Cinq millions d’euros de la Région pour la Sapmer : une décision controversée

Le 7 février 2025, la Région Réunion a décidé d’investir cinq millions deuros dans une entreprise de pêche, la Sapmer. Une décision contestée par certains opposants, qui y voient une incohérence économique et écologique au détriment d’un soutien réel envers les petits pêcheurs réunionnais. 

C’est à l’issue d’une commission permanente de la Région Réunion que la décision a été prise pour celle-ci de rentrer dans le capital de la Sapmer, à hauteur de 5 millions d’euros, soit 10,6 % du capital total de l’entreprise. Cet investissement se veut être en concomitance avec la participation des opérateurs privés réunionnais à hauteur de 15 millions d’euros. La collectivité a décidé de soutenir ce grand nom de la pêche à l’échelle de l’océan Indien, au nom d’une volonté plus large de soutenir les entreprises locales. Depuis son annonce, ce choix politique fait l’objet de diverses critiques.

«C’est un choix entre copains»

Guylain Moutama est le président de l’association des amodiataires du port de Saint-Gilles. Selon lui, ce choix politique traduit l’influence des lobbies de l’industrie de la pêche, et n’est que le fruit d’un « copinage politique ». «C’est vrai que la Région a décidé de financer la Sapmer, plutôt que d’autres petits acteurs économiques de la Réunion. C’est un choix politique, après, c’est un choix entre copains aussi. Il y a des années de ça, on entendait ces mêmes personnes critiquer la Sapmer, critiquer les lobbies, et dire “ on va vous aider les petits pêcheurs” aujourd’hui voilà. La réalité, c’est qu’on n’aide pas les filières qui en ont véritablement besoin.»

Pourtant, la décision régionale repose sur un argumentaire de soutien au tissu économique et à l’ancrage local des entreprises sur le territoire selon plusieurs principes admis par la commission permanente, quant à la Sapmer. Selon le rapport de commission, celle-ci serait une entreprise «fleuron» qui détiendrait une «capacité à créer de la valeur». L’argument principal de la Région repose aussi sur la notion de patriotisme économique. Réinvestir dans le capital de la Sapmer, est un moyen selon Huguette Bello de faire face aux tentatives de « prise de contrôle de la part de groupements et fonds étrangers (américains, norvégiens, japonais…) de ces entreprises considérées comme « emblématiques ». La présidente de Région ajoute également que 328 emplois étaient en jeu dans ce qui apparait dans le communiqué de la commission permanente, comme un sauvetage économique de l’entreprise.

Alors, dans un contexte de fragilité croissante des écosystèmes marins et allant de pair, d’urgence écologique à préserver la ressource halieutique, cet investissement est-il pertinent en vue des enjeux d’une pêche durable à la Réunion? De part leur expérience en mer, les petits pêcheurs réunionnais ont leur avis sur la question.

Soutenir une entreprise de thonier-senneur: une incohérence écologique ?

Steven Atyasse et Benoît Miranville sont tous deux pêcheurs professionnels, l’un depuis dix-sept ans, et l’autre depuis sept ans. A bord de leur bateau l’Edjaris, ils pêchent essentiellement à la canne et à la ligne, ce qui permet «au poisson de garder sa chance». A l’inverse, et en s’appuyant sur leurs années d’expérience en mer, ils observent l’impact des thoniers-senneurs, ces grands navires spécialisés dans la capture du thon, dans les eaux réunionnaises. Selon le rapport de la commission permanente, la Sapmer détient aujourd’hui précisément «3 thoniers senneurs surgélateurs (surgélation à bord à -40°C) pour la pêche au thon tropical (Albacore et Listao) dans l’océan Indien.»

Steven Atyasse relate ce qu’il connait de leurs pratiques de pêche : « Le problème, avec ces navires, c’est qu’ils posent des DCP dérivants, alors que nous, on se rend sur des petits DCP, fixes. Ils arrivent sur zone avec de grands navires qui ressemblent à de grands cargos, et ils ramassent tout, y compris les tortues, les baleines, etc. Pour ne pas arriver à leur poids maximal, il relâche les proies mortes ensuite.» Benoit ajoute : «On le voit ici, quand ils arrêtent leur campagne au filet, il suffit d’une à deux semaines pour que le poisson revienne. Pendant  le Covid par exemple, pendant quatre ou cinq mois, les licences de pêche n’ont pas été renouvelées. On a eu du poisson pendant quasiment trois ans suite à ça.»

sapmer

Les petits pêcheurs de la Réunion, eux, font vivre l’économie locale

Pour Guylain Moutama, ce choix n’est pas pertinent car la Sapmer ne participe aucunement à l’économie locale, à l’inverse des petits pêcheurs réunionnais. 

“La Sapmer, avant, ils étaient tous basés à Maurice, là ils sont revenus, ils ont mis des bases au Port pour vendre leur poisson. A la fin d’année, ils auront peut-être recruté deux ou trois élèves qui sortent de l’école maritime réunionnaise. Jusqu’à maintenant, leurs bateaux étaient réparés à Maurice, donc peut être qu’ils vont réparer ici à la Réunion maintenant. Par contre, le pêcheur pro de la Réunion, le plaisancier, fait vivre l’économie de la Réunion. Il achète le bateau à un concessionnaire ici, il achète de l’essence ici, fait réparer son bateau ici, il vend son poisson à un poissonnier ici, il y a toute une économie. La Sapmer, ils exportent tout, c’est pas valorisé ici. On ne voit pas les Réunionnais acheter la légine, vu le prix qu’ils vendent», lâche -t-il. 

Le sujet des légines pose problème également pour Michel Vergoz, élu du groupe d’opposition “ Région Demain”. Il relate que l’arrêté préfectoral des TAAF, émis le 19 juillet 2024 régulant la pêche à la légine par des quotas s’appliquant à quatre opérateurs, dont la Sapmer, n’a aucunement été pris en compte dans la commission permanente. Ce point est l’une des raisons pour lesquelles le maire de Sainte-Rose et opposant régional a voté contre cette injection financière, et auquel s’ajoutent deux autres éléments. Dans le rapport soumis au élus, a été signalé clairement que « les cessions thoniers sont intervenues fin 2023 et début 2024 à des prix de vente nettement inférieurs à leur valeur nette comptable ». Enfin, Michel Vergoz déplore l’absence du pacte d’associés dans le rapport qui leur est demandé pourtant de ratifier. Ces éléments auraient selon lui dû «conduire les élus à ne rien précipiter.»

Les critiques sont nombreuses, tant sur le fond que sur la forme avec une remise en question du procédé décisionnaire qui s’est appliqué à cet investissement. Reste à voir quelles véritables retombées économiques et écologiques seront observées dans les prochains mois et années à la suite de ce lourd soutien financier.

Sarah Cortier

A propos de l'auteur

Sarah Cortier | Etudiante en journalisme

Issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique, Sarah souhaite désormais se former au métier de journaliste qui la fait rêver depuis toujours. Persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits et d’apporter de nouveaux regards sur le monde pour le faire évoluer, Sarah souhaite participer à ce travail journalistique engagé aux côtés de Parallèle Sud.

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