PARUTION DE « L’HISTOIRE DES ARCHIVES PRIVÉES DE FROBERVILLE »
Représentant une cinquantaine de cartons manuscrits, correspondances, notes et croquis donnés aux Archives nationales de l’Outre-mer, les archives privées de Froberville représentent l’un des plus importants corpus sur l’histoire de Madagascar et sur les esclaves africains aux Mascareignes désormais à la disposition du public. Ces archives privées ont notamment permis de reconstituer l’histoire de la collection Froberville, composée à l’origine de 63 bustes moulés auprès d’anciens captifs africains à l’île Maurice dans les années 1840.
Après l’exposition au Château de Blois de la collection de bustes d’anciens captifs est-africains dits «Mozambiques», les recherches de l’historienne Klara Boyer-Rossol se rapprochent des territoires concernés. À savoir l’île Maurice, où l’ethnologue Eugène Huet de Froberville (1815-1904) a réalisé l’essentiel de ses recherches en 1845-1847 mais aussi à Bourbon (La Réunion), où il a séjourné une vingtaine de jours pour interroger des dizaines d’esclaves africains.
Les bustes seront bientôt visibles au Musée de l’esclavage intercontinental de Port-Louis. Peut-être viendront-ils un jour à La Réunion sous la forme d’une exposition dématérialisée par exemple. En attendant, tous les passionnés d’histoire peuvent d’ores et déjà parcourir l’ouvrage « Histoire des archives privées Huet de Froberville. Itinéraires de manuscrits séculaires : Madagascar -Ile Maurice- France » sous la direction de Klara Boyer-Rossol et Isabelle Dion, avec un texte principal sur l’histoire de ces archives privées par Klara Boyer-Rossol ainsi qu’une contribution de Maud Allera, responsables des archives privées des Archives nationales d’Outre-mer (ANOM). Édité par Cicéron Éditions, il est disponible sur les plateformes en ligne avant d’arriver sur les rayons des librairies, à la Réunion dans les prochaines semaines (d’ici mi-mars). Il complète le livre « Visages d’ancêtres », catalogue de l’exposition.
Ce sont des archives exceptionnelles sur l’océan indien qu’un descendant d’Eugène Huet de Froberville a fait don en 2023 aux ANOM. Une cinquantaine de cartons contiennent un ensemble de sources très diverses : des manuscrits anciens sur Madagascar, des correspondances familiales, les carnets et notes manuscrites d’Eugène Huet de Froberville, des cartes, plans, lithographies, Vocabulaires etc.
Ambiguïté entre abolition de l’esclavage et essor de la sciences des races
« C’est un des dons d’archives privées les plus importants reçus par les ANOM, basées à Aix-en-Provence », précise Klara Boyer-Rossol. Ces six dernières années, elle a mené un travail de recherche inédit sur Eugène Huet de Froberville (1815-1904) pour mettre à jour ce trésor inestimable de l’histoire des traites et de l’esclavage. La période étudiée court sur deux siècles car ces archives privées commencent avec les manuscrits du grand-père Barthélémy de Froberville (1761-1835) sur Madagascar.
Le lecteur trouvera dans les archives de Barthélémy et Eugène une somme d’informations sur la traite des captifs africains, l’économie sucrière, les relations entre les élites coloniales et les populations esclavisées. Il s’attardera davantage sur les travaux ethnographiques d’Eugène qui se révèle comme un savant ambigu. « Il était né dans une famille d’origine aristocratique française établie depuis la fin du 18e siècle à l’ile de France. Les Huet de Froberville faisaient partie de l’élite coloniale, mais ne comptaient pas parmi les principaux propriétaires de plantations et d’esclaves à Maurice. Ils avaient cependant des petites propriétés et des esclaves domestiques. Le père d’Eugène, Prosper, avait bâti sa fortune dans la vente des denrées coloniales – et en particulier le sucre de Maurice. Donc l’économie esclavagiste sucrière a permis indirectement à Eugène de se consacrer aux arts et aux sciences, et financer son étude ethnologique mené aux Mascareignes », explique l’historienne Klara Boyer-Rossol. Mais on devine que le temps passé avec les esclaves ou les captifs africains, parfois pendant des journées entières, lui révèle l’humanité de ces sujets.
Cultures de résistance
Il se prononcera donc en faveur de l’abolition de l’esclavage pour en avoir recueilli les témoignages de sa brutalité, notamment à La Réunion. Il accusait notamment les femmes blanches de Bourbon d’exercer une cruauté extrême sur les esclaves. D’un autre côté, il continuait à défendre le modèle colonial racialiste. Il voyait l’engagement de « travailleurs libres » Africains comme un moyen de civiliser l’Afrique. Les Noirs sont pour lui étaient « inférieurs » aux Blancs mais « perfectibles » grâce à la colonisation.
L’ouvrage « Histoire des archives privées Huet de Froberville » permet ainsi d’analyser l’impact des travaux de l’ethnologue sur la construction des savoirs coloniaux. Eugène de Froberville laisse derrière lui un témoignage unique sur les langues parlées par les esclaves ou captifs africains à Bourbon et à Maurice, sur leurs origines, leurs rites, leurs danses et croyances.
Si sa collection de bustes anthropologiques sur l’Afrique a servi notamment à l’élaboration de classification raciale, ses archives peuvent être analysées aujourd’hui de façon à mettre en évidence la résistance dont faisaient preuve ces populations esclavisées qui, malgré leurs conditions, avaient su préserver leur âme et leur culture.
Franck Cellier
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