Son rendez-vous ce lundi 10 février avec la préfète des TAAF était prévu de longue date. Pascal Benoliel, représentant syndical SNUIPN / FSU-Intérieur, nous explique tout dans une interview. Depuis trois ans, il a constaté le flou juridique dans lequel évoluent salariés et administration en raison du statut spécifique des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et d’un apparent laisser-faire.
La voix du syndicaliste au bout du fil est exaspérée. “Je suis délégué syndical depuis 8 ans et je n’ai jamais vu ça !”, s’exclame-t-il. “La préfète des TAAF a refusé la visio qui devait permettre à M. Benazet, Secrétaire Général et n°1 du syndicat de participer ! A l’issue de l’audience, elle a refusé que j’aille à la rencontre des collègues pour tracter, diffuser de l’information syndicale et collecter les adhésions. Et cela au prétexte qu’elle n’a pas délivré d’autorisation préalable. Elle m’a même demandé si je voulais qu’elle me raccompagne. C’est une entrave syndicale et c’est contraire à la loi.”
Pascal Benoliel est secrétaire national du SNUIPN / FSU-Intérieur, syndicat de la FSU, n°2 de la fonction publique, compétent pour le Ministère de l’Intérieur. Depuis trois ans, il est le seul syndicat à s’intéresser aux TAAF, affirme-t-il, notamment en raison du fait qu’il n’existe pas d’instance syndicale représentative de proximité. Début février 2025, une motion a été votée par son syndicat au congrès national à Rennes, afin de donner mandat pour intervenir au profit de l’ensemble des agents des TAAF. Pascal Benoliel interpelle régulièrement les autorités compétentes sur ce service très atypique, à la fois Préfecture et collectivité territoriale.
Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la situation des TAAF ?
Je me suis rendu aux TAAF parce que ça faisait partie des services à voir à l’approche des élections, on s’intéresse à tous les services du ministère de l’Intérieur. Ce n’est qu’au fil du temps que j’ai découvert l’aspect collectivité territoriale et la complexité que cela engendre.
Depuis trois ans et demi, je suis le seul syndicat à aller régulièrement au siège. Dans l’un de mes premiers déplacements, une collègue m’a dit qu’elle était syndiquée mais ne connaissait plus le nom de son organisation et n’avait pas vu de délégué depuis… 14 ans. Les TAAF n’intéressent pas les autres syndicats parce que les agents sont très peu nombreux, c’est très peu connu et juridiquement très compliqué.
Qu’est-ce qui vous a marqué ?
Le constat est qu’il existe des problématiques RH qui ne sont pas celles d’un service « standard ». Les TAAF c’est environ 200 agents (selon les chiffres de la Cour des Comptes datant de 2020), pas moins de 12 statuts différents avec pour certains une réglementation datant de 1950 et 44 métiers répartis sur le siège à St Pierre et 5 districts isolés couvrant une surface géographique énorme (dont 2 réserves naturelles de 700 000 kms²). Certains districts sont soumis à l’hiver austral de -30°C avec des missions de contrôle de la pêche sur les navires, la lutte contre la prolifération des chats sauvages la nuit au fusil à lunette, il y a des électriciens, des scientifiques, des militaires en position sur les îles pour empêcher Madagascar de vouloir se les approprier.
L’impression générale que j’ai est que l’administration utilise ses spécificités, réelles, et son isolement comme bouclier pour continuer à faire comme elle a toujours fait , sans se poser de question. Afin de clore tout débat, l’argument massue cité est que dans les districts, c’est le code du travail de 1952 qui s’applique et que seule une loi pourrait modifier. Cela n’est pas mon avis et j’ai suggéré plusieurs propositions qui sont certainement perfectibles mais balayées d’un simple revers de la main.
Le second point, est le manque de dialogue social généralisé. Les TAAF ne sont représentées qu’au CSA, comité social d’administration, du Ministère de l’Intérieur, c’est-à-dire à l’échelon national. Il s’agit de l’instance de concertation issue des élections professionnelles qui regroupe tous les services (Police Nationale, Gendarmerie Nationale, Préfectures mais aussi l’OFFI, LADOM) soit 192 000 électeurs. Mais on n’y parle jamais des TAAF.
Les TAAF ont créé une instance de dialogue informelle qui n’a aucune valeur juridique. C’est un cache-misère. Ma crainte, c’est que l’administration s’appuie dessus. Ils ont consulté les agents pour le plan de formation. C’est très bien d’informer, mais ce sujet est une compétence relevant du dialogue social formel. Mme la Préfète estime qu’elle anime un dialogue social interne de qualité et qu’il n’y a pas de sujet majeur (comprendre nécessitant la présence d’un syndicat), mais l’ambiance est pesante dans les bureaux.
Pourtant, la loi prévoit d’avoir des instances de proximité. Une revendication de la FSU porte sur la création d’un CSA de proximité pour les TAAF et que les TAAF soient également rattachées au CSA Spécial du Réseau de Préfectures. Ce sont des mesures qui ne coûtent rien, qui ne nécessitent pas de passer par une loi, et qui permettraient d’avoir un dialogue social formalisé. Au cours de notre entretien, la préfète m’a affirmé que que les effectifs en jeu sont insuffisants car elle estime que notre proposition ne porte que sur les agents statut « Etat » et que le Conseil d’Etat avait tranché cette question.
Jusqu’à présent, aucun collègue statut « collectivité territoriale » n’a pu voter ni ne pourra se présenter et voter en décembre 2026 si rien ne change. Concernant le Conseil d’Etat, mon impression est qu’il s’est lui aussi mélangé les pinceaux, comme quoi, ce n’est vraiment pas simple.
Pouvez-vous nous expliquer quels sont les différents statuts auxquels appartiennent les TAAF ?
Les TAAF sont à la fois une Préfecture, c’est-à-dire un service déconcentré du Ministère de l’Intérieur, qui dispose de contractuels, de titulaires, d’apprentis. Ce sont des agents de « l’Etat » clairement identifiés, ils sont un peu plus de trente en tout dont les 5 chefs de districts. A cela s’ajoute les militaires, environ 55.
Et puis, à coté de ça, il y a toute la partie « collectivité territoriale », pour laquelle j’ai mis plus de 2 ans à commencer à comprendre qu’il n’y avait pas 1 bloc de 100 personnes mais 3 ! A savoir des contractuels affectés au siège, ceux qui sont affectés dans les districts et les contrôleurs de pêches. Ces derniers sont régis par des textes de 1956.
Mais cela ne s’arrête pas là, il y a des Volontaires Services Civiques, environ 25/an11.
Et je viens de découvrir que des compagnons étaient aussi présents !
Lorsqu’on est employé par la collectivité territoriale des TAAF, ce n’est pas possible d’avoir de CDI, toujours le fameux code de 1952. Tout ça explique en partie un point essentiel du fonctionnement des TAAF : un turn over important.
Quelles incidences cela a concrètement sur les agents ou sur le fonctionnement des TAAF ?
Cela génère une confusion qui n’a pas d’incidence tant que tout va bien. Le Règlement Intérieur qui date de 2021 ne concerne que le siège, idem pour le Document Unique d’Evaluation des Risques (dont on me refuse communication car il serait en phase de mise à jour). Le Plan de Lutte contre le Violences Sexuelles et Sexiste de 2023 faisant suite à un cas de harcèlement a vocation à se décliner dans l’ensemble des TAAF. Mais aucun de ces documents n’est jamais passé devant un CSA et n’a donc de valeur juridique.
En cas d’accident dans les districts (et l’incendie récent à Amsterdam qui a nécessité l’évacuation de 30 personnes, montre que cela peut arriver), selon la FSU, la responsabilité pénale de l’administration pourrait être engagée car elle n’aurait pas mis en place ces garde-fous juridiques.
Je précise que c’est moi qui ai contacté l’Inspecteur Santé et Sécurité au Travail (ISST) du Ministère et qui lui ai ainsi appris que son escarcelle comprenait St Pierre et Miquelon et les TAAF, elle n’était même pas au courant !
Si je prends un point précis, toute collectivité territoriale est soumise au contrôle de légalité de ses actes administratifs (recrutement, marché public, budget..), devant le préfet, c’est l’article 72 de la Constitution. Dans un rapport de la Cour des Comptes de 2022, cette dernière indique que ce n’est pas le cas des TAAF.
Ainsi, au final aux TAAF, ils ont la possibilité de faire ce qu’ils souhaitent sans contrôle : d’un organe délibératif (contrairement aux collectivités territoriales classiques), du préfet, d’un CSA, ISST…
Et toute façon, dès que je creuse un sujet, je découvre que c’est dérogatoire ! Et quand je pose des questions à l’administration, j’ai un mur en face de moi, je n’ai pas de réponses.
Au niveau des agents, il y a un manque de considération flagrant. On prévient les contractuels d’un renouvellement au dernier moment en leur donnant l’avenant de prolongation le vendredi pour le lundi donc sans possibilité de négocier une revalorisation. Cette pratique est illégale mais m’a été rapportée par plusieurs anciens.
Un autre s’est rendu compte sur le bateau que son contrat était de catégorie B, alors que pour la même mission sur un autre district, son voisin, collègue de promotion était catégorie A. L’administration n’a pas voulu modifier.
Il y a aussi une ambiance tendue que je n’ai pas rencontré ailleurs. Un collègue n’ayant pas voulu me rencontrer dans l’enceinte, nous avons convenu d’un RDV à l’extérieur et il a été très perturbé lorsque deux autres nous ont aperçus.
J’ai aussi beaucoup d’interrogations sur l’emploi des volontaires en service civique (VSC).
C’est-à-dire ?
Pour les missions scientifiques, les TAAF recrutent des bac +5 avec une paie en dessous du smic, je ne trouve pas ça normal. Un bac +5 c’est un catégorie A, on doit être rémunéré à la juste considération de notre travail.
Surtout que les missions d’un VSC TAAF, dans des conditions extrêmes, loin de sa famille, jusqu’à 13 mois, ne sont pas les mêmes que celles données au VSC de la sous-préfecture de St Pierre distante de 300m et qui rentre chez lui tous les soirs et WE.
Pour les volontaires service civique, la FSU souhaiterait voir augmentée leur indemnité pour qu’elle soit un peu décente, et au mieux stopper ce recours au volontariat.
Alors que « Le volontaire doit intervenir en complément de l’action des salariés, des agents de l’organisme au sein duquel la mission est effectuée, sans s’y substituer » , dans les faits, le VSC dans un district peut être seul civil avec des militaires qui n’ont pas de lien fonctionnel, avec des horaires au-delà de la réglementation, et en autonomie totale pendant une période prolongée.
L’agence du service civique m’a dit que tout était dérogatoire : l’âge des VSC, l’absence de tuteur… Des boulangers, électriciens sont recrutés sous ce statut. Considérant le fait que dès que la mission se termine, un autre le remplace, pour moi le statut est dévoyé.
Je souhaiterais qu’on en fasse des contractuels normaux de la fonction publique d’Etat, ce qui leur permettrait de bénéficier de tous les avantages du statut normal de CDD. Quand les jeunes sortent de leurs études à bac +5 sur des domaines de recherche pointus, ils ne trouvent pas forcément de travail. Ce n’est pas parce que c’est leur premier job qu’il faut les payer une misère.
Avez-vous d’autres revendications au niveau du syndicat ?
Il y a la situation particulière des contrôleurs de pêche (Copec). Ils sont embauchés à la marée, ils passent trois mois en mer. Ils sont plutôt bien payés, mais au-delà de la onzième mission, leur grille salariale est bloquée. La préfète a dit que ça allait évoluer.
Leur mission consiste notamment à contrôler l’armateur en mer, ils ont la possibilité de dresser des amendes si la législation n’est pas respectée. Je m’interroge sur leur sécurité à bord et sur leur indépendance. Un article récent rappelle que dans le monde ils sont 2 500 mais qu’il y a eu 23 décès suspects en 30 ans et que la corruption est fréquente.
Après le rendez-vous décevant avec la préfète, c’est quoi la prochaine étape ?
La FSU 974 a tenu une conférence de presse jeudi 13 février, la situation aux TAAF a été abordée. Nous allons faire un tract sur l’attitude de la préfète et écrire au ministre. Ensuite, l’objectif, c’est de saisir les parlementaires de La Réunion et ceux qui viennent de publier un rapport sur l’avenir institutionnel de l’Outre-Mer mais sans une seule proposition pour les TAAF. Puis, nous contacterons le Conseil consultatif des TAAF, l’inspection du travail… pour leur parler de la situation RH et alerter sur le non-respect systématique de tout un pan de la réglementation.
Tout est compliqué avec les TAAF. Mon opinion, confortée par l’épisode de lundi, est que tant qu’il n’y a pas de problème, de contentieux, que les agents ne manifesteront leur mécontentement qu’après leur départ, ils ne font rien.
Pour la préfète, qui confond légitimité et représentativité, je ne pourrais intervenir que pour la trentaine d’agents « Etat » et personne ne pourrait agir en faveur des agents « collectivité territoriale », cette façon de penser permet d’éviter les ingérences! Mais, on verra bien comment ça va évoluer.
Pour conclure, au Congrès national de la FSU, un rapprochement avec la CGT s’est ouvert en vue des élections professionnelles de décembre 2026, ce qui marquera un changement profond dans le paysage syndical du Ministère de l’Intérieur.
Entretien : Jéromine Santo-Gammaire
- Les chiffres sont issus du rapport de la Cour des Comptes. ↩︎
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