.
Espérons que les prochaines échéances électorales prolongeront l’encourageant renouvellement en cours, pour qu’enfin, les défis immenses auxquels fait face La Réunion soient pris à bras le corps, et que la confiance puisse être peu à peu restaurée entre les Réunionnais et Réunionnaises et leurs élus.
Alexis Chaussalet