« Il me fallait avancer. Construire et pas seulement me rappeler. » Lorsqu’elle décide d’écrire ce roman, Chantal Michel cherche à raconter son histoire familiale liée à tout jamais à celle de l’endroit qui l’a vu naître, l’Algérie. Dans un récit autobiographique, elle tente de démêler les fils de son récit personnel.
Analyse du roman
La puissance impressive d’un texte ne se mesurant pas au nombre de pages qu’il occupe, voici un petit roman qui fait forte impression. L’autrice, la narratrice et le personnage principal se confondent, le caractère autobiographique du récit, bien que non-dit dans le texte, étant perceptible.
L’histoire commence dans l’euphorie de l’enfance heureuse pour la narratrice née juste après la seconde guerre mondiale dans une Algérie dont elle ne peut percevoir tout d’abord, dans le cocon familial qui l’entoure et l’isole de la réalité historique, les tensions croissantes.
Le héros qui domine tout le cours de la narration, toutefois, tantôt explicitement, tantôt en filigrane, c’est le père, pharmacien français installé en Algérie, respecté, parti de rien, qui a créé et qui fait marcher son officine sans mesurer sa peine, pater familias exemplaire, référence exclusive, père modèle pour sa fille, qui l’adore et l’adule.
[Ce] père qui sait tout, le nom des fleurs, la vie des papillons, chanter la seconde voix, faire des ricochets dans l’eau, préparer des potions magiques et rire avec l’écho…
Et puis il y a la mère, les frères, l’école, le quartier, les ami(e)s, les apprentissages, les découvertes, les escapades, les bonheurs, les chagrins, les bobos au corps et à l’âme, les pudeurs, les émois. Tableau vivant, touches intimistes, vision naïve du paradis éternel qu’est alors, pour l’enfant, le pays natal retrouvé après des vacances décevantes à la montagne en ce pays étranger qu’est pour la fillette la France métropolitaine.
Quel plaisir, vraiment, de se plonger à nouveau dans ce monde préservé, immuable, de retrouver chaque chose à sa place. Quelle paix ! Quelle impression de sécurité sur cette terre sans crevasse ni avalanche !
Et puis il y a l’Histoire, qui bouge, qui bouillonne, qui s’accélère, dont les turbulences et les effluves interfèrent peu à peu avec l’histoire de l’enfant qui grandit, qui découvre avec étonnement que le monde n’est pas aussi harmonieux qu’elle le croyait, que certaines personnes la considèrent comme une ennemie qu’un jour « on foutra à la mer », l’Histoire dont les incidences de plus en plus inquiétantes, de plus en plus menaçantes, viennent troubler de façon croissante la quiétude de la sphère socio-familiale dans laquelle évolue la pré-adolescente, jusqu’à atteindre un soir ses frères plus âgés, pris eux-mêmes inéluctablement dans les tourbillons d’un conflit de plus en plus meurtrier dont la jeune fille a encore du mal à comprendre les raisons.
Une nuit, la police est entrée en forçant notre porte. Ils ont tout fouillé. Ils ont dit : « Puisque celui que nous cherchons n’est pas là, nous emmenons son frère ».
Et puis il y a l’adolescence, les premiers flirts, les premières déceptions, le premier grand amour, les premières révoltes contre les règles établies, les premières infractions à l’ordre familial, les premiers actes qu’on commet à l’insu des parents et en bravant leurs interdictions, les rebellions, l’impatience d’une presque femme à atteindre l’âge de seize ans, l’âge où, peut-être, on pourra « tout faire comme les grands ».
De plus en plus curieuse et attentive, je fourbissais les armes de mes seize ans…
Et puis… Et puis il y a ce qui est devenu une guerre, le déferlement des rancœurs, le raz-de-marée des haines, la multiplication des attentats, des représailles, des vendettas… Et puis l’histoire tourne à la tragédie. Et dans le bruit, la fureur, le sang et la mort, le monde s’écroule. La jeune fille brusquement projetée dans l’âge adulte doit se résigner à admettre que ce pays qu’elle aimait n’est pas, n’est plus le sien, et qu’il lui faut, sur le coup d’un exil forcé et précipité, se reconstruire une patrie.
Nous avons tous rassemblé quelques vêtements dans des valises. Nous avons fermé notre porte à clé comme d’habitude. J’ai laissé mes poupées en peluche, les grands arbres de Noël, les rocailles arides, le ciel bleu, mes robes de petite fille.
Outre le fait qu’elle fait preuve, sur ce premier ouvrage, par la puissance du style, par la variation des voix, par l’évolution de la vision du monde qu’exprime la narratrice en même temps que mûrit son personnage, par les différences de tonalité et de langage qui traduisent efficacement le passage de la candeur à l’étonnement, de l’étonnement à la curiosité, de la curiosité au désenchantement puis à la révolte, d’une authentique maîtrise de la construction romanesque et de la mise en œuvre du suspens qui s’empare du lecteur, Chantal Michel révèle un réel talent de poète en insérant à intervalles réguliers dans le cours du récit les fragments lyriques d’un discours poétique fondé sur la métaphore filée de la méduse assujettie aux flux et fluctuations des éléments marins, au risque de l’échouage sur le sable, au danger de la brûlure mortelle du soleil, au péril de la dessication sous le souffle du vent : ainsi est la destinée de l’homme soumis, malgré qu’il en ait, aux éléments dont il est le produit.
C’est fort, c’est beau, c’est émouvant, c’est bien écrit, c’est à lire.
Patryck Froissart
Contribution bénévole
Réflexions sur la genèse du roman et sur l’art
romanesque, par l’auteur
J’ai toujours aimé écrire.
Je me souviens avoir déclenché l’hilarité familiale lorsque, toute petite, j’avais déclaré vouloir être écrivain ! Raconter une méduse au soleil était une évidence après les évènements dont ce roman est le témoignage. D’abord, c’est mon frère Alain qui a voulu écrire sur l’Algérie après notre départ. Il était surdoué mais son projet était trop difficile : il voulait que son écriture reflète le rythme des bombes et des mitraillettes qui avaient secoué et modelé nos enfances… Il n’a pas réussi à finaliser. Il est tombé très gravement malade tant il s’investissait et il est mort très jeune.
J’ai pris le relais avec une écriture plus classique au début. J’ai réorganisé mes notes. Le récit allait de soi. Je l’avais en mémoire. Je ne pouvais l’évoquer sans provoquer une crise de larmes. Il fallait expurger ce qui m’empoisonnait. Avions-nous été du mauvais côté de l’histoire ?
Puis j’y ai intercalé des poèmes pour qu’ils reflètent le flux et le reflux des vagues. Le va-et-vient du temps, des découvertes, des désillusions, des espoirs, des réussites et des échecs. Cette mer méditerranée que je ne me consolais pas d’avoir perdue. J’ai réfléchi à l’adolescente que j’étais, à la souffrance que j’endurais et à la puissance de ma jeunesse. Je me suis comparée à une méduse ballotée par les flots.
Comme la méduse, j’avais ma part de venin et ma part de soumission aux éléments extérieurs sur lesquels je n’avais pas de prise. Rien ne devait être oublié mais la page n’avait pas pour vocation de rester toujours ouverte à la même période. Il me fallait avancer. Construire et pas seulement me rappeler.
L’année 1962 m’avait transformée radicalement. J’étais passée en un an de l’enfance heureuse et protégée à la maturité. Je n’étais plus la gamine. C’était déjà une autre : « toi » « tu ». Après la mort de mon père et la suite déchirante, c’était vraiment « je » « moi ». Cela me donna l’idée de passer du « tu » au « je » dans le récit
Cette terre que j’avais d’autant plus aimée que je la sentais se dérober sous moi puis finalement que j’avais abandonnée, je ne pensais pas l’oublier un jour. Lorsque j’ai découvert l’île de la Réunion, cela fut un choc. Il existait donc par le monde, des lieux où il faisait bon vivre. L’Algérie n’était pas irremplaçable à jamais.
Tout passe, même le malheur.
Biographie de l’auteur
Née en Algérie, à l’époque française…de parents métropolitains. Déracinée en France en 1962, année terrible, après l’assassinat d’une idole, mon père. Vie errante sans chez nous… Ma mère courage, de santé très fragile, va pourtant, à force de volonté, recréer une pharmacie en métropole et placer en trajectoire ses 4 enfants.
Je poursuis mes études et je rassemble mes souvenirs dans quelques notes. Je me marie à 19 ans en 1965 avec Philippe Schaefer, Saint-Cyrien qui me promet de m’emmener au Moyen-Orient… (où il ne m’emmènera jamais). Je passe le dernier grand oral de Sciences Pô enceinte de mon premier enfant… Je suis mon époux au Tchad. Je découvre l’Afrique noire. Je ne voulais plus jamais la guerre… Manque de chance !
Philippe est engagé dans les combats de la France au Tchad… J’enrage ! Après quelques mutations, (30 déménagements au cours de notre mariage) Philippe est muté à Madagascar mais, divine surprise, la nouvelle orientation de la politique malgache nous oriente vers une petite île dont des amis pieds noirs m’avaient parlé : l’île de la Réunion.
Le coup de foudre de la Réunion : 1973-1976. Après quelques escales, en particulier à Djibouti où l’air me semble un four, nous atterrissons à la Réunion. Et là … Le bonheur ! Des filaos, des fleurs, une hospitalité, un soleil comme là-bas et même mieux !
Un vrai coup de foudre ! Un accueil fabuleux des Réunionnais, l’impression de vivre dans un pays où rien ne manque : la cohabitation ethnique pacifique, la variété des paysages, des climats, des populations, des cultures. Et bien sûr, la mer ! Je rêve d’acheter la maison où nous logeons, aux Roches noires, et qui est en vente… Mais nous n’avons pas un sou !
Au bout de 2 ans et demi, nous reprenons nos vagabondages entre l’outre-mer et la métropole selon les mutations de mon époux. Quant à moi, je poursuis mes études, j’essaie de travailler et d’écrire… Je finalise une méduse au soleil pour me permette de tourner la page sans rien oublier. Philippe s’oriente vers la Préfectorale. Nous revenons en 1996 dans l’océan Indien : Mayotte puis enfin à nouveau la Réunion.
4 années riches où nous avancerons de concert pour participer modestement à l’évolution positive de l’île. Philippe comme sous-préfet de Saint-Pierre et moi comme Conseillère en Formation Continue… Trop à dire ! Quelques souvenirs rassemblés dans « sirocco et alizés » …mon deuxième livre.
Nous sommes séduits par le quartier de pêcheurs de Terre sainte dont l’authenticité à l’époque, nous rappelle la Réunion des années 70. Nous achetons un petit bout de terrain de 111 m2 où nous construisons notre nid.
Dernier périple en France : Brignoles puis Marseille. Philippe y est chargé comme préfet de remettre de l’ordre dans le quartier de la gare qui doit accueillir le TGV. Puis il prend sa retraite. Voilà pour lui le temps des activités choisies.
Le retour : 2002. Enfin, nous revenons finir nos jours à la Réunion en 2002. Je crée une association « l’Université pour tous du sud » et j’y travaille d’arrache-pied pour pouvoir, sans subvention, louer un local et offrir à nos 800 adhérents une cinquantaine d’activités et de formations différentes à des prix modestes.
Je fais aussi découvrir à mes adhérents des lieux inédits (patrimoine, lieux de pouvoirs, usines, port, musées, etc.)
A la mort de Philippe en 2018, je me consacre à l’écriture. Tu pourras toujours compter sur moi est mon dernier roman où je rends hommage à mon oncle maternel, personnalité exceptionnelle.
Je m’engage dans la fonction de conciliatrice de justice pour éviter, autant que faire se peut, que les conflits dégénèrent… Une petite pierre dans la grande construction de la vie…
Bibliographie
Sirocco et Alizés – Éditions Orphie
Une méduse au Soleil – Éditions Orphie
Tu pourras toujours compter sur moi – Éditions L’Ancre Bleue
L’actualité littéraire à Parallèle Sud
Auteurs, autrices de La Réunion (de Maurice, de Madagascar…)
Si vous souhaitez une présentation, dans Parallèle Sud, de votre nouvelle publication, vous pouvez en envoyer un exemplaire (papier) en service presse à cette adresse, en précisant impérativement vos propres coordonnées postales et de courriel :
Patryck Froissart
13 rue des papangues – 97460 Saint-Paul
patryck.froissart@gmail.com

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