LIBRE EXPRESSION
AXA et la Maison de la Femme : un partenariat controversé ?
La garantie « violences conjugales » proposée par le groupe d’assurance AXA, développée en partenariat avec la Maison de la Femme en métropole, semble illustrer la marchandisation croissante d’un enjeu de santé publique. Ce dispositif, présenté comme innovant, inclut relogement d’urgence (jusqu’à 7 jours), accompagnement juridique et psychologique dans toutes les assurances Habitation.
Contrairement à certaines critiques relayées dans le débat public, la garantie AXA n’est pas réservée aux contrats premium ou à une clientèle aisée. Elle est incluse automatiquement, sans surcoût, dans tous les contrats d’assurance habitation AXA France, soit pour 2,5 millions de foyers assurés. Il n’est pas nécessaire d’être le souscripteur du contrat : tout membre du foyer assuré peut en bénéficier, y compris les enfants. L’activation du relogement complet requiert toutefois le dépôt d’une plainte dans les 24 heures suivant la demande.
Enfin, elle s’inscrit dans une tendance où l’assurance privée commence à couvrir des risques sociaux traditionnellement du ressort de la puissance publique. AXA revendique d’ailleurs un engagement de longue date sur ce sujet, via son programme Elle’s Angels et des partenariats associatifs.
De manière générale, les associations accompagnant les victimes de violences intrafamiliales, accueillent cette prestation comme un dispositif d’urgence là où l’État manque de moyens financiers et « que la maison brûle ». A la Réunion certaines d’entre elles avancent l’idée qu’aujourd’hui les fonds publics sont ventilés selon une priorisation des urgences comme le relogement vital des sinistrés de Garance par exemple.
D’ores et déjà, d’autres assureurs, Allianz et Generali ont annoncé préparer des offres similaires à des tarifs variables, fragmentant l’accès à la protection selon les ressources sur un marché devenu juteux : celui de la détresse humaine.
Conséquence directe : les victimes les plus précaires, déjà vulnérabilisées par l’isolement économique ou le handicap, se retrouvent exclues de ces dispositifs. À La Réunion, où 85 % des femmes violentées vivent des minima sociaux, cette logique aggrave les inégalités.
Vers un système de santé à deux vitesses ?
La privatisation de l’organisation de la santé n’est pas un scénario futuriste – c’est une réalité quotidienne pour les professionnels du social. Dans mon exercice professionnel, je constate que 70 % des personnes âgées ou handicapées victimes de violences renoncent aux soins par manque de couverture adaptée. Les structures publiques, sous-financées, refusent des dizaines de demandes hebdomadaires, tandis que les assureurs privés sélectionnent leurs clients selon des critères de rentabilité.
Pire, cette dynamique viole l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »
En conditionnant la protection à des contrats d’assurance, l’État délègue une mission régalienne à des entités motivées par le profit, La garantie AXA, bien que saluée par certains médias, consacre – à mon avis- ce revirement : le relogement d’urgence, jadis devoir de l’État, devient un service commercial et là est à mon sens la dérive.
L’urgence de résister
La prise en charge du relogement d’urgence par AXA est limitée à 7 jours, ce qui ne répond pas à la réalité des parcours des victimes, qui nécessitent souvent un accompagnement de plus longue durée pour sortir durablement de la violence et se reconstruire. Il est courant que la période courant du dépôt de plainte en gendarmerie ou en commissariat et le jugement au Tribunal soit de plus de 6 mois. Quels sont les recours de femmes qui ont peur aujourd’hui et qui, faute d’hébergement et de protection juridique, sont contraintes de retourner chez leur bourreau, comme :
Christelle, 29 ans, mère de famille, retrouvée avec le corps démembré dans un sac plastique ; Chloé, 34 ans, poignardée malgré un dépôt de plainte ; Kalma, 62 ans, son compagnon déjà jugé en 2021, Salma début 2025 retrouvée morte … 15 autres prénoms depuis 2015 sur l’île résonnent comme un rappel: chaque jour, des vies dépendent de notre capacité à agir, voire à réagir.
Ces exemples montrent la diversité des contextes des féminicides à La Réunion : certains cas impliquent des dépôts de plainte récents, d’autres des antécédents judiciaires connus, et d’autres encore surviennent sans signalement préalable, illustrant la difficulté de la prévention et la nécessité d’un accompagnement renforcé des victimes
Proposer un logement « pour une durée maximale de 7 jours » ressemble plus à un argument marketing déconnecté de la réalité que vivent ces femmes.
En tant que citoyenne, et professionnelle confrontée à la détresse des exclus, je choisis de dénoncer et d’agir :
- En exigeant des fonds publics pérennes pour les centres d’hébergement.
- En militant pour l’encadrement strict des offres privées de protection.
- En rappelant que la santé n’est pas une marchandise.
Et vous, que ferez-vous ? Accepterez-vous que demain, le droit à la vie dépende d’un contrat d’assurance ? Ou rejoindrez-vous le combat pour une société où la dignité ne se monnaye pas ?
Frédérique Welmant
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