LE PORTFOLIO D’OLIVIER
Dans ce nouveau format de Parallèle Sud, je vous emmène dans mes archives photographiques pour vous raconter une nouvelle histoire. Dans cet épisode, nous partons ensemble pour Mayotte, un mois après le passage du cyclone Chido et celui quelques semaines plus tard de la tempête Dikeledi. Ce dimanche marquera les un an depuis cette catastrophe qui a exacerbé les problématiques déjà existantes au préalable sur l’archipel.
En janvier 2025, deux mois après le passage du cyclone Chido, je me suis rendu à Mayotte pour documenter les séquelles de la tempête et les efforts de reconstruction entrepris par la population. Cette série photographique témoigne de visages, de gestes et de paysages marqués par l’épreuve, mais aussi par une volonté de se relever.
Mayotte, département français au cœur de l’océan Indien, cumule des défis qui précèdent et dépassent la catastrophe naturelle. En 2024, plus de 77 % de ses habitants vivaient sous le seuil de pauvreté ; l’accès à l’eau potable restait inégal et précaire ; et l’île accueillait chaque année des milliers de personnes exilées, venues des Comores ou d’ailleurs, souvent au péril de leur vie. La jeunesse mahoraise, nombreuse, doit composer avec un avenir incertain, dans un territoire où près d’un tiers de la population a moins de 15 ans.
Ce projet photographique, ancré dans les séquelles du cyclone, est aussi un regard sur l’environnement. Chido a laissé derrière lui des tonnes de débris et de déchets, saturant des réseaux de collecte déjà fragilisés. Comme beaucoup de territoires du Sud, Mayotte est confrontée à une pollution massive, à une gestion difficile des déchets, et à une dégradation accélérée des écosystèmes. Ces enjeux environnementaux s’entrelacent avec les vulnérabilités sociales et les fractures politiques du territoire.
À quel rythme se reconstruisent les larmes ? explore ces croisements, ces lignes de faille où l’écologie rencontre la précarité, où la nature abîmée pèse sur des vies déjà éprouvées.




La jeunesse de Mayotte, seule face aux difficultés
Les jeunes, déjà confrontés à un manque cruel d’infrastructures, à la crise de l’eau de 2023 et à une scolarisation fragile, ont dû une nouvelle fois se débrouiller seuls et voir leurs difficultés accrues (cf dernier rapport UNICEF « Grandir à Mayotte »).
À Pamandzi, beaucoup comme Modjid ou Samir ont vécu les propos du président Macron — affirmant que « sans la France vous seriez dix mille fois plus dans la merde » — comme un manque de respect, surtout après avoir reconstruit leurs maisons avec presque rien. Les distributions d’aide, tardives et insuffisantes, ont souvent exclu ceux qui avaient perdu leurs papiers ou leur logement, renforçant un sentiment d’injustice.
Sur Grande-Terre, dans le bidonville de Cazablanka, les enfants et adolescents survivent entre faim, peur et déscolarisation. Pour des jeunes comme Hassan, la vie y ressemble à « la cité de Dieu » : chacun doit se débrouiller seul. Pourtant, derrière les clichés de délinquance, ces quartiers réunissent Mahorais et Comoriens dans une même précarité, souvent ignorée par le reste du pays.
Face à cette réalité, des initiatives comme la maison Oumeya à Chirongui essaient de redonner une chance aux 16-25 ans. Après le cyclone, les équipes ont retrouvé leurs jeunes dans des situations encore plus dures : maisons détruites, manque d’eau, faim, absence de transports. Elles les aident désormais à remplir des demandes d’aide alimentaire et tentent de retisser un filet autour d’eux. Pour beaucoup, l’école ou l’association devient un refuge, un endroit où ils ne sont plus seuls.
Au final, ce que le cyclone a mis à nu, c’est l’urgence : celle d’entendre cette jeunesse qui grandit dans l’ombre, et qui n’aspire qu’à être reconnue, soutenue, et simplement considérée.




Collège de Kwalé, les personnes exilées pointées du doigt
À Mayotte, après le passage du cyclone Chido qui a fait des dizaines de morts et détruit des milliers d’habitations, le collège de Kwalé a été transformé en centre d’hébergement d’urgence. Dans ce lieu devenu refuge, près de 600 personnes exilées — des familles, des femmes enceintes, des enfants et de nombreux jeunes hommes — ont tenté de se reconstruire dans des conditions déjà très difficiles : chaleur étouffante, manque d’hygiène, distributions alimentaires rares et insuffisantes. Beaucoup venaient des bidonvilles où les logements faits de tôles n’ont pas résisté au cyclone. Ils avaient tout perdu.
Le 20 janvier, après l’évacuation violente d’un autre centre d’accueil, plusieurs dizaines d’exilés ont été transférés au collège de Kwalé, qui est alors devenu le dernier refuge encore ouvert sur l’île. Mais dès le lendemain, les tensions montent autour de l’établissement. Devant les portes, des parents d’élèves et des habitants soutenus par un collectif local exigent l’évacuation du collège pour permettre la reprise des cours. Certains slogans et propos, parfois chargés de peur ou de rejet, blessent profondément les exilés qui se sentent déshumanisés. Dans la cour, beaucoup disent avoir la sensation d’être traités comme des intrus, voire comme un danger, alors qu’ils ne cherchent qu’un abri.
Quelques jours plus tard, la préfecture annonce que les exilés devront quitter les lieux avant 8 heures du matin. L’annonce plonge tout le monde dans l’angoisse : partir, oui… mais pour aller où ? La plupart n’ont plus de maison, plus de famille, rien. Certains rassemblent malgré tout leurs affaires, espérant une solution de relogement. Mais à l’heure dite, personne ne vient. Pas de bus. Pas de logement. Pas même un représentant de la préfecture. Juste trois policiers, aussi perdus que les familles qui attendent.
Au fil de la journée, la peur et la fatigue se transforment en tension. Des adolescents du quartier pénètrent dans l’enceinte avec des chiens, provoquant une réaction immédiate de la police et la panique parmi les exilés. Une partie d’entre eux se barricade dans un gymnase, persuadée qu’une expulsion violente est imminente. Beaucoup se souviennent encore des agressions subies à leur arrivée, lorsque quatorze Somalis avaient été blessés par des jets de pierre et des attaques à la machette.
Le blocus imposé par les forces de l’ordre — qui ferment les accès sans explication — aggrave encore la situation : plus d’eau, plus de nourriture qui puissent entrer. Dans cette atmosphère oppressante, un jeune Somali perd une phalange en tentant de grimper par-dessus une grille pour faire passer des vivres. Ce geste désespéré devient pour tous le symbole cruel de ce qu’ils endurent depuis des semaines : l’incertitude, la faim, la peur de se retrouver une fois de plus abandonnés.
Ce n’est qu’en fin de journée que le sous-préfet apparaît brièvement pour ouvrir un dialogue. Une vingtaine de femmes avec enfants sont finalement mises à l’abri. Pour les autres, aucune solution claire n’est annoncée. Le collège reste fermé pour les élèves, les exilés restent sans perspective, et le sentiment général est celui d’une profonde incompréhension et d’un abandon qui dure.








Photos et textes : Olivier Ceccaldi














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