Une manifestante tient une pancarte sur laquelle on peut lire "Tu n'es pas toute seule" en créole.

Accueillir la parole : à La Réunion, les associations luttent contre les violences intrafamiliales

En France, les violences conjugales ont augmenté de 10 % en 2023. Un chiffre tiré du rapport publié en novembre 2024 par le ministère de l’Intérieur, qui place l’île au deuxième rang national des territoires les plus touchés par ce fléau. Derrière les statistiques, des vies brisées, des enfants témoins ou victimes, et un tabou encore tenace dans certaines sphères de la société réunionnaise. Face à cette urgence, des associations locales comme Femmes solid’air et le collectif Nous Toutes 974 œuvrent pour accueillir, écouter, accompagner et prévenir. Plongée au cœur de ces actions de terrain qui tentent de briser le silence.

Femmes solid’air, une association pour les femmes, par les femmes

« Les violences envers les femmes c’est un problème de société. Toute la société devrait s’arrêter lorsqu’une femme est tuée. » Co-fondatrice de l’association Femmes solid’air, Odette ne mâche pas ses mots pour parler d’un sujet sensible et auquel elle a consacré presque toute sa vie. 

Arrivée en 1985 à La Réunion, elle se retrouve rapidement confrontée aux histoires de violences conjugales et décide avec une amie d’agir. C’est en 2004 que l’association voit officiellement le jour avec pour but affiché d’aider les femmes victimes de violences conjugales et uniquement les femmes (selon les statistiques de l’Insee, en 2019, près de 90% des mis en cause pour violences physiques intrafamiliales sont des hommes). Pendant des années, l’association fonctionne de manière presque clandestine, elles se retrouvent chez les unes et chez les autres, dans une société où les violences au sein du couple sont taboues. 

« Les femmes venaient, on ne posait jamais de questions sur leur identité. Ni nom, ni prénom, rien du tout. ». Tout ce qui comptait, c’était de les aider; répondre à toutes les questions qu’elles pouvaient avoir. Au départ, « c’était surtout les histoires de violence qu’elles nous racontaient ». 

Mathilda*, ancienne victime, a réussi à avancer grâce au soutien des bénévoles de Femmes solid’air. « Mon ex-compagnon m’a tranché les doigts alors que je me protégeais la tête de ses coups de sabre. Un jour, quelqu’un m’a adressé la parole, dans un bus. J’ai alors trouvé des femmes qui ne me jugeaient pas, qui me comprenaient. » Dix huit années ont passé depuis ces événements tragiques et si la douleur est toujours présente, le soutien moral de l’association l’aide a tenir debout. 

Les membres de l'association femmes solid'air ont donné de la voix tout au long de la marche.
Les membres de l’association Femmes solid’air ont donné de la voix tout au long de la marche.
Les femmes de l'association femmes solid'air portent une banderole sur laquelle elles demandent une év olution des dispositifs d'urgence.
Les femmes de l’association Femmes solid’air portent une banderole sur laquelle elles demandent une évolution des dispositifs d’urgence.
Manifestantes lors de la marche du 8 mars.
Manifestantes lors de la marche du 8 mars à Saint-Denis.

La prévention, pilier pour mieux reconnaitre les violences

Au fur et à mesure, l’action de l’association se développe. Les femmes se mobilisent lors de différentes actions, elles développent l’accompagnement juridique des victimes. « Partout où il y avait de la violence conjugale, on était là », explique Odette. Dans le même temps, la société réunionnaise évolue avec des prises de position de personnalités politiques locales comme Nassimah Dindar, des soutiens d’organismes publics comme la CAF (Caisse d’Allocations familiales). L’action s’est aussi élargie à la situation des enfants victimes de cette violence qui s’exerce soit indirectement ou directement sur leur personne.

Aujourd’hui, Femmes solid’air intervient dans les établissements scolaires, collèges et lycées pour faire de la prévention et parler des violences conjugales. Pierrette Mira, présidente de l’association, reconnait qu’il a fallu adapter les supports par rapport à l’évolution de la jeunesse notamment avec le développement des réseaux sociaux et des dangers auxquels sont confrontés les adolescents aujourd’hui. 

« Les adolescents connaissent la violence dont on leur parle, ils la voient sur leur téléphone portable.  Alors notre rôle, c’est de créer un dialogue, d’expliquer pourquoi certains comportements doivent évoluer. » Parler de la violence, c’est détruire un tabou, c’est permettre aux victimes d’être mieux écoutées. 

Mais si la parole des victimes se libère de plus en plus, en témoigne le nombre croissants de faits de violences de tous types qui sont révélés, celle-ci est trop peu souvent accueillie de la bonne manière soit par manque d’outils soit par manque de moyens.

Pour pallier à cette problématique, le collectif Nous Toutes 974 a mis en place plusieurs ateliers autour des violences intrafamiliales. « Nos ateliers sont destinés au grand public car on s’est rendu compte que souvent les formations autour des violences étaient plutôt à destination des professionnels », explique Céline Ngongang, militante bénévole au sein du collectif et animatrice sur ces ateliers.  L’objectif du collectif est d’utilité publique lorsque l’on sait que dans 60 à 70% des cas selon les violences, les victimes parlent en premier à un proche. 

« Souvent les proches sont sidérés, ne savent pas quoi faire et du coup ne font rien », constate Céline. Pourtant, la trajectoire de la victime dépend en grande partie de la manière dont son témoignage va être reçu alors que 25% des victimes ne parlent plus jamais de ce qu’elles ont subies après en avoir parlé une première fois à un proche. 

Venir à ces ateliers, c’est apprendre à reconnaitre les changements de comportements qui peuvent nous alerter chez les victimes de violence. « L’indice de la violence subie c’est surtout un faisceau d’indices, pleins de petites choses qui doivent nous amener à poser des questions ». Dans le cas où on reçoit ce type de parole, la militante bénévole conseille de ne pas rester seul. « On n’est pas superwoman, on n’est pas superman, on ne peut pas sauver une personne victime seule ».

La parole libérée ! A nous de l’accueillir 

Parler, dénoncer, se libérer d’un fardeau. Le travail des associations, des collectifs et le mouvement #Metoo ont permis de faire un pas de géant dans la libération de la parole des victimes. Mais la société patriarcale ne se laisse pas faire et à chaque fait révélé, on peut observer un déferlement de commentaires négatifs à l’encontre des témoignages. Une multitude d’experts se relaie pour expliquer ce qui ne va pas dans tel ou tel témoignage ; les femmes seraient toutes des menteuses alors même que les statistiques démontrent que seuls 2% des témoignages de violences sont faux. 

Pour exemple le plus récent, sous une vidéo du journal Le Parisien faisant part des accusations de violences conjugales à l’encontre de l’humoriste Jérôme Niel, un internaute se permet d’écrire « ça sent l’histoire juste pour gagner du fric et nuire à la carrière du gars ». Mais sommes nous surpris dans un pays où le Président de la République exprime son soutien à Gérard Depardieu alors accusé d’agressions sexuelles et de viol. 

Effectivement la justice des réseaux sociaux ne peut pas se substituer à celle des tribunaux mais celle-ci semble pour l’instant bien inefficace pour endiguer le fléau des violences intrafamiliales. Selon un rapport ministériel, sur l’année 2022, seuls 31% des auteurs de violences au sein du couple ont été condamnés. À La Réunion, les moyens sont aussi trop faibles avec un dispositif d’hébergement d’urgence saturé et qui selon Pierrette Mira « ne répond plus » et un numéro d’appel d’urgence qui ne répond qu’en français alors que certaines femmes ne parlent que créole. 

« Sur le terrain la parole se libère de plus en plus mais quand les femmes veulent aller porter plainte, elle n’est pas toujours prise en compte ». Former des agents de police prêts à accueillir les victimes, reconnaitre la violence et la regarder en face, entendre et écouter les victimes, et surtout les croire. Voilà plusieurs chantiers pour tordre le coup aux violences intrafamiliales. 

Olivier Ceccaldi

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