Laure de Butler réalisatrice série Enchaînés

Enchaînés : l’esclavage mis en images pour la télévision française

Tournée à La Réunion entre mars et juin, Enchaînés est une série en six épisodes de 52 minutes réalisée pour France Télévisions. Ce drame historique, imaginé par le scénariste Alain Moreau et réalisé par Laure de Butler, explore la société esclavagiste de l’île en 1806 à travers une fiction rigoureusement documentée.

Un mardi dans les hauts de Grand-Coude, c’est l’après-midi parfaite pour passer la débroussailleuse dans sa cour. En contrebas, une équipe de tournage peste contre le bruit, malgré les efforts de la régie, impossible d’obtenir une ambiance sonore correcte. Et pour cause, le son de débroussailleuse fait tache dans la scène où Olivier Gourmet dans le rôle d’un maître d’esclave en 1806 découvre sa plantation dévastée par un cyclone.

Ce tournage, c’est celui de la série Enchaînés réalisée par Laure de Butler, sur l’esclavage à La Réunion. Une des rares fictions historiques qui s’intéresse à cette période de l’histoire. Rencontre.

L’interview est disponible en vidéo

La série « Enchaînés » traite de l’esclavage à La Réunion et se déroule en 1806. Est-ce la première fois que vous réalisez une série historique ? Quels sont les enjeux ?

Laure de Butler :

Oui, tout à fait, c’est la première fois, et j’en suis ravie. Ça faisait longtemps que je voulais en faire une. La principale différence avec une série contemporaine, c’est le travail de recherche historique. Le scénario d’Alain Moreau est déjà très nourri de ces recherches : il a passé de nombreuses années à documenter cette période pour que le récit soit au plus proche de la véracité historique.

De mon côté, je me suis appuyée sur son scénario, puis j’ai poursuivi avec mes propres lectures — des ouvrages qu’il m’a conseillés, des recherches iconographiques, des consultations sur internet. Je me suis intéressée à l’univers visuel de l’époque : les couleurs, les visages… C’est un travail plus approfondi que sur une série contemporaine, où on s’appuie davantage sur le scénario .

Vous êtes réalisatrice, mais vous n’avez pas écrit le scénario. À quel moment êtes-vous arrivée sur le projet, et qu’est-ce qui vous a marquée à la lecture du scénario ?

J’ai entendu parler du projet pour la première fois il y a un an et demi. C’est parti d’une envie commune de travailler avec le producteur Alexandre Boyer, que j’avais rencontré auparavant. On s’était dit qu’on aimerait bien collaborer. On a échangé autour de plusieurs projets, et puis il m’a parlé d’Enchaînés.

J’ai tout de suite été emballée, parce que je n’avais jamais travaillé sur une série historique, et c’est un genre qui me tentait depuis longtemps. Ensuite, il y avait La Réunion… J’y avais déjà tourné il y a sept ans, en tant que première assistante réalisatrice. J’avais adoré cette expérience, et j’étais très heureuse d’avoir l’opportunité d’y revenir. Le fait que ce soit une série historique, mais qui ne se déroule pas dans un château, comme c’est souvent le cas, rendait le projet encore plus excitant.

Le fait de revenir à La Réunion, que vous connaissiez déjà, a-t-il influencé votre façon de réaliser ? Avez-vous voulu poser un regard particulier ?

Le regard est avant tout imposé par le scénario et l’histoire. Mais c’est vrai que j’avais gardé une image très forte de la nature réunionnaise, le choc de la nature. Ce souvenir visuel puissant m’a accompagnée dès le début. Je me suis dit : «Oui, il y a de quoi faire une série qui embarque dans un vrai voyage». Mais en dehors de cette acuité visuelle, c’est une autre époque, un autre enjeu que la série contemporaine que j’avais faite auparavant.

Est-ce que le but est de rester fidèle à l’Histoire avec un grand H, ou vous autorisez-vous des libertés dans la narration ?

C’est toujours un mélange des deux. Alain Moreau est très attaché à la véracité historique — à juste titre —. Il y a des rendez-vous importants, des éléments de contexte qu’il tenait à faire figurer. Après, les personnages sont totalement fictifs, et leurs trajectoires relèvent de la fiction. L’Histoire avec un grand H donne le cadre, et l’histoire avec un petit h — celle des personnages — s’y inscrit, s’y faufile.

Vous abordez dans la série des thèmes comme le marronnage, la filiation des enfants esclaves avec leurs maîtres, le maloya, les chasseurs de marrons… Est-ce que Enchaînés reste centré sur La Réunion ou cherche à élargir le propos à d’autres territoires concernés par l’esclavage ?

Non, je pense que la série est très ancrée à La Réunion. Elle s’inscrit clairement dans l’histoire locale, notamment en la plaçant en 1806, juste avant les premières révoltes comme celle de Saint-Leu. On montre les prémices d’un basculement, une tension sous-jacente. Il y a aussi cette vérité historique que les personnes réduites en esclavage venaient de différents horizons, qu’il n’y avait pas de « natifs » de l’île. Le scénario raconte aussi ça : une île faite de voyages, de déracinements, de croisements. Il n’y avait que des gens qui venaient d’ailleurs, personne n’appartient vraiment à cette île, tout le monde vient d’un voyage.

La question de la violence se pose forcément. Quelles limites vous êtes-vous fixées dans sa représentation ?

La limite c’est le CSA. Les limites sont d’abord posées par le cadre : c’est une fiction pour France Télévisions, donc pour le service public. Il y a évidemment des contraintes de diffusion. Ensuite, c’était aussi une question de sensibilité. La violence est omniprésente dans cette période. Il n’est pas nécessaire de tout montrer frontalement pour qu’elle soit ressentie.

J’ai donc fait le choix de la suggérer, de la faire entendre, plutôt que de la montrer explicitement. Elle est sous-entendue, elle affleure. Et en cela, elle est d’autant plus puissante. On est dans une époque extrêmement violente, avec des enjeux de vie et de mort permanents.

Est-ce que vous voyez cette série comme un moyen de transmission ?

Ah oui, j’espère bien. C’est complètement le but. La fiction est là pour transmettre des histoires, pour rappeler ce qui a été, pour que l’Histoire ne tombe pas dans l’oubli. Et pour que les atrocités ne se répètent pas.

Il y a très peu de séries françaises qui ont traité de cette période. comment expliquez-vous ce tabou ?

C’est très dommage. C’est un vrai manque dans la télé française. Le cinéma s’en est un peu emparé, mais très peu la télévision. C’est pour cela qu’on est très fiers de cette série. Parce que c’est une porte qui s’ouvre, une possibilité nouvelle, et qu’il faut la saisir avec sérieux.

Nafida Abdillah
Léa Morineau

A propos de l'auteur

Léa Morineau

Etudiante en journalisme. Cocktail de douceur angevine et d'intensité réunionnaise, Léa Morineau a rejoint l'équipe de Parallèle Sud pour l'éducation aux médias et à l'information, elle s'est rapidement prise au jeu du journalisme. A travers ses articles, elle souhaite apporter le regard de sa génération et défendre un journalisme qui rayonne au-delà des apparences.

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