Exposition Kwir Nou Exist au frac Réunion. © Olivier Ceccaldi

Kwir Nou Exist : un projet pour exister, réparer et transmettre

Entre documentaire et photo de mode, Kwir Nou Exist raconte la communauté queer réunionnaise et sa relation au territoire. Un projet intime et politique, mené durant cinq ans par Édouard Richard et Raya Martigny, pour crier haut et fort l’appartenance de la communauté kwir à celle de La Réunion. 

Une rencontre et un projet 

Il y a des projets qui marquent plus que d’autre. C’est le cas de Kwir Nou Exist, un projet photographique, entre le documentaire et la photo de mode, qui explore la place de la communauté kwir de l’île de La Réunion.

Ce projet, c’est d’ailleurs le fruit d’une rencontre. Une rencontre entre deux univers d’abord, le photojournalisme et celui de la mode mais c’est aussi celle de deux sensibilités qui très vite s’accrochent pour ne plus se lâcher.
À l’annonce du deuxième confinement, en octobre 2020, Édouard et Raya décident de s’isoler ensemble sur l’île de La Réunion, dont elle est originaire. Pour elle, c’est un retour aux sources; pour lui, une découverte. « En arrivant avec Raya, on s’ancre pendant trois mois sur place et on connecte avec Brandon Gercara et de mon côté, j’essaye de comprendre d’où vient son combat et celui de Requeer » raconte Édouard.

L’envie de documenter et de comprendre se mêle alors à une inquiétude profonde face à l’incertitude du moment. « On ne savait pas trop comment le monde allait évoluer avec aussi une inquiétude de perdre ceux qu’on aimait » explique Raya.

Edouard Richard et sa chienne. © Olivier Ceccaldi
Edouard Richard et leur chienne. © Olivier Ceccaldi
Edouard Richard et Raya Martigny. © Olivier Ceccaldi
Edouard Richard et Raya Martigny. © Olivier Ceccaldi
Raya Martigny. © Olivier Ceccaldi
Raya Martigny. © Olivier Ceccaldi

Un projet pour exister et réparer

Dès les premières images, une conviction s’impose : photographier, c’est aussi affirmer une présence. Dans un contexte où les identités queer restent encore fragiles, chaque portrait devient une archive vivante. « Le monde essaie de nous effacer tipa tipa », confie Raya. Pour Édouard, il s’agit de « créer des modèles de représentation, de dire qu’il est possible d’être à la fois créole et kwir ». Une petite vidéo, entre documentaire du travail réalisé et interviews des personnes photographiées, permet d’ailleurs de nous plonger plus encore dans le questionnement autour de ce qu’est être kwir et créole.

Mais le projet n’est pas seulement politique, il est aussi intime et réparateur. Pour Raya, revenir photographier sur son île a été une manière de réconcilier son histoire avec ce territoire parfois douloureux : « C’était important de me rapprocher de ma famille, mais aussi de me réapproprier la nature et de réparer ce lien que j’avais perdu avec elle. » Kwir Nou Exist devient alors autant un acte de résistance collective qu’un chemin personnel de reconstruction.

Exposition Kwir Nou Exist au frac Réunion. © Olivier Ceccaldi
Exposition Kwir Nou Exist au FRAC Réunion. © Olivier Ceccaldi
Entrée du FRAC Réunion. © Olivier Ceccaldi
Entrée du FRAC Réunion. © Olivier Ceccaldi
Exposition Kwir Nou Exist au frac Réunion. © Olivier Ceccaldi
Exposition Kwir Nou Exist au FRAC Réunion. © Olivier Ceccaldi
Exposition Kwir Nou Exist au frac Réunion. © Olivier Ceccaldi
Exposition Kwir Nou Exist au FRAC Réunion. © Olivier Ceccaldi

Les corps et la terre

Ce qui distingue Kwir Nou Exist, c’est le rapport intime qu’il entretient avec le territoire. Les photographies ne montrent pas des corps confinés dans des lieux clos ou nocturnes, mais les font dialoguer avec la nature réunionnaise. Montagnes, volcans et forêts deviennent partenaires de la mise en scène. « Mon imaginaire a commencé ici, avec la mer et la terre », raconte Raya, qui dit avoir puisé dans ses souvenirs d’enfance pour donner aux images une dimension organique.

Édouard souligne quant à lui la force particulière de ce lien pour la jeunesse réunionnaise : « J’ai rarement vu ailleurs une génération autant connectée à sa terre. Ici, l’amour du territoire est immédiat, et il dépasse les clivages. C’est rarissime dans nos générations. » Cette relation profonde avec la nature donne aux images une puissance singulière : celle d’inscrire les corps queers dans un paysage qui les accueille et les relie à leurs racines. Une symbiose avec les éléments que l’on retrouve également dans la scénographie de l’exposition.

Archiver pour ne pas oublier

L’autre dimension essentielle du projet est celle de la mémoire. « On avait peur qu’on ne se souvienne pas de nous demain car le monde actuel cherche à nous effacer », avoue Raya. Photographier, c’est donc résister à l’effacement, garder une trace de vies et d’expériences. Dans une pièce, au fond à gauche, où on peut lire sur le mur « Quelles archives pour les kwir? », certaines histoires des ancien.nes sont affichées comme celles de Logan Payet et Erick Cattan.

Plusieurs personnes photographiées se redécouvrent à travers les images, mesurant le chemin parcouru. Pour certain.es, comme Gabrielle, la séance photo deux ans auparavant, a créé une prise de conscience. 

Dans un post sur Instagram, elle pose sur cette expérience des mots, les siens : « Dès l’instant où j’ai posé pour cette photographie, j’ai compris. Depuis, j’ai beaucoup réfléchi, j’ai grandement appris; afin de cultiver ce jardin en moi. Ces forces nouvelles façonnent aujourd’hui l’évolution de ma personne; en tant que Réunionnaise, en tant que Kwir. » Chaque cliché devient un repère, un souvenir intime mais aussi une archive collective, précieuse pour aujourd’hui et pour demain. 

Voyage au Brésil et édition d’un livre 

L’aventure ne s’arrête pas à l’exposition réunionnaise. Le projet doit voyager jusqu’au Brésil, à Rio et São Paulo, preuve que son message résonne au-delà de l’océan Indien. Édouard et Raya travaillent aussi à la réalisation d’un livre. « Un livre reste, il traverse le temps », explique Raya, qui rêve de voir ces récits circuler partout dans le monde, pour que la mémoire kwir réunionnaise ne soit plus jamais absente des cartes.

Kwir Nou Exist est ainsi tout à la fois : un geste artistique, un acte politique, un travail de mémoire. Et peut-être, surtout, une invitation à regarder et à se souvenir.

Olivier Ceccaldi

12 vues

A propos de l'auteur

Olivier Ceccaldi

Aujourd'hui journaliste, Olivier a tout d'abord privilégié la photographie comme support pour informer notamment sur les réalités des personnes exilées face à la politique migratoire de l'Union européenne. Installé sur l'île de La Réunion depuis 2024, il travaille principalement sur les questions de société.

Ajouter un commentaire

⚠︎ Cet espace d'échange mis à disposition de nos lectrices et lecteurs ne reflète pas l'avis du média mais ceux des commentateurs. Les commentaires doivent être respectueux des individus et de la loi. Tout commentaire ne respectant pas ceux-ci ne sera pas publié. Consultez nos conditions générales d'utilisation. Vous souhaitez signaler un commentaire abusif, cliquez ici.

Articles suggérés

Parallèle Sud Bêta 1

GRATUIT
VOIR