Angèle chanteuse Sakifo 2023 concert public

La musique réunionnaise saute la mer : pari réussi ?

Depuis quelque temps, on observe sur les réseaux et dans les festivals hexagonaux un gain d’intérêt pour la musique réunionnaise. Exportation entièrement réussie ou début d’une nouvelle ère ?

En mars dernier, McBox a reçu la certification platine sur son single Au revoir, premier artiste réunionnais à obtenir un disque de platine, 21 ans après le disque d’or obtenu par String Color (François Dal’s, Ameline) pour Raggastring. Depuis, plusieurs artistes réunionnais ont obtenu des certifications comme Kalipsxau, PLL, ou encore Dj Sebb.

Au mois de juin, PLL a commencé une tournée d’été de dix dates en France. En avril c’était DJ Sebb qui emmenait sa platine jusqu’en Colombie et en Allemagne. Sur Tiktok, des quantités d’utilisateurs ont repris les titres Code de Barth ou Shattiment de PLL, tandis que Léa Churros remplissait le Casino de Paris le 13 septembre dernier, presque an après celui de Pix’L.
Comment la musique réunionnaise a-t-elle réussi à s’exporter, elle qui est longtemps restée dans l’ombre des Antilles ?

Pour Jérôme Galabert, directeur du Sakifo et des Francofolies de La Réunion dans le milieu depuis trente ans, c’est le fruit d’une évolution logique depuis de nombreuses années.
Il rappelle notamment que des artistes comme Danyèl Waro, le groupe Lindigo, Ziskakan, Saodaj’ ou Maya Kamaty pour ne citer qu’eux, ont déjà réalisé des tournées dans l’Hexagone et à l’étranger.

VJ Awax producteur et fondateur de ©RUN HIT
Francofolies 2024 Jérôme Galabert directeur du festival
Jérôme Galabert directeur du Sakifo et des Francofolies

« Le monde de la musique à La Réunion s’est structuré et professionnalisé ce qui apporte plus d’opportunités aux artistes », remarque-t-il.

Constat partagé par VJ Awax, producteur fondateur du label Run Hit (McBox, GTNN, ST Unit, Sam) :
« Il y a eu un travail fait pendant des années, et c’est l’évolution. Il y a eu d’autres artistes même s’ils ne sont pas exportés qui peuvent être reconnus, qui ont mis La Réunion sur la carte comme Kaf Malbar par exemple. Cette exportation c’est grâce à tout le monde. »

PLL en 2014 puis dix ans plus tard en 2024, quelques disques d’or en plus… ©Facebook de PLL

Tiktok, le grand chamboulement

Pour VJ Awax, le grand changement, ce sont les réseaux sociaux.

« Les artistes ne sont plus dépendants des médias pour se faire connaître, ils peuvent créer leur propre stratégie sur les réseaux pour rendre leur musique virale. Aujourd’hui, c’est vraiment ça qui permet de toucher un public métropolitain. C’est un moyen de comm’, gratuit et à disposition il faut s’en servir pour développer le titre, même à l’échelle locale. »

L’exemple parfait pour illustrer cela, c’est l’explosion tardive du titre Code de Barth, sorti en 2018 et qui a été au centre de trends Tiktok ces derniers mois amenant le titre à plus de 12 millions d’écoutes sur Spotify. De même, l’utilisation des trends sur Maya ou Shattiment de PLL par des créateurs de contenus tels qu’Anyme (3 millions d’abonnés sur Tiktok) ont joué leur rôle dans la diffusion des titres dans l’Hexagone.

Le titre Code de Barth a été repris plus de 50 000 fois sur Tiktok poussant l’artiste à clipper le titre sept ans après sa sortie sur les plateformes
L’influenceur Anyme danse sur Shattiment de PLL, contribuant en partie à l’engouement du public pour le titre du trio saint-louisien
Le titre Shattiment de PLL a été repris plus de 30 000 fois sur Tiktok

Mais pourquoi un tel succès ?

VJ Awax apporte une piste de réflexion : « La musique de club est devenue caribéenne ce qui ouvre des portes à certains artistes de chez nous. »  
« Il y a un phénomène autour du shatta et DJ Sebb est un des meilleurs producteurs dans ce domaine à mon sens », souligne Jérôme Galabert.

Une exportation à relativiser ?

« En trente ans, cela n’a fait qu’augmenter en termes d’esthétiques variées et en nombre d’artistes. L’environnement professionnel (production, management, booking…) est de meilleure qualité. Mais pour moi, on n’a encore rien vu. Les premiers chapitres ont été écrits il y a longtemps, c’est un chapitre de plus, mais il y en a encore à écrire », reprend le producteur du Sakifo.

De son côté VJ Awax affirme que « l’éloignement est déjà un frein, et que tout le monde ne se reconnait pas dans “ notre musique des îles ”. Pour moi, pour l’instant on n’est pas exportés. Quand McBox se produit en métropole, le public ce sont en grande majorité des Réunionnais de l’Hexagone. »
Et le succès à l’extérieur n’est qu’une étape qui arrive après le succès local : « S’exporter c’est une suite logique mais il y a des étapes à valider avant. Le local restera toujours à mon sens plus accessible que la métropole. »

Isabelle Lagarrigue “Kafrine Events”, organisatrice de soirées réunionnaises à Paris estime que peu d’artistes peuvent remplir des salles hexagonales.
« On dirait que certains artistes, une fois qu’ils sautent la mer ils pensent qu’ils vont décrocher la lune à demander des cachets beaucoup plus élevés. »

Isabelle Lagarrigue (Kafrine Events)
Isabelle Lagarrigue(Kafrine Events), organisatrice de soirées réunionnaises à Paris.

« À mon avis d’organisatrice, on a encore un gros travail d’image. J’ai essayé de booker un Réunionnais sur un évènement antillais qui avait un plateau océan Indien. L’artiste m’a demandé une somme astronomique qui ne correspondait pas à sa valeur sur le marché français, résultat il a loupé une occasion de se faire connaître auprès d’un autre public. » soupire-t-elle.

Car le talent, le succès commercial et le streaming n’ouvrent pas toujours les portes des festivals.
« Je pense que les artistes qui ont beaucoup de succès en streaming voudraient avoir autant de concerts, de festivals que les artistes qui ont du succès en live. D’un côté, il y en a qui font beaucoup de dates et qui aimeraient avoir beaucoup plus de stream et de l’autre, il y en a qui font beaucoup de stream et qui aimeraient avoir beaucoup plus de dates », abonde Jérôme Galabert.

Un autre point qui peut expliquer le succès de certains artistes est qu’ils font partie de genres musicaux en vogue et popularisés par des artistes antillais précédemment.

Léa Churros lors de son Casino de Paris le 13 septembre dernier ©Trace Urban live


« Léa Churros et Kalipsxau s’exportent mais avec de la musique zouk qui n’est pas 100% réunionnaise. C’est mon point de vue, mais à part quand elles mettent un drapeau réunionnais sur scène, je ne suis pas sûre que le public soit au courant que ce sont des artistes de La Réunion. Je ne me reconnais pas forcément dans leur musique car ce n’est pas la nôtre. Et pour moi des artistes de maloya comme Etinsel Maloya ou Kiltir qui font parfois des concerts à l’étranger et sont talentueux ne sont pas assez reconnus. La question que je me pose, c’est pourquoi on donne plus de force à des artistes qui font de la musique venue d’ailleurs comme le zouk plutôt que soutenir des artistes qui font du maloya, je ne trouve ça pas très juste et je pense qu’il y a encore du travail à faire sur cet aspect », ajoute Isabelle Lagarrigue.

Barrière de la langue ?

Lors de son dernier concert sur la scène du Sakifo, Pix’L introduit son morceau Rempart avec une anecdote qui en dit long sur les codes du milieu de la musique. « On m’a dit que pour être produit en France, 75% de mes textes devaient être écrits en français. » une injonction d’acculturation que l’artiste n’a pas suivi.

Pix'L
Pix’L lors de son concert au Sakifo en juin dernier.

Mais à quel prix ?

Pour Jérôme Galabert, le créole a pu être un frein et peut l’être encore mais il soutient le choix de Pix’L « De mon point de vue, un producteur n’a pas à dire à un artiste qu’il doit s’exprimer de telle ou telle manière en telle ou telle langue. C’est comme si le producteur de l’époque avait demandé à Kassav’ de chanter en français quoi. »

D’autant que PLL réussit à faire chanter des publics métropolitains dans les festivals hexagonaux. « J’ai vu tous les petits Bordelais d’Aquitaine présents devant la scène à chanter les paroles. Peut-être qu’ils ne comprennent pas la moitié de ce qu’ils chantent, mais combien de Français chantent en anglais sans comprendre ce qu’ils disent ? », conclut-il.

VJ Awax nuance ce point de vue : « La barrière de la langue oui et non. Je peux comprendre certains producteurs. Ils voulaient peut-être du français pour que le public visé puisse comprendre. Si le talent d’un artiste réside dans sa plume, il perd son atout. Ce n’est pas une excuse mais cela permet de comprendre. On peut aussi s’adapter avec des sous-titres dans les clips. Ça ne reste qu’une proposition, qu’on peut décliner ou accepter. Mais sur la musique de club, il n’y a plus trop de barrières de langue c’est ce qu’on observe avec PLL et K’Rosif qui a sorti La piraterie, cela reste un créole accessible. Tout le monde peut comprendre Maya l’abeille », sourit-il.

Barth sur la scène du Sakifo en juin 2025
Barth sur la scène du Sakifo en juin 2025

Du talent et du soutien

Le milieu de la musique s’est structuré, le talent des anciens participe à la reconnaissance des nouveaux, les modes de consommation et de diffusion ont évolué, le public est désormais plus ouvert aux sonorités afro, zouk, shatta ou encore dancehall mais ce qui explique surtout ce succès, c’est le talent des artistes de l’île.

Jérôme Galabert parle même « d’un laboratoire musical absolument unique au monde. »
« PLL et Dj Sebb sont super doués dans ce qu’ils font, et si Léa Churros cartonne c’est aussi pour ça. Je pense que les Réunionnais sont enfin vraiment convaincus de leurs artistes et les défendent. Ils vont au concert, ils streament, ils écoutent sur leur portable, dans leur voiture, je pense qu’il y a une fierté, un soutien qui est plus fort aujourd’hui. »

Léa Morineau

N.B : Parallèle Sud se défend de toute complaisance avec les actes de violences conjugales imputés à un des membres du groupe PLL dont il devra répondre devant la justice à la fin de l’année d’après nos confrères d’Imaz Press.

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A propos de l'auteur

Léa Morineau

Journaliste, étudiante à l'ILOI en alternance chez Parallèle Sud. Cocktail de douceur angevine et d'intensité réunionnaise, Léa Morineau a rejoint l'équipe de Parallèle Sud pour l'éducation aux médias et à l'information, elle s'est rapidement prise au jeu du journalisme. A travers ses articles, elle souhaite apporter le regard de sa génération et défendre un journalisme qui rayonne au-delà des apparences.

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