LM Distribution condamné à payer 475 000 € à l’agriculteur qu’il a exploité et ruiné

Le conseil des prud’hommes de Saint-Pierre a condamné LM Distribution à payer 475 000 € à Olivier Lebon, petit maraîcher, pour l’avoir engagé dans une relation de travail déguisée en le faisant passer pour le gérant d’une société dont il n’a jamais eu le contrôle.

Procès aux prud'hommes LM distribution contre Olivier Lebon, ici avec Me Vanessa Rodriguez et sa femme Vanessa Lebon
Me Vanessa Rodriguez soutient Vanessa et Olivier Lebon depuis plus de quatre ans.

Une goutte d’eau dans l’océan ? LM Distribution a été condamné à payer près de 500 000 € à un agriculteur qu’il traitait comme un salarié sans l’avoir jamais rémunéré comme tel. Ce pourrait être assimilé à un moindre mal au regard des 50 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel affiché par le leader du négoce de fruits et légumes à La Réunion. Malgré le caractère accablant d’un jugement qui tombe après cinq années de procédures, LM, sans doute conscient que ce cas pourrait faire jurisprudence, fait une nouvelle fois appel. 

Dans sa présentation officielle le groupe LM, reprenant les initiales de ses deux fondateurs Dany Leveneur et Patrick Métro, dit « perpétuer l’amour du terroir et valoriser le travail des cultivateurs ». Mais d’amour et de valorisation, on n’en trouve guère dans la triste histoire d’Olivier Lebon, un petit maraîcher tamponnais auquel le premier négociant de fruits et légumes de l’île a fait miroiter monts et merveilles en l’installant à la tête d’une exploitation de 15 hectares dont il ne contrôlait rien : La SCEA du Bras de la Plaine.

Parallèle Sud a déjà raconté le combat juridique harassant qu’ont dû mener le pauvre homme et sa famille, du tribunal des prud’hommes de Saint-Pierre à la Cour de Cassation à Paris en passant par le tribunal de commerce et la cour d’appel.

Un montage juridique mortifère

Avec deux mois de retard, le conseil des prud’hommes a rendu sa décision le 25 mars. Il a jugé que LM a utilisé l’agriculteur comme un « homme de paille » : « un faux mandataire dont le seul droit est de travailler dans l’exploitations sous sa subordination juridique permanente ». Il n’a pas retenu l’argument de la défense selon lequel l’employeur indélicat serait la SCEA et non LM.

Le groupe LM fait travailler plus de 200 agriculteurs.

LM a bien, depuis février 2018, embarqué Olivier Lebon dans un montage juridique mortifère pour le placer fictivement à la tête d’une exploitation employant une dizaine d’ouvriers agricoles. La qualité d’agriculteur du petit maraîcher a juste permis de signer les baux à ferme dont LM a payé les fonds (65 000 €).

Pendant des mois, avant d’inscrire la SCEA au centre de formalités des entreprises, le 24 janvier 2019, LM déposait régulièrement une enveloppe pour payer les ouvriers.

Le conseil a constaté qu’Olivier Lebon n’avait aucun pouvoir décisionnel : « il exécutait seulement les ordres qu’on lui donne ». En fait la seule fois où il a agi en tant que gérant c’est lorsque, sous les conseils de son avocate, Me Vanessa Rodriguez, il a déclaré la SCEA en cessation de paiement sous la pression des dix ouvriers qui réclamaient leur salaire.

6 ans et 11 mois de rappels de salaires

LM l’avait lâché sans lui donner la moindre visibilité sur la comptabilité de cette SCEA. Le 9 juin 2020 celle-ci était liquidée. Même le liquidateur judiciaire, Me Hirou, n’a pas obtenu les documents comptables…

Depuis, LM et ses filiales ne cessent de réclamer des centaines de milliers d’euros de créances (225 000 €) à la famille Lebon lors d’une infernale lutte du pot de fer contre le pot de terre dans le décor du tribunal de commerce malgré « l’existence d’une contestation sérieuse ».

Et cette « contestation sérieuse » relève justement de la reconnaissance d’Olivier Lebon comme salarié de LM par le tribunal des prud’hommes. Celui-ci s’est basé sur la rémunération en espèces de 2 000 € par mois que percevait l’agriculteur les mois qui ont précédé la création de la SCEA (de février à décembre 2018). Sans contrat, sans bulletin de salaire, ni déclaration à l’URSSAF. Il a décidé que LM lui devait donc 2 000 € par mois depuis le 1er janvier 2019, jusqu’à à la date du jugement, soit 6 ans et 11 mois, soit 166 000 € au titre des rappels sur salaires.

200 000 € de préjudice moral

À cela s’ajoutent les paiements de congés payés, une indemnité de rupture pour cause de travail dissimulé, une indemnité de licenciement (sans cause réelle et sérieuse)… Surtout, le conseil des prud’hommes accorde à Olivier Lebon 200 000 € au titre du préjudice moral et 53 000 € au titre du préjudice financier. Soit plus de la moitié de la somme à laquelle est condamnée LM (474 248,29 € exactement).

C’est là le caractère accablant du jugement quant au modèle mis en œuvre par LM. Le leader du négoce se voit reprocher ses méthodes, notamment le fait que la grosse coopérative associée, la Sica TR, a exclu Olivier Lebon et n’achète plus ses récoltes. Les juges ont pris en considération la « pression écrasante » exercée sur le petit maraîcher qui a dû « vendre la maison de sa grand-mère pour une bouchée de pain pour payer une partie de sa dette ». Ils évoquent « l’impact profond et dévastateur que cette situation a sur Olivier Lebon et sa famille (6 enfants à charge). »

Nombre d’agriculteurs, entraînés dans des modèles soi-disant coopératifs, se reconnaîtront dans le cas d’Olivier Lebon. Ce jugement prud’homal est là pour leur rappeler qu’ils ont des droits.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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