Bougival ou l’accord en trompe l’œil pour l’avenir de la Nouvelle Calédonie

Le 12 juillet 2025, l’État a signé à Bougival un accord avec une partie des responsables politiques calédoniens. Présenté comme une sortie de crise, ce texte redéfinit en profondeur le lien entre la France et la Nouvelle-Calédonie. Mais derrière les promesses d’apaisement, beaucoup y voient une manœuvre politique qui enterre le processus de décolonisation sans régler les injustices structurelles.

Une rupture déguisée avec l’accord de Nouméa

L’accord de Bougival s’inscrit dans un contexte explosif : boycott du troisième référendum d’indépendance en 2021 par les indépendantistes kanak, violences de 2024 dans les quartiers populaires, mépris d’État pour la mémoire coloniale. Plutôt que de reprendre le chemin d’un véritable dialogue décolonial, Paris propose un habillage institutionnel opaque, censé « sortir par le haut » d’une impasse qu’il a lui-même créée.

La notion d’« État associé », floue, n’a aucun précédent dans le droit français. Elle permet d’accorder à la Nouvelle-Calédonie une Constitution propre, une nationalité calédonienne, et un pouvoir institutionnel renforcé… mais sans jamais parler clairement d’indépendance. Ce flou est stratégique car il désamorce les aspirations indépendantistes tout en rassurant les milieux économiques et les partisans du statu quo.

Un accord signé sans consensus populaire

Ce texte n’engage pas l’ensemble des forces politiques calédoniennes. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) est divisé, et plusieurs figures indépendantistes dénoncent une trahison du processus engagé par l’accord de Nouméa en 1998. Du côté loyaliste, une partie des élus rejette une évolution statutaire qu’ils perçoivent comme une dérive vers l’indépendance masquée.

Surtout, aucune consultation populaire préalable n’a eu lieu. L’État impose un calendrier express avec une révision constitutionnelle à Paris, un référendum local en 2026 sur l’accord (avec un corps électoral restreint), et l’adoption d’une Loi fondamentale l’année suivante. Le risque est grand de voir un accord institutionnel validé sans véritable débat démocratique, avec un corps électoral excluant de nombreux citoyens.

Le vernis de l’autonomie masque les inégalités

L’accord parle d’avenir, d’institutions renforcées, d’identité calédonienne… Mais il ne dit rien — ou presque — de la réalité sociale du pays. Il s’agit d’un territoire profondément marqué par les inégalités, le racisme structurel, la spoliation foncière, le chômage des jeunes Kanak, la précarité des zones rurales. Rien n’est prévu, à ce jour, pour traiter les causes des violences de 2024 ou les fractures héritées de la colonisation.

Le Pacte de refondation économique, censé accompagner l’accord est encore flou. Quelles priorités ? Quelle justice sociale ? Quelle redistribution ? Rien n’indique que les populations les plus marginalisées seront inclues dans le processus.

Un futur à haut risque

En ouvrant la voie à un possible transfert des compétences régaliennes (police, justice, défense, monnaie), l’accord de Bougival délègue l’avenir du territoire sans garantie d’équilibre. Certains y voient une ouverture vers l’indépendance. D’autres, un piège juridique qui enferme la Nouvelle-Calédonie dans une dépendance déguisée.

Mais le plus grand danger est peut-être ailleurs : le sentiment d’avoir été écarté de la décision. Sans adhésion populaire, sans réparation des injustices historiques, cet accord pourrait devenir un point de rupture plutôt qu’un nouveau départ.

L’accord de Bougival apparaît moins comme un compromis que comme une manœuvre politicienne. Ni indépendantiste, ni loyaliste, il cherche à verrouiller une solution institutionnelle bancale au détriment d’un vrai processus démocratique. Les peuples de Nouvelle-Calédonie méritent mieux qu’un simulacre de refondation.

Jean Fauconnet

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A propos de l'auteur

Jean Fauconnet

Journaliste. Engagé depuis de nombreuses années pour le respect des droits, Jean contribue au média Parallèle Sud de diverses façons.

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