LE PORTFOLIO D’OLIVIER
Dans ce nouveau format de Parallèle Sud, je vous emmène dans mes archives photographiques pour vous raconter une nouvelle histoire. Dans cet épisode, nous partons ensemble au Sud de la Tunisie dans la ville de Zarzis en juillet 2023, sur les traces des personnes sur le chemin de l’exil dans le but d’atteindre Sfax, portées par l’espoir qu’un bateau les emmène jusqu’en Europe.
Le repos avant la traversée
En juillet 2023, je me rends à Zarzis au Sud-Est de la Tunisie sur le littoral méditerranéen à seulement quelques kilomètres de la frontière libyenne. A cette période de l’année, le soleil tape fort, on frôle parfois les cinquante degrés en plein après-midi. Durant mon séjour d’une semaine, j’y fais la rencontre de nombreuses personnes en exil, de Côte d’Ivoire, de Gambie, de Guinée. Tous sont dans le pays depuis des mois voire des années. Momoudou, rencontré alors qu’il travaille sur le chantier naval de la ville, m’explique être entré en Tunisie il y a de cela près d’un an. Militaire de carrière et proche du pouvoir, il a dû fuir la Gambie lorsque celui-ci a changé de main.
À son arrivée, il a demandé l’asile politique et a même obtenu un titre de séjour provisoire. Mais celui-ci a depuis longtemps expiré et l’UNHCR, organisme des Nations-Unies présent à Tunis qui s’occupe des personne exilées, a cessé de lui répondre. Malgré tout, il imagine toujours sa vie sur place, imperméable aux propositions de certains passeurs de lui promettre un billet pour l’Europe s’il conduit une embarcation.
L’histoire d’Adama et de ses amis trouve écho dans celle de Momoudou. Lui est arrivé à Zarzis après avoir connu l’enfer de la Libye durant 4 ans avec sa femme Awa et à Zarzis, ils retrouvent l’espoir grâce notamment à la naissance de la petite Mariame 4 mois plus tôt. La “petite tunisienne” comme aime l’appeler sa mère ramène de la lumière au sein du groupe, ses moments de jeux sont comme des respirations. Dans leur maison proche du centre-ville, ils partagent les deux chambres et le salon avec une dizaine de compatriotes. Peu se connaissaient d’avant mais tous se soutiennent aujourd’hui.
Zarzis est devenu pour eux une ville refuge, le temps de refaire de l’argent pour tenter la traversée mais aussi pour se protéger des violences de plus en plus récurrentes à Sfax et à Tunis. Il faut dire que depuis le 21 février 2023 et le discours anti-migrants du président Kaïs Saied, les violences et les harcèlements envers les populations de migrants subsahariens ont drastiquement augmentés. Dernier exemple en date, les violentes manifestations contre les migrants qui ont éclaté dans la nuit du 4 juillet à Sfax suite à la mort d’un Tunisien. A quelques rues de chez eux, Soro et Mohammed, « frères d’exil » tous deux originaires de la Côte d’ivoire ont d’ailleurs fui Sfax pour venir se réfugier ici après une énième tentative avortée.
Le cimetière des exilés
Lors de ce séjour, je rencontre Chamseddine Marzoug, ancien pêcheur et défenseur des droits des personnes exilées. Un soir il m’appelle, « demain nous partirons tôt voir les bateaux. » La mer est calme ce matin là. On aurait presque oublié pourquoi nous nous sommes levés si tôt un samedi matin. Il est 6h, le soleil est en train de commencer sa course quotidienne et au loin un bâteau s’avance doucement, il semble flotter dans l’air.
A son bord, Tejeddine, pêcheur et aujourd’hui guide pour une visite d’un musée des naufragés. Au large de Zarzis, après 10 minutes de trajet nous apercevons au loin l’épave d’un bâteau qui semble reposer à la surface de l’eau. Ce bâteau, long de 8 mètres et pouvant contenir plusieurs centaines de personnes s’est échoué sur ce banc de sable en 2015 en provenance de Libye. Ses passagers n’ont jamais été identifiés.
Tout le long de la côte qui borde la ville, on peut retrouver une dizaine d’épaves similaires qui témoignent de la douloureuse réalité. Cela s’explique par la situation géographique de la ville, dernier port de pêche important avant la frontière libyenne dont la frontière terrestre se situe à seulement 80 km. Depuis les années 2000, des milliers de bâteaux sont partis des côtes libyennes en direction de Lampedusa et les pêcheurs de Zarzis ont (trop) souvent été témoins des naufrages. Pour Tejeddine, “la situation est difficile” surtout “quand tu vois un bâteau rempli de centaines de personnes et que tu sais que tu ne peux en aider que quelques unes”.
Une triste réalité à laquelle Chamseddine, pêcheur aujourd’hui à la retraite, a également été confronté. “C’est horrible de partir en mer pour pêcher et de retrouver des corps à la place”.
Pour lui, cette situation est inacceptable, “on devrait protéger l’humain au lieu de protéger les frontières”. Pour redonner un peu de dignité aux exilés morts en mer, il a donc décidé depuis 2011 d’enterrer lui-même ces étrangers dans un terrain qui lui a été donné par la municipalité. Avec sa pelle, il a creusé les tombes, amené les corps dans sa voiture et veillé à ce que chaque tombe ait une plaque. Une seule personne a pû être identifiée, la plupart du temps, leur état ne permettant pas l’identification. Selon lui, il a enterré près de 600 personnes dont des femmes et des enfants.
Pour ces derniers, Chamseddine leur met un petit jouet pour “qu’au moins maintenant ils puissent retrouver un peu de leur innocence”. Une démarche humaine qui correspond bien au personnage. Aujourd’hui à la retraite, il consacre une grosse partie de son temps et de son énergie à la lutte pour mettre fin à cette situation pour les personnes exilées.
Rendre hommage aux éxilés
Interpeller les citoyens sur cette situation, c’est ce que tente également de faire depuis des années Mohsen LIHIDHEB, également ancien pêcheur mais aussi artiste dans l’âme.


Depuis plusieurs années, il parcourt les rives autour de Zarzis pour récupérer ce que la mer relâche parfois. Des preuves des passages des Hommes mais aussi un témoignage des disparus en mer. Dans sa démarche de collectionneur, on pourrait presque entendre l’écho des paroles de Patrick Chamoiseau qui écrit que « la Méditerranée entière est désormais le Lieu d’un hommage à ceux qui y sont morts. » Dans son petit musée, qui se situe à 10 minutes de voiture du centre ville de Zarzis, Mohsen a entreposé plusieurs milliers d’objets – coquillages, paniers de pêche mais aussi des chaussures, gilets de sauvetage, poupées et des bouteilles à la mer contenant des messages de naufragés en perdition.
Une volonté pour lui de sensibiliser sur la catastrophe humaine qui se passe en Méditerranée et au large de la Tunisie. Lorsque je me rends au musée, il n’est pas là mais la porte est entrouverte, invitant ainsi le voyageur de passage à venir par lui-même constater et écouter le silence de ces naufragés qui aujourd’hui résonne comme un cri de révolte. Pour que toutes ces histoires ne soient pas oubliées, Zarzis et ses habitants se font donc aujourd’hui gardiens de leur mémoire.
Olivier Ceccaldi
Série photographique issue du long travail « Nous ne faisons que passer »


















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