conférence Stella matutina Ecrans et addiction Amine Benyamina

Amine Benyamina : « Écrans, changer l’économie de la captation »

Écrans et addiction. Le thème de la conférence donnée par le professeur Amine Benyamina en décembre dernier à Stella a attiré plusieurs centaines de personnes. 

conférence Stella matutina Ecrans et addiction Amine Benyamina
Amine Benyamina.

« 18 ans avant d’accéder aux réseaux ? Ils se rendent pas compte ! » Au sortir de la conférence, en décembre dernier, d’Amine Benyamina (*) sur le thème de l’addiction aux écrans, quelques ados restent éberlués. Leurs parents les ont trainés jusqu’à Stella-Matutina pour qu’ils entendent la bonne parole, la Révélation n’aura pas lieu.

Dans l’auditorium aux trois quarts plein, on remarque de nombreux praticiens, des professionnels de la petite enfance, des enseignants, des familles également. Le professeur chef de service en addictologie de l’hôpital parisien Paul-Brousse est venu jusqu’à La Réunion pour exposer le résultat de son travail commandé par Emmanuel Macron

« Le président de la République m’a demandé un rapport sur la question de l’addiction aux écrans », indique Amine Benyamina, après avoir été présenté par le recteur d’académie Rostane Mehdi. « Il a été alerté d’un problème à la suite des émeutes », ajoute le médecin avec malice. 

Rapport de 140 pages

Le travail a regroupé une dizaine de personnes pendant six mois. « Ce n’est pas un rapport médical, souligne Amine Benyamina, puisque scientifiques, épidémiologistes, associations, Education nationale et entreprises ont participé à la commission Ecrans ». Et aboutit à un « package » de vingt-neuf mesures destinées à éviter les addictions aux écrans qui touchent la jeunesse. Elles sont détaillées à la fin d’un rapport de 140 pages, disponible sur le site internet de l’Elysée, intitulé avec humour A la Recherche du temps perdu, présenté en mai dernier au Président de la République qui s’est engagé à prendre des mesures. Au cours de son intervention, Amine Benyamina évoque une autre commission, qui concerne l’intelligence artificielle. « Ils sont arrivés à des conclusions exactement inverses des nôtres, notamment pour ce qui concerne la reconnaissance faciale, pour des raisons économiques. »

Avant les questions et le débat, le psychiatre addictologue a exposé quelques chiffres et les dangers encourus. Avec de grandes différences en fonction de l’IPS ou indice de positionnement social. Obésité, sédentarité, des retards de langages, ou ce qui ressemble à des troubles autistiques et psychotiques rattrapables avec quelques séances chez l’orthophoniste, des comorbidités ou troubles anxieux et dépressifs, rares et aggravant des pathologies préexistantes, des problèmes de sommeil ainsi que de vue et de myopie. « On prépare une génération d’aveugles », s’alarme Amine Benyamina. « Chez les sportifs de haut niveau, qui eux aussi consomment beaucoup de contenus, on a constaté une augmentation du taux de graisses depuis vingt ans, contrairement aux personnes très actives. »

Une dizaine d’écrans en moyenne par foyer, la moyenne s’établie à 1,6 écran entre 7 et 12 ans, 2,6 chez les 13/19 ans, à 10 ans et demi un tiers des enfants ont un smartphone. Le temps moyen passé sur les écrans avoisine les huit heures par jour et augmente régulièrement. Aux Etats-Unis, les enfants de 2 ans passent déjà une heure par jour en moyenne devant un écran. 

conférence Stella matutina Ecrans et addiction Amine Benyamina
La conférence à Stella Matutina à propos des Ecrans et addictions. (Photos PhN)

La commission Écrans s’est également interrogée sur les conséquences de l’exposition aux ondes électromagnétiques, sans réponse, et à celles des substances présentes dans les terminaux et reconnues perturbateurs endocriniens, sans non plus arriver à des conclusions. « En revanche, cette industrie est terriblement polluante, deux chercheurs nous ont effrayé sur cette question », souligne Amine Benyamina. 

Pas d’écran avant 6 ans, ni dans les crèches ni à l’école, ni chez les assistantes maternelles, organiser une prise en main progressive des téléphones (avant 11 ans : pas de téléphone, à partir de 11 ans : téléphone sans connexion Internet, à partir de 13 ans : téléphone connecté sans accès aux réseaux sociaux ni aux contenus illégaux, à partir de 15 ans : accès complémentaire aux réseaux sociaux éthiques – « nous aurions préféré établir la limite à 18 ans », précise le conférencier). Pour autant qu’elles paraissent radicales, les propositions de la commission Ecrans s’attaquent plus à tout l’écosystème économique qu’à l’éducation prodiguée par les parents au quotidien. « A la base de notre réflexion, nous avons constaté un fait de société, notamment chez les jeunes. Il ne s’agit pas de tout jeter. Mais nous avons rapidement été choqués par la place qu’occupent les écrans dans nos vies », raconte le coprésident de la commission. Rapidement est apparue la politique cynique et totalement décomplexée des acteurs de cette industrie, appelée « économie de la captation, où il y a une péréquation absolue entre le temps passé sur l’application et les gains financiers pour ses acteurs ». « C’est à peine imaginable la puissance des Gafam (*) », s’indigne Amine Benyamina. 

Interdire les bulles algorithmiques

Car si dépendance il y a, un consensus pèse sur les contenus, pas sur l’écran lui-même. « Ça voudrait dire que les fabricants d’ordinateurs et de téléphones seraient attaquables par la justice américaine », explique le psychiatre. « Inverser la charge de la preuve pour lutter contre les conceptions et les algorithmes délétères des services numériques et se doter de capacités d’audits réguliers indépendants » et « Proscrire les pratiques délétères en termes de conception et faire émerger un standard éthique européen », sont ainsi les deux premières mesures préconisées par la commission Écrans. Soit interdire les bulles algorithmiques qui récompensent l’utilisateur en permanence. Et que « notre société vieillissante accepte ses enfants, qui faute de quoi s’isolent.  Les avions sans enfants, les hôtels sans enfants, ce n’est pas acceptable. »

A un orthophoniste qui raconte avoir vu un « tout-petit privé de son téléphone se jeter la tête la première contre un mur »,  Amine Benyamina explique pourquoi : « Vous lui coupez le cordon d’alimentation avec l’environnement, ce n’est pas de l’addiction, c’est vital. Il lui faut réapprendre à parler, à toucher… »

Des enseignants pointent le paradoxe entre pas d’écrans et le système Pronotes. « Oui, répond le praticien. Nous avons pointé ça et demandé que les élèves aient aussi droit à la déconnection ; que rien ne soit envoyé entre 7 heures et 19h30. »

« Il s’agit de protéger plutôt que contrôler. Nous avons interrogé 150 jeunes ; des adolescents qui nous ont demandé de les « aider à se débarrasser de ça » ». Car ils ont bien conscience que l’ « outil qui est fait pour nous faciliter la vie nous prend une partie de notre liberté ».

Philippe Nanpon

(*) Amine Benyamina est psychiatre addictologue, chef du département de psychiatrie et d’addictologie de l’Hôpital Universitaire Paul-Brousse (AP-HP) à Villejuif depuis 2016. Responsable de plusieurs Diplômes Universitaires nationaux et internationaux, il est également Professeur des Universités de la Faculté de Médecine Paris XI. Il préside la Fédération Française d’Addictologie (FFA), le Collège National Universitaire (CNU) d’Addictologie et la Collégiale d’Addictologie de l’APHP (Assistance Publique Hôpitaux de Paris). Rédacteur en chef de la revue Alcoologie et Addictologie et administrateur de la Société Française d’Alcoologie (SFA) et de l’Association Française de Psychiatrie Biologique et Neuropsychopharmacologie (AFPBN), il est l’auteur de plus de 100 articles scientifiques référencés traitants des questions de thérapeutique, de biomarqueurs et de comorbidités psychiatriques et addictives. Il a également écrit de nombreux ouvrages à vocation académique et pédagogique et coordonné plusieurs ouvrages collectifs.

(*) Acronyme qui désigne les géant d’internet que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. 

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.

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