2/3 PAROLES D’AGRICULTEURS
Pour l’UPNA, le risque d’un effondrement de la filière canne qui entraînerait d’autres filières dans sa chute est réel. Dominique Clain, Magaly Onésio et Florent Picard désignent les responsables : les usiniers, les pouvoirs publics, le climat, les monopoles, les modes de consommation… Ils ont pour objectif de faire entendre la voix des agriculteurs.
Il n’y a pas meilleur moment que celui de l’élection des membres de la chambre d’agriculture (du 15 au 31 janvier), pour que les agriculteurs puissent faire entendre leurs voix. Nous sommes donc allés à la rencontre de chacune des trois listes candidates (FDSEA, CGPER et UPNA) pour connaître leur vision de l’agriculture et leurs combats pour vivre dignement de leur métier.
Après Jean-Michel Moutama de la CGPER (Confédération générale des planteurs et éleveurs de La Réunion), c’est au tour de Magaly Onésio, Dominique Clain et Florent Picard pour l’UPNA (Unis pour nos agriculteurs) de prendre la parole avant de laisser la place à Olivier Fontaine pour la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles).
Dominique Clain : Si on perd la canne beaucoup de filières s’écrouleront
Comment vont les agriculteurs ?
Dominique Clain : L’agriculture se porte très, très mal. Avec les complications de la sécheresse, c’est vraiment compliqué à gérer.
Année catastrophique pour la canne, pas terrible pour le letchi, est-ce une conséquence du réchauffement climatique ?
Magaly Onésio : Ça fait quelques années qu’on voit les répercussions du réchauffement sur nos rendements. Nos politiques publiques ne l’ont pas intégré et on subit les conséquences en termes d’ouvrage qui n’ont pas été réalisés pour prévoir la diversification et l’adaptation de nos cultures au contexte climatique.
Comment l’agriculture réunionnaise doit-elle se transformer pour faire face au dérèglement climatique ?
MO : Il faut que l’accompagnement technique soit à la hauteur des enjeux car ce n’est pas donné à tout le monde d’être à la fois un spécialiste de la terre et un spécialiste des démarches administratives.
Quel est selon vous l’avenir de la canne, pilier de l’agriculture réunionnaise ?
DC : La canne représente 18 000 emplois directs et indirects. Si demain matin, on perd la canne, il y aura beaucoup d’autres filières qui s’écrouleront. Le risque est réel et c’est un petit peu la faute des industriels qui n’ont pas mis les moyens nécessaires pour sauver la canne.
Florent Picard : les agriculteurs-locataires pourraient rendre les clés
La Réunion pourra-t-elle un jour atteindre son objectif d’autonomie alimentaire, et comment ?
DC : Oui il y a moyen mais les démarches sont tellement longues qu’on prend 20 à 30 ans pour mettre les choses en place.
Avec un passé marqué par l’esclavage, puis le colonat, comment l’agriculteur réunionnais peut-il affirmer son épanouissement économique et son indépendance vis à vis des grosses structures ?
Florent Picard : Il y a de la place pour tout le monde. Notre territoire et notre vivre ensemble peuvent servir d’exemple mais c’est fragile. On a moins de 500 mètres carrés de terres agricoles par habitant. Nous ne ressemblerons jamais à une terre européenne avec des pâturages, des champs, des vaches, des porcs… Nous sommes un laboratoire hyper fragile qui fait fasse à un épisode de sécheresse jamais vu. La moitié des agriculteurs canniers sont des locataires, demain, par découragement, ils pourraient tout simplement rendre les clés aux propriétaires.
Lors du contentieux à Evollys, l’Urcoopa et ses méthodes ont été fortement critiquées. Pensez vous que le système coopératif, qui s’est développé à La Réunion, soit dévoyé au profit des plus gros contre les petits ?
FP : Le modèle doit évoluer, retrouver l’esprit coopératif : travailler pour les agriculteurs et les éleveurs. Les coopératives qui vont vers des produits de transformation doivent obtenir le consensus de leurs adhérents. En tout cas il faut protéger la filière avicole car c’est la seule qui est arrivé en autosuffisance.
MO : Le problème, c’est le monopole. On arrive à l’unicité de chaque coopérative. C’est un modèle qui est devenu beaucoup moins libre et beaucoup moins concurrentiel. C’est un modèle à revoir totalement. L’Etat doit prendre position dans ces systèmes de monopole. Il va falloir aborder les sujets de la régulation des prix dans les filières et la distribution des marges.
FP : Le fait de devoir écouler 100% de sa production dans sa coopérative pose problème. Il faudrait que les agriculteurs aient le droit d’écouler librement au moins 5% à 10% de leur production.
Quelles photos pour l’UPNA ?
L’équipe de l’UPNA a choisi les 6 photos suivantes pour illustrer son propos
Magaly Onésio : Sans produits phytosanitaires, il y aurait 50% de production en moins
Comment protéger les terres agricoles face à l’urbanisation, face à l’appétit des lotisseurs et des investisseurs du tourisme ?
MO : Il faut un projet de territoire. La ceinture agricole est prisonnière entre la partie naturelle et le grignotage urbain. Qu’est-on prêt à faire ensemble pour aménager notre territoire ? Il faut des personnes volontaires pour représenter les agriculteurs et trouver le juste milieu dans cette difficile équation.
Des forages ont dû être abandonnés à cause des pollutions aux pesticides et herbicides, le Cirad a relevé dans le Sud que la pollution des eaux était chronique… Comment expliquer alors que monde agricole continue à plaider pour l’utilisation de produits chimiques ?
DC : Nous sommes quand même bien encadrés sur l’utilisation des produits chimiques. On attaque la filière cannes car c’est la plus grande superficie. Mais c’est 1 ou 2 traitements dans l’année et pendant 6 mois, il n’y a plus de traitement du tout. Puis la canne capte le gaz carbonique dégagé par les voitures. Personne ne dit rien sur les produits qui arrivent de l’extérieur, Chine, Madagascar, Inde, et qui ne respectent pas les normes européennes.
FP : Et si on parle des chiffres en douanes des importations de pesticides, il faut savoir qu’on stocke pour plusieurs années. Nous sommes très contrôlés. Il y a des pénalités en cas de mauvaise utilisation. Ça peut aller jusqu’à la perte de subvention. N’oublions pas que les grandes et moyennes surfaces vendent des tonnes de pesticides tous publics sans formation.
Les premières victimes ne sont-ils pas les agriculteurs qui peuvent être atteints de maladies professionnelles ?
MO : Oui mais n’oublions pas que nous sommes sous les tropiques avec 365 jours de soleil et de pluie, sans vide sanitaire naturel. On a un taux d’enherbement et de prolifération des insectes qui est différent. Si on va sur des méthodes innovantes sans produits, ça coûte très chères, c’est le consommateur qui ne pourra plus payer. Sans produits phytosanitaires, il y aurait 50% de production en moins. Comment trouver le juste milieu ?
Dominique Clain : On a un gros problème de main d’oeuvre
Ce sera donc très compliqué d’arriver à une île bio?
MO : Le bio, c’est très compliqué, très onéreux et ça nécessite un nouveau consommateur qui comprenne qu’il n’aura pas des fruits aussi beaux et appétissants. Si le consommateur n’achète plus, c’est l’économie entière qui s’arrête.
L’élevage, notamment industriel, est l’une des causes du réchauffement climatique, comment rendre ce secteur plus vertueux ?
FP : La réglementation européenne limite le chargement par hectare pour le gros bétail. Ce serait compliqué d’avoir des chargements plus importants parce qu’il faudrait traiter les effluents. En plus du défi majeur de l’eau, il faudra demain produire du vivant et gérer ses déchets. Nous prônons des micro-stations à gaz chez l’exploitant agricole pour des exploitations autonomes en électricité et sur le plan environnemental.
L’agriculteur accepte sur son terrain des déchets valorisés mais il y a très peu de surfaces et beaucoup de résidus à traiter de la filière volaille, de la filière viande. Les humains aussi, notamment les touristes, ça produit beaucoup de déchets… 2 500 hectares théoriques ont été mobilisés pour la station du Grand Prado à Sainte-Marie.
Comment l’agriculture réunionnaise pourra être un jour capable de nourrir la population avec des produits sains, bios, et à un prix abordable ?
DC : On a un gros problème de main d’oeuvre, il faut surtout travailler sur la mécanisation. Mais les outils sont à des prix exorbitants à La Réunion et à l’extérieur c’est trois à quatre fois moins cher. Nos jeunes veulent travailler, faire du bio, mais il leur faut des outils.
Qu’attendez-vous des pouvoirs publics pour protéger la production locale ?
DC : Sans eux et sans leurs fonds, nous ne pouvons rien. Mais ça fait vingt ans qu’on attend or il faut agir rapidement.
MO : On attend d’être entendus. L’objectif de la candidature de l’UPNA aux élections de la chambre c’est d’être force de proposition et dénoncer lorsque les pouvoirs publics n’en tiennent pas compte. Un chambre consulaire doit défendre les intérêts des producteurs.
Entretien : Franck Cellier
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