Assemblée générale de la CGPER

La CGPER déplore que les gros bénéfices de certaines coops échappent aux agriculteurs

1/3 PAROLES D’AGRICULTEURS

L’agriculteur réunionnais ne va pas bien. Certains sont en faillite quand les coffres des structures coopératives sont « bien pleins » de dizaines de millions d’euros. Jean-Michel Moutama s’inquiète d’un système qui atteint ses limites alors que les aides nationales et européennes risquent de fondre.

Cliquez sur la vidéo pour visualiser l’intégralité de l’interview.

Représentent-ils tous les agriculteurs réunionnais ? En tout cas, il n’y a pas meilleur moment que celui de l’élection des membres de la chambre d’agriculture (du 15 au 31 janvier), pour que les agriculteurs puissent faire entendre leurs voix. Nous sommes donc allés à la rencontre de chacune des trois listes candidates (FDSEA, CGPER et UPNA) pour connaître leur vision de l’agriculture et leurs combats pour vivre dignement de leur métier.

Planteurs et éleveurs nourrissent une population qui les connaît mal. On les entend quand ils manifestent, souvent sur des sujets techniques difficiles à comprendre. On s’interroge souvent sur la qualité de leurs produits et sur leurs prix. On exige des fruits et légumes sains. On rêve d’un monde bio… et parfois on leur reproche l’usage de produits chimiques. Mais qui s’intéresse à leurs fins de mois difficiles, à leur détresse face à un modèle économique déshumanisé ou à leur ancestrale peur face aux aléas climatiques ?

En trois interviews les candidats à l’élection des membres de la chambre, donnent leur vision d’agriculteurs sur ces questions qui intéressent tout le monde mais dont ils sont les premiers acteurs : l’aménagement du territoire, la monoculture de la canne, l’autonomie alimentaire, la pollution des nappes phréatiques…

Premier à prendre la parole : Jean-Michel Moutama qui conduit la liste de la CGPER (Confédération générale des planteurs et éleveurs de La Réunion). Demain seront publiés les interviews de Magaly Onésio, Dominique Clain et Florent Picard pour l’UPNA (Unis pour nos agriculteurs) et d’Olivier Fontaine pour la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles).

Jean-Michel Moutama : « L’agriculture réunionnaise va mal »

Comment vont les agriculteurs ?

Ils vont très très mal. La filière canne a touché le fond cette année avec la pire campagne qu’on ait connue. Il y a une grosse remise en question à faire. 

Année catastrophique pour la canne, pas terrible pour le letchi, est-ce une conséquence du réchauffement climatique ? 

Le réchauffement climatique y est pour quelque chose, même pour la canne à cause d’un faible ensoleillement en janvier qui réduit la photosynthèse. Mais ce n’est pas la principale raison. On nous enlève des molécules d’herbicides et on n’a plus assez de main d’œuvre, le coût des intrants et des engrais augmentent.

Comment l’agriculture réunionnaise doit-elle se transformer pour faire face au dérèglement climatique ?

Il va falloir irriguer les hauts qui subissent eux aussi la sécheresse, faire des stockages d’eau comme au Tampon. D’autant plus que ça va être de plus en plus difficile de faire du maraîchage sur le littoral. La chambre d’agriculture devra sensibiliser les politiques qui maîtrisent les fonds européens.

Quel est selon vous l’avenir de la canne, pilier de l’agriculture réunionnaise ?

Il y aura toujours de la canne mais peut-être plus sur le même modèle. La production de sucre atteint ses limites. Il faut donner de la valeur ajoutée aux autres produits de la canne qui, aujourd’hui, ne profitent pas aux exploitants alors qu’ils sont les fondations du système.

Quelles photos pour la CGPER ?

Jean-Michel Moutama a choisi les 5 photos suivantes pour illustrer son propos

Si on nous enlève les produits phytos, il faut nous proposer une alternative.

La Réunion pourra-t-elle un jour atteindre son objectif d’autonomie alimentaire, et comment ?

Il est utopique de dire qu’on pourrait remplacer la canne pour aller vers l’autonomie alimentaire. Si on arrachait des hectares de canne pour faire de la tomate, on serait vite en surproduction alors qu’il n’y a pas de structures pour mettre ces tomates-là en conserve. Il y a aussi le problème des normes, on nous impose d’aller prendre des semences  des zones tempérées pour les planter en zones tropicales alors qu’il faudrait s’approvisionner en Afrique du Sud ou en Australie comme les Mauriciens qui sont autonomes en pommes-de-terre.

Concrètement quelles normes doivent évoluer ?

On a besoin de produits phytosanitaires adaptés aux zones tropicales et l’Europe nous interdit ces produits. Mais, chez nous, il fait chaud toute l’année. On n’a pas les gelées d’hiver qui éliminent les parasites, les champignons, les virus. Si on nous enlève les produits phytos, il faut nous proposer une alternative. Quelle activité économique peut survivre si on l’empêche de travailler.

Des forages ont dû être abandonnés à cause des pollutions aux pesticides et herbicides, le Cirad a relevé dans le Sud que la pollution des eaux était chronique… Comment expliquer alors que monde agricole continue à plaider pour l’utilisation de produits chimiques ?

Depuis des lustres, on importe des produits chimiques pour la fertilisation alors qu’on devrait utiliser nos effluents d’élevage. On marche sur la tête quand on importe de la matière organique à La Réunion. 

Tereos fait la pluie et le beau temps.

Les agriculteurs sont-ils atteints de maladies dues aux produits chimiques ?

Oui je connais des gens relativement jeunes qui ont la maladie de Parkinson et qui utilisaient par le passé des produits phytos ou des pesticides sans protection. J’ai vu mon papa utiliser les pulvérisateur sur le dos, sans masque et sans protection. Évidemment il y a des conséquences. Mais aujourd’hui les choses ont évolué, on connaît la dangerosité des produits, on a des certificats et on se protège.

Avec un passé marqué par l’esclavage, puis le colonat, comment l’agriculteur réunionnais peut-il affirmer son épanouissement économique et son indépendance vis à vis des grosses structures ?

Quand on pense aux gros groupe, on pense au groupe Tereos qui est le seul acheteurs de nos cannes. Il faut diversifier nos clients. Dans le maraîchage quand un acheteur n’est pas d’accord sur un prix on va en voir un autre. Mais pour la canne, ce n’est pas possible. Tereos fait la pluie et le beau temps.

Lors du contentieux à Evollys, l’Urcoopa et ses méthodes ont été fortement critiquées. Pensez vous que le système coopératif, qui s’est développé à La Réunion, soit dévoyé au profit des plus gros contre les petits ?

C’est vrai, on le constate. Au moment de la création des coopératives, il y avait un vrai esprit coopératif du temps des Messieurs Loulou Rivière ou Harry Mondon… Je ne vais pas citer de noms mais aujourd’hui, il y en a qui ont des coffres forts bien pleins. Ils ont 30 à 40 millions d’euros en stock. Quand on voit la situation financière de leurs adhérents, ou l’état de certains élevages, je ne pense pas que les bénéfices dégagés arrivent aux producteurs. Certains, avec leurs salaires et bénéfices, doivent se poser des questions quand ils se regardent dans la glace le matin.

Le système coopératif arrive à ses limites et risque d’exploser.

Les adhérents n’arrivent pas à faire valoir leurs intérêts, le système n’est pas démocratique ?

Si tu ouvres ta bouche, on t’enlève tes animaux 15 jours plus tard donc tu as des frais supplémentaires, tu es payé moins cher, tu n’as plus droit à une avance de trésorerie… Le système coopératif arrive à ses limites et risque d’exploser.

Comment protéger les terres agricoles face à l’urbanisation face à l’appétit des lotisseurs et des investisseurs du tourisme ?

Il faut créer un pôle « aménagement du territoire » dans la chambre d’agriculture pour accompagner les collectivités dans leurs projets. Car ce sont les agriculteurs qui connaissent le mieux les bonnes terres à protéger.

Qu’attendez-vous des pouvoirs publics pour protéger la production locale ?

Le monde agricole n’est pas suffisamment représenté dans les commissions comme la CDPENAF (commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers). Il faudrait y inclure les syndicats agricoles au même titre que les associations de protection de l’environnement.

Avec les restrictions budgétaires actuelles, si on décide de calculer l’aide sur la production réelle, ça risque de nous causer beaucoup de problèmes.

L’élevage, notamment industriel, est l’une des causes du réchauffement climatique, comment rendre ce secteur plus vertueux ?

L’élevage à La Réunion a encore des perspectives de développement. On produit 19 000 tonnes de poulets et on en importe 22 000 tonnes. Les petites exploitations cannières, de 4 à 5 ha, ont des difficultés et pourraient développer une polyculture incluant des élevages de poulets fermiers en plein air. 

Mais pour le porc, on ne pourra plus demander à un jeune d’investir 1,3 million d’euros pour faire une bâtiment de 35 truies et la suite… Autant lui donner un bout de corde… C’est le condamner. Il faut aller vers des bâtiments moins chers.

Comment l’agriculture réunionnaise pourra être un jour capable de nourrir la population avec des produits sains, bios, et à un prix abordable ?

Les aides Posei de l’Europe ne s’adressent qu’aux structures organisées. Certains pensent d’abord aux aides, or elles peuvent disparaître à tout moment. Attention ! L’aide de l’Etat de la canne est calculée sur une production d’1,9 million de tonnes de cannes. Mais on n’en produit plus qu’1,3 million. Les reliquats sont redistribués aux planteurs. Avec les restrictions budgétaires actuelles, si on décide de calculer l’aide sur la production réelle, ça risque de nous causer beaucoup de problèmes.

Pourquoi voter CGPER plutôt que pour les autres listes ?

Nous, on mettra tous les sujets sur la table. Avec nous, la chambre portera la voix de l’agriculture réunionnaise, pas seulement celle d’une minorité.

Entretien : Franck Cellier

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A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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