« Sot la mer » : La mobilité vers l’Hexagone : un phénomène au fondement de la société réunionnaise

Nous publions aujourd’hui le 1er des 4 épisodes de notre dossier sur la mobilité vers l’Hexagone : Une nécessité pour s’insérer dans la vie professionnelle ? Suivront trois autres éclairages sur l’histoire de la mobilité, l’expérience de Réunionnais en Hexagone et le témoignage du retour.

« Pour moi, il faut partir, Il y a tellement de choses à faire au-delà de notre île »

Nicolas

Chaque année, plus de 11 000 personnes quittent La Réunion pour s’installer en métropole et 10 300 personnes font le chemin inverse et arrivent sur l’île. Parmi ces nouveaux arrivants, 3 000 sont nés à La Réunion et y reviennent. Bien que ces flux migratoires fassent partie des plus faibles des régions françaises – à l’exception du flux des étudiants qui est dans la moyenne nationale – le phénomène de mobilité reste déterminant pour la société réunionnaise.

Une jeunesse en quête d’avenir

Qu’elle soit choisie ou subie, la mobilité vers l’Hexagone est une nécessité pour de nombreux Réunionnais en quête d’un avenir meilleur. Le pic de la mobilité se situant entre 21 et 24 ans, ce sont souvent des jeunes qui « sot’ la mer » pour poursuivre des études, une carrière professionnelle ou simplement pour chercher une vie meilleure, espérant que ce départ leur permettra de se réaliser pleinement.

Car la mobilité vers l’Hexagone n’est pas seulement un enjeu académique ou professionnel. Pour certains, comme Nicolas – dont les paroles ont été retranscrites au début de cet article – c’est une quête d’accomplissement personnel. La mobilité est une mise à l’épreuve car elle sépare ces jeunes de leur foyer les condamnant à devoir tout recommencer de l’autre côté de la mer. Ceux qui auront le courage de passer le cap seront paradoxalement célébrés comme les plus braves habitants de l’île, tout en ayant quitté celle-ci.

La mer comme frontière de soi

Cependant, une fois arrivés, ces jeunes sont tous frappés d’une révélation. La France est un autre pays : il y a deux saisons en plus et la langue et la culture créole ont disparu des paysages, qui sont, eux, radicalement différents. Comment vivre en Hexagone quand on est réunionnais et, de surcroît, quand on est si jeune ? Tous vont devoir composer avec leur différence pour réussir à vivre dans ce nouveau territoire et aucun ne fera l’économie de la réflexion sur sa propre identité pour accomplir cette tâche nécessaire.

Tous, néanmoins, ne sont pas égaux face à la mobilité. Certains ont déjà pu aller en métropole, leur donnant des bases pour appréhender cette nouvelle vie ; d’autres n’ont jamais eu de quoi payer les billets mais ont bénéficié de dispositifs spécifiques mis en place par les pouvoirs publics. Car la mobilité vers l’Hexagone est organisée par l’État depuis la départementalisation de l’île en 1946 sur le principe de la « continuité territoriale » – qui assure l’accès au continent pour tous les citoyens français vivant en outre-mer et dont les aides accordées par la Région Réunion sont une incarnation concrète. C’est un fait social ancien entouré d’un imaginaire spécifique que les paroles de Nicolas illustrent parfaitement.

Exode forcé ou échappatoire, la mobilité vers l’Hexagone, plus que de modifier la vision que ces jeunes ont d’eux-mêmes, les pousse à porter un nouveau regard sur leur île natale, comme s’il fallait absolument partir pour se rendre compte que l’on est réunionnais et pour comprendre La Réunion. Ceux qui hier regardaient vers le continent tournent désormais leur regard vers l’île. Éclairés par leurs expériences, ils y perçoivent des choses qu’ils n’avaient jamais remarquées auparavant.

Mathieu Belluteau

A propos de l'auteur

Mathieu Belluteau

Jeune réunionnais de retour au pays après des études en journalisme à l’IEP d’Aix-en-Provence en partenariat avec l’EJCAM.

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