LIBRE EXPRESSION
Dans l’actualité trouble de la politique internationale actuelle, l’initiative humanitaire des flotilles telles que Waves of Freedom incarne la limite des contradictions entre discours politiques et missions humanitaires. Conçue comme une bouée d’espérance, elle se heurte aux raisons d’État. Menée par le Dr Yacine Haffaf, ancien chirurgien à La Réunion, la flottille devait être ce souffle ultime d’espérance de la société civile face à l’impuissance – volontaire ou résignée – des gouvernements.
Une voix engagée face à l’insoutenable
Avec plus de 25 missions internationales aux côtés de Médecins Sans Frontières, de la Croix-Rouge et de Palestine Médicale France, le Dr Haffaf est reconnu pour ses engagements auprès des populations les plus opprimées. Son expérience est forgée dans l’adversité, mais aussi dans la conviction que « la médecine est un engagement total » m’a t’il confié à la veille de son départ pour Paris où il rejoignait les organisateurs de la plus grande flotille humanitaire jamais constituée.
A bord de ces bateaux médicaments, matériels chirurgicals et colis alimentaires destinés à la population de Gaza, lieu où Dr Haffaf a déjà accompli deux missions qu’il dit « les plus insoutenables » face au génocide. Depuis le début de la guerre à Gaza en octobre 2023, plus de 61 000 Palestiniens ont été tués, dont environ 14 000 enfants, selon les données officielles du ministère de la Santé de Gaza et des organisations internationales. Cette tragédie représente un génocide où près de 70% des victimes sont des femmes et des enfants, soulignant l’impact dévastateur sur les populations civiles les plus vulnérables.
Par ailleurs, il témoigne de l’effondrement d’un système de santé en première ligne et réclame le rétablissement d’un corridor sanitaire . Lors d’un débat organisé à Saint-Denis le 22 août dernier, il affirme sans détour : l’objectif n’était pas seulement d’acheminer médicaments et colis alimentaires, mais de « réveiller les consciences internationales face au génocide en cours ».
L’arraisonnement : entre raison officielle et révolte silencieuse
Pourquoi alors ce départ toujours reporté depuis la Tunisie ? Les autorités invoquent le mauvais temps et les contraintes logistiques. Mais dans les coulisses, deux attaques de drones les 8 et 9 septembre – que les organisateurs attribuent à Israël – rappellent brutalement que cette flottille dérange les puissances. Le rêve se trouve suspendu à la volonté des chancelleries, rongé par l’attente et le danger.
Car pendant que les négociations piétinent, la vie continue de s’éteindre à Gaza. Vingt-huit enfants meurent chaque jour sous les bombardements, soit une classe entière rayée de la carte quotidiennement depuis près de deux ans. Plus de 17 000 ont déjà perdu la vie, et 33 000 autres sont blessés. Ces chiffres ne sont pas abstraits : ils traduisent l’anéantissement méthodique d’une génération, celui d’une enfance confisquée et d’un avenir fracassé.
La famine déclarée : que reste t’il du mot humanité ?
La déclaration officielle de famine par l’ONU le 22 août dernier marque un tournant tragique : Gaza est la première région du Moyen-Orient à porter ce fardeau dans l’Histoire moderne. 500 000 personnes seraient déjà en situation « catastrophique », et chaque jour, la faim tue en silence. Pour le Dr Haffaf, ce corridor humanitaire n’est donc pas une aspiration généreuse : c’est l’ultime digue face à une catastrophe évitable.
L’engagement exceptionnel de La Réunion
À des milliers de kilomètres, La Réunion s’est muée en caisse de résonance. Plus de la moitié de la population s’est engagée concrètement dans ce projet. La générosité de ses habitants, avec des dons atteignant 50 000 euros pour la seule communauté musulmane, fait de l’île un bastion de solidarité. C’est la preuve qu’au-delà des communautés, au-delà des clivages, il existe un socle commun : celui d’un humanisme créole qui refuse la résignation.
Pourtant, le contraste demeure saisissant. Quelques paroles fortes, comme celles de la présidente de Région Huguette Bello, côtoient des silences institutionnels assourdissants. Paris multiplie les discours protecteurs concernant ses ressortissants, mais se tait sur l’essentiel : la cause elle-même. Dans cette retenue, beaucoup lisent une complicité passive, où le souci diplomatique prime sur l’urgence humanitaire.
Ainsi, laflottille Waves of Freedom n’est donc pas seulement une opération humanitaire retardée. Elle est aussi un miroir. Celui d’un monde où l’élan humaniste se brise contre la froideur calculée des gouvernements. Celui également d’une indignation citoyenne entravée, assignée à résister dans l’attente. Mais aussi celui d’une persistance : tant que des citoyens comme le Dr Haffaf, tant que des territoires comme La Réunion osent défier l’inertie, l’espoir demeure.
Car en définitive, si l’océan est incertain et les vents contraires, il n’éteint pas la plus précieuse des forces : la détermination obstinée de refuser l’inacceptable.
Frédérique Welmant
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