Yves Coppens

Le paléontologue Yves Coppens nous a quittés

LIBRE EXPRESSION

Hommage et obstacle à notre imagination

Yves Coppens fut le codécouvreur de la célèbre australopithèque Lucy âgée de 3,2 millions d’années. Il s’est éteint le 22 juin, à l’âge de 87 ans.

Dans les années 2000, il est venu nous honorer de sa présence dans le cadre de l’université de La Réunion. Il ironisait en nous confiant que sa grand-mère maternelle lui disait : « On dit que tu penses que nous descendons du singe, j’espère que ça ne se saura pas en dehors de la famille ! ».

Il aura poursuivi cette longue odyssée qui cherche (et cela continue) notre histoire. Hommage et merci, Professeur.

Très souvent, un grand découvreur suscite admiration et soumission à l’égard de ses travaux. Pascal Picq, son proche collègue, aura su se démarquer d’une influence soumise à son maître. Il aura fallu Michel Bunet, un autre paléontologue qui porta une controverse par la découverte d’une partie d’un fémur de Toumai âgé de 7 millions d’années.

La question que je relèverai, au-delà, de l’antériorité de Toumaï sur Lucy, porta sur l’émergence de la bipédie. Elle serait apparue, selon Coppens, du fait de l’effondrement du Rift et de la disparition de la végétation des grands arbres. Les hominidés, confrontés à une végétation de savane au détriment du grimper aux arbres, favorisèrent la transformation du corps du fait de la bipédie. Ainsi apparut progressivement chez homo erectus la parole et par la suite, chez sapiens, le langage. Une polémique a toujours cours, celle de savoir si Toumaï était quadrupède ou bipède.

Quant à nous, nous souhaiterions évoquer l’influence « dissimulée » de la pulsion de vie contribuant à la bipédie. Celle-ci aurait été incitée certes par ces changements de végétation mais aussi impulsée par une organisation pulsionnelle de vie des organismes évoluant sur terre qui se serait opposée à la gravitation, cette force qui pousse tout corps constitué au sol. Cette organisation serait à l’origine de l’hominisation et par la suite de notre individuation, Carl Gustav Jung cherchera inlassablement à l’argumenter.

Dépasser les obstacles

Il est fréquent qu’un grand savant s’érige sans le vouloir, évidemment, en obstacle à la pensée. Nous avions l’intuition que la pulsion et son archéologie étaient à l’œuvre bien avant l’émergence du langage parlé et articulé, voire même au début de la vie sur terre.

Il nous faut citer maintenant le grand archéo-linguiste Dereck Bikerton. Dans son livre, « La langue d’Adam », (2010), cet auteur se risque à construire un scénario original de l’émergence du langage à partir de ses travaux sur les pidgins et de données préhistoriques choisies. L’histoire commence il y a quelque 2 millions d’années après que nos ancêtres hominidés bipèdes aient inauguré un proto-langage peu articulé (pré-analogue aux pidgins), mais pourvu d’une qualité singulière, celle de pouvoir nommer des objets absents et de se faire comprendre. Les immigrés de diverses origines qui ont peuplé La Réunion devaient ressentir ce besoin de communiquer au-delà du barrage des langues pour se faire comprendre.

Cette approche est compatible avec les déductions philosophiques du Professeur Laborit qui pensait que l’action antérieure au langage aurait fait émerger la pensée. Tout en faisant suite à l’action, « le langage serait devenu un formidable outil pour dominer ».

Tout chercheur et découvreur n’est pas à l’abri du risque d’imposer ses idées. Dans notre domaine de la psychologie n’avons-nous pas eu Sigmund Freud, qui n’acceptait pas les oppositions et les controverses ? Un découvreur, même à son insu, implicitement, sans le vouloir nécessairement, peut arriver à dominer. C’est ainsi que Coppens reconnut la primauté des découvertes de Brunet en toute humilité intelligente.

Il reste à débattre de l’émergence de la bipédie et son rapport avec la pulsion.

Frédéric Paulus, Chercheur au CEVOI (Centre d’Etudes du Vivant de l’Océan Indien)., Expert extérieur Haut Conseil de Santé Publique

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