Mouche des fruits, Bactrocera dorsalis, ©A. Franck, le Cirad

« La mouche des fruits fait son cycle complet dans quasiment tous les fruits »

Suite à nos articles sur les deux techniques réunionnaises de traitement de la mouche des fruits, nous avons décidé d’interroger le Cirad pour en apprendre davantage sur la fameuse Bactrocera dorsalis (la mouche orientale des fruits) détectée en 2017 sur l’île. La mouche raffole des mangues. Leur exportation est donc conditionnée à leur traitement afin d’éviter que l’insecte ne s’installe en France continentale. Mais la réalité est qu’elle pond dans quasiment tous les fruits, dont l’ananas, le letchi ou encore le fruit de la passion. Laura Moquet, chercheur en lutte biologique, répond à nos questions.

Pouvez-vous nous dresser le portrait rapide de cette fameuse mouche des fruits qui fait tant de dégâts à La Réunion ?

À La Réunion, nous avons 9 espèces de mouches d’importance économique. Deux sont indigènes ou endémiques et les autres ont été introduites de façon accidentelle.

La dernière, la Bactrocera dorsalis, est la plus compétitive, c’est elle qui va faire le plus de dégâts sur les fruits. Elle est originaire d’Asie du Sud-Est. Elle fait d’énormes dégâts dans toute l’Afrique subsaharienne, aux Comores, à Madagascar, à Maurice, Mayotte, ici. C’est la femelle qui fait les dégâts en pondant les œufs sous la peau ; les larves vont manger l’intérieur du fruit. Les dégâts sont directs ou indirects lorsque la piqûre ouvre une porte d’entrée pour des champignons ou des bactéries.

À un certain stade, la larve va sauter du fruit et se développe dans le sol. C’est le stade de pupe, l’équivalent d’une chrysalide. Elle s’enfouit à quelques centimètres dans le sol pour se transformer à l’abri des prédateurs. Ce qui en sort, c’est une mouche adulte.

Bactrocera dorsalis est une mouche polyphage, c’est-à-dire qu’elle s’attaque à une grande variété de plantes hôtes. J’ai observé une centaine d’espèces de fruits et j’ai constaté qu’elle a réussi à se développer dans une cinquantaine d’entre eux.

Deux espèces de mouches endémiques

Elle réussit à piquer tous les fruits qui ont une chair à l’intérieur. Les fruits qu’elle préfère sont la mangue, la goyave, le goyavier et le badamier. Le badamier, que l’on retrouve souvent en bord de mer, a un petit peu de chair qui entoure l’amande. La chair est soit jaune soit rouge et on peut y trouver une quarantaine de larves dedans.

Quelles sont les autres espèces de mouches détectées à La Réunion ?

Bactrocera zonata (la mouche de la pêche) est arrivée à La Réunion dans les années 2000. Elle piquait déjà beaucoup de fruits et avait une gamme d’hôtes proche de Bactrocera dorsalis. Mais l’impacte de B. dorsalis est plus important, et depuis 2017, les augmentations des populations rapides et plus incontrôlables que les autres espèces de mouches pour les agriculteurs. B. zonata a quasiment disparue après l’arrivé de B. dorsalis à cause de la compétition.

Ceratitis catoirii (la mouche des fruits des Mascareignes) est une mouche endémique des Mascareignes. Dacus demmerezi (la mouche des Cucurbitaceae de l’Océan Indien) est endémique de l’océan Indien. Elle s’attaque aux cucurbitacées (courges, courgettes…). Ça reste des jolies mouches avec des yeux irisés. Ceratitis catoirii est plus petite avec des ailes bariolées, Dacus demmerezi est un peu plus grosse, elle a des lignes sur les ailes.

À La Réunion, on a des spécialistes des cucurbitacées comme Zeugodacus cucurbitae (la mouche du melon), détectée en 1972. Les maraîchers souffrent énormément de cette mouche-là. Et puis, il y a Neoceratitis cyanescens (la mouche de la tomate de l’Océan Indien), qui s’attaque aux tomates, aux poivrons, aux piments. Elle a été repérée dès 1951.

Tous ceux qui ont des arbres fruitiers vont plus souffrir de Bactrocera dorsalis. C’est une espèce qu’on dit généraliste alors que les deux autres sont plus spécialistes.

La mangue est le seul fruit qui a été interdit d’exportation en raison de la mouche des fruits, pour quelle raison ?

Bactrocera dorsalis a été détectée en Europe mais on n’y trouve pas de population résidente. Il existe une crainte de l’importer. La mangue fait partie des fruits les plus touchés. Elle fait son cycle complet dans quasiment tous les fruits ; la mangue est juste son fruit de prédilection. Elle pique aussi l’ananas, ce n’est pas un de ses fruits préférés mais on l’y retrouve.

On la trouve aussi dans le letchi, qui n’était pas (ou très peu) piqué avant par les autres espèces. Probablement, la quantité de sucre et d’eau ne permet pas le développement optimal. Mais ça reste un problème.

Ananas, letchi, fruit de la passion

La difficulté que rencontre bactrocera dorsalis concerne certains agrumes du genre citrus parce que le fruit possède une protection, pas physique mais plutôt chimique.

Au niveau réglementaire, la décision s’est appuyée sur une étude de 2021 où j’avais donné toutes les plantes hôtes observées à La Réunion. Certains fruits ne sont pas interdits mais soumis à des certificats phytosanitaires, comme le letchi.

Cliquez sur le rapport pour le lire.

Le risque demeure. D’ailleurs, il y a des incursions de mouches des fruits constatées en métropole si un fruit arrive piqué. La solution n’est pas forcément d’interdire, ça peut être d’informer : que faire lorsqu’un fruit piqué arrive sur place ? Comment on l’élimine ?

Que pensez-vous des traitements de la mangue contre la mouche des fruits ? Sont-ils efficaces ?

Les mangues peuvent être exportées après traitement post récolte, ça va permettre de tuer les insectes dans le fruit. Une chaleur minimale est nécessaire pendant un certain temps.

Concernant les traitements thermiques, j’ai testé un prototype. Il s’agissait de la technique par vapeur d’eau. Ça fonctionnait bien pour tout ce qui est œufs et larves.

La contrainte est que le colis doit être fermé directement après traitement. Une caisse ouverte peut se faire recontaminer par une mouche. Ça limite les particuliers dans leur possibilité de faire leur propre panier.

Quels conseils donnez vous pour que chacun soit attentif à son niveau à limiter la prolifération de la mouche des fruits ?

L’idée, c’est de détruire le stade larvaire, juste avant le stade de pupe. Une fois dans le sol, c’est un peu trop tard.

Pour les particuliers comme pour les agriculteurs, on conseille de ramasser les fruits au sol. Les mouches aiment aussi des fruits dont nous ne raffolons pas, nous. On se retrouve avec des arbres un peu sauvages, comme le zambrozade, dans les ravines ou au fond des jardins, qui font un lit de fruits par terre. Ça devient un lit de mouches des fruits.

Les poules mangent les larves !

Mais il ne faut pas les mettre comme ça dans le compost. Ce qui se développe, ce sont des poubelles noires dans lesquelles on fait un trou avec un genre de manchon en tissu. Ça évite que les mouches ressortent dès qu’on soulève le couvercle. On peut aussi mettre les fruits dans un sac qu’on va utiliser une seule fois sans le rouvrir. On le laisse au soleil, ça va permettre de faire monter la température pour tuer les larves. Après seulement, on peut les jeter dans le compost.

Sinon, une poule, ça marche très bien aussi ! Certains agriculteurs ont mis des poules sous les arbres.

Les produits phytosanitaires sont réservés aux agriculteurs. Ils peuvent faire certains traitements, comme un attractif alimentaire couplé avec un insecticide que l’on pose sur des feuilles d’arbres. Certains agriculteurs ont testé des filets mis sur des parcelles de mangues complètes. Il existe aussi des pièges pour les mâles, ou encore la possibilité d’utiliser la kaolinite, une espèce d’argile. La technique est peu utilisée : il faut recouvrir le fruit de cet argile, le fruit est alors moins piqué.

Est-ce qu’il est possible de s’attaquer à la mouche des fruits de manière plus large, à l’échelle du territoire ?

Pour l’instant, on n’a pas de solution active à l’échelle du territoire. La mouche est présente partout : dans les ravines, sur les parcelles, elle s’attaque aux espèces envahissantes, à des fruits indigènes ou endémiques… Elle est à la fois présente en ville et dans les milieux naturels.

La Réunion a un climat tropical avec un nombre de fruits impressionnants. Toute l’année, la mouche des fruits est capable de faire son cycle et de maintenir les populations abondantes, avec une explosion en été à la saison des mangues.

À l’avenir, pensez-vous que nous disposerons de nouveaux moyens de lutte ?

On est de nombreux pays à chercher des moyens de lutte. Nous, à l’échelle du Cirad, on est en permanence en train de rechercher des solutions. En 2003, il y a eu l’introduction d’un parasitoïde pour lutter contre Bactrocera zonata, mais il aime aussi Bactrocera dorsalis. Fopius arisanus, c’est le nom scientifique du parasitoïde, il s’agit d’une micro-guêpe qui pond dans les œufs de mouches des fruits, c’est l’ennemi naturel. Mais ces micro-guêpes ne sont pas assez nombreuses pour avoir un impact conséquent.

Bientôt des lâchers de mouches stériles ?

Actuellement, un collègue fait des recherches en écologie chimique. Il essaie de comprendre les odeurs qui sont émises par le fruit et les odeurs perçues par la mouche. À partir de là, il essaie de combiner ces odeurs pour faire un attractif de super fruit. Un autre collègue travaille sur les champignons entomopathogènes, qui s’attaquent aux insectes. C’est une autre forme de lutte biologique.

On aimerait développer la technique de l’insecte stérile et faire des lâchers de mâles stérilisés comme cela se fait pour les moustiques. Les mâles s’accouplent alors à des femelles sauvages qui vont pondre des œufs non viables. Ça permettrait d’agir à une échelle un peu plus grande, sur un bassin de production de mangues ou de letchis par exemple.

C’est en cours d’expérimentation. Pour le mettre en place de manière efficace, il faudra travailler avec la Région. Cela nécessite de faire des élevages de mouches mâles en masse. Ça existe déjà en Thaïlande notamment, nous, on doit le calibrer pour La Réunion.

Et puis autrement, on continue de travailler sur la biologie de la mouche afin de mieux la cerner et lutter contre.

Entretien réalisé par Jéromine Santo-Gammaire

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.

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