LE PORTFOLIO D’OLIVIER
Dans ce nouveau format de Parallèle Sud, je vous emmène dans mes archives photographiques pour vous raconter une nouvelle histoire. Dans cet épisode, nous partons ensemble au nord du Sénégal à Saint-Louis (entre janvier et septembre 2024) où les pêcheurs luttent pour maintenir leur mode de vie.
En 2021, Greenpeace publiait le rapport Nourrir le monstre, accablant sur l’état de la pêche au Sénégal et en Afrique de l’Ouest. A travers la trentaine de pages, l’ONG internationale explique comment chaque année, près de 500 000 tonnes de poissons sont pêchées dans les eaux qui longent la côte ouest-africaine dans le seul but d’être transformées en farine et en huile de poisson pour nourrir les élevages de poissons et d’animaux notamment en Europe et en Asie. Une hérésie quand on sait que pour produire seulement un kilo de farine de poisson, il faut près de cinq kilos de poissons.
Une situation qui fragilise la sécurité alimentaire des populations côtières dont celle du Sénégal. Dans son rapport, Greenpeace déclare d’ailleurs qu’ « en Afrique de l’Ouest, les principales victimes de cette industrie sont les femmes transformatrices qui, traditionnellement, fument, salent, sèchent et écoulent le poisson sur les marchés locaux, mais aussi les pêcheurs artisanaux et la population de la sous-région, notamment 70 % des Sénégalais et plus de la moitié des Gambiens, qui tirent leurs protéines animales du poisson. »
Saint-Louis, une ville en sursis
À Saint-Louis, ancienne capitale de l’Afrique-Occidentale française le regard a toujours été tourné vers l’Océan. Sur la langue de Barbarie, étendue de terre reliée au centre-ville par plusieurs ponts, on trouve d’ailleurs un des plus anciens villages de pêcheur du pays. Au sein du quartier de Guet Ndar, les familles parcourent l’océan depuis des générations. On raconte même que les pêcheurs des villages environnants se sont formés grâce à eux. Pourtant, le lien étroit entre les hommes et l’océan a changé. Ce territoire subit aujourd’hui une triple mutation : économique, urbaine et culturelle.
En 2015, 2016 et 2018, des vagues énormes ont submergé la langue de terre, se fracassant sur les premières habitations. Certains ont dû quitter leur terre natale pour se réfugier dans des nouveaux quartiers créés plus dans les terres. Dans le même temps, un projet gazier a été construit à seulement quelques kilomètres en face du village sur l’un des meilleurs spots de poisson. Nombreux sont ceux qui racontent que l’océan se vide de ses poissons, un sentiment accentué par les assauts répétés des gros chalutiers étrangers (chinois, indiens, européens) qui ont des accords avec l’État sénégalais ( fin 2024, le Sénégal a mis fin à l’ancien accord de pêche avec l’Union européenne).
Certains prennent la décision de partir plus loin, plus longtemps avec les risques que cela implique : accidents avec des chalutiers, augmentation des dépenses, risque de confiscation du matériel pour non respect des frontières maritimes. En 2018, la Mauritanie a même délivré près de 400 licences de pêche suite à un accord passé avec le gouvernement sénégalais d’alors mais pour ceux qui n’ont pas pu accéder à ce sésame, transgresser la loi est parfois la seule alternative pour espérer ramener de quoi survivre. Ces multiples bouleversements fragilisent un mode de vie ancestral, et poussent même certains habitants à tenter la traversée vers l’Europe.
Une jeunesse qui rêve d’ailleurs
Aliou avait un rêve, celui de devenir pêcheur et de vivre de la mer. Il y a deux ans, à seulement 16 ans, il a quitté l’école pour venir tenter sa chance à Saint-Louis. Il le répète à plusieurs reprises, il est « heureux de vivre sur l’eau ». Néanmoins, comme de nombreux jeunes rencontrés le matin même, il rêve d’une vie meilleure, plus confortable, d’un ailleurs façonné par les réseaux sociaux. Barça ou Barsakh (expression qui signifie Barcelone ou la mort en wolof), pour lui le choix est fait.
La rencontre avec Matar Fall, vieux pêcheur de plus 60 ans, se fait par hasard. Avec des amis, nous venons d’aider un homme à bouger sa pirogue et lorsque nous reprenons notre route vers le village de Guet Ndar, je croise son regard, il me salue et sourit, c’est une chose rare selon lui que de voir des étrangers s’arrêter pour prêter main forte. La discussion s’engage, et très vite, nous discutons de la situation des pêcheurs, leurs difficultés et les départs vers l’Europe… Il nous montre certaines des pirogues alignées pour nous expliquer que leurs propriétaires ont décidé de les mettre en vente faute de poissons. « Il y a ceux qui vendent car cela devient peu rentable mais il y a aussi ceux qui vendent dans l’espoir de gagner assez d’argent pour se payer un aller vers l’Espagne ».
Pêcheur, risquer sa vie pour survivre
Ce voyage, Matar l’a fait, en 2016. La traversée a duré treize jours, bien plus que les quelques jours dont parlait le passeur au moment du départ. Père de sept enfants, il a pris cette décision car il voulait pouvoir donner plus à sa famille. Avec le recul, il déconseille le voyage même s’il comprend ceux qui continuent de le faire. « La vie des pêcheurs n’a fait que se durcir » dit Matar dans un murmure. Plus loin, il me présente Wally N’diaye, père de famille et capitaine de bateau. À 63 ans, ce sont ses fils qui font vivre la famille.
Quelques semaines plus tôt, son équipage est parti vers les eaux mauritaniennes, sans autorisation, pour essayer de trouver du poisson. Il faut dire que depuis l’installation de la plateforme gazéifière au large du village sur un des meilleurs spots de pêche, il est devenu encore plus difficile de trouver du poisson. L’armée veille au grain et personne ne peut s’en approcher. Pour son équipage, le voyage n’aura pas été fructueux : le bateau a été arrêté par l’armée mauritanienne qui a volé l’ensemble du matériel, même le moteur. Il raconte que d’autres ont été bien moins chanceux et ne sont pas revenus.
Loin des yeux, loin du coeur
Bara Ba contemple l’océan lorsque je le rencontre sur la plage. Assis sur une pirogue, il fait partie de ceux qui ont dû quitter leur ancienne maison à cause de la montée des eaux. Depuis 2018, il a été obligé de se déplacer avec sa famille dans un nouveau quartier construit à la va-vite pour héberger les pêcheurs. Chaque jour, il se lève avant l’aube pour venir jusqu’à Guet Ndar soit pour partir en mer soit pour simplement retrouver son quartier et participer à la vie collective du village.
Dans le quartier de Xhaléal, à l’extérieur de la ville de Saint Louis, c’est là que de nombreuses familles de pêcheurs originaires du village de Guet Ndar ont été relocalisées. Certaines sont ici depuis 2016, comme celle de Fatou Fall Teuw : « La mer a détruit nos maisons, toute notre vie. Depuis 2016, nous n’avons que trois chambres et on nous refuse le droit de construire. Nous n’avons pas assez de place pour toute la famille alors nous sommes obligés de dormir au sol dans la cour. » Ici, l’atmosphère calme, déserte des rues contraste avec la vie foisonnante de Guet Ndar.
Ils ont demandé à plusieurs reprises à ce que des travaux soit entrepris pour renforcer les habitations existantes et favoriser l’accès à l’eau ainsi qu’à l’électricité. La mairie et l’Etat tardent à réagir sur ces questions-là alors qu’un projet de construction d’un nouveau stade de foot est envisagé sur un terrain mitoyen au quartier de Xhaléal. « Au moins cela les forcera peut-être à devoir accélerer sur les travaux du quartier sinon les spectateurs verront la vétusté des maisons. » me souffle un habitant.
Texte et photos : Olivier Ceccaldi
































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